Category Archives: Recension

Collectif – Mission intégrale,

Collectif – Mission intégrale,Mission_intégraleVivre, annoncer et manifester l’Évangile, pour que le monde croie, Excelcis, Charols 2017, 276 pages, ISBN 978-2-7550-0309-3, € 23,00 ou CHF 26,45.

Auteurs : Jean-Daniel André – Laura Casorio – Philippe Fournier – Martine Fritsch – Marcel Georgel – Daniel Hillion – Chantal d’Oliveira – Christian Quartier – Michel Varton – Laurent Waghon – Evert Van de Poll – Jonathan Ward – Roger Zürcher

Le présent ouvrage fait suite au forum organisé par différentes fédérations évangéliques (Fmef, Asah, Remeef) en février 2016, sur le thème « Être, Dire et Faire : les enjeux de la mission intégrale pour Églises et œuvres chrétiennes ». Sous la direction d’Evert Van de Poll, ce recueil de témoignages, de réflexions bibliques et d’outils d’analyse propose de s’interroger sur la définition de la mission dans sa dimension holistique. Associant aussi bien les églises, les ONG chrétiennes et les organismes de mission, l’ouvrage constitue un compte-rendu étoffé des interventions des divers participants lors du forum. Il nous invite ainsi à nous interroger sur le « lien intrinsèque entre vivre l’Évangile, annoncer l’Évangile, et manifester l’Évangile. Entre vivre, dire et faire ».

L’ouvrage s’intéresse dans une première partie à l’approche théorique de la mission intégrale qui consiste « à discerner, proclamer et vivre la vérité biblique selon laquelle l’Évangile est la bonne nouvelle de Dieu, annoncée par la croix et la résurrection de Jésus-Christ pour les personnes individuellement, et pour la société, et pour la création » (Confession de foi du Cap, p. 41). Rédigés principalement par Evert Van de Poll, les quatre premiers chapitres tentent de définir le concept de mission intégrale, d’en relever les particularités par rapport à l’histoire générale de la mission, et de souligner les dichotomies persistantes dans nos églises. Bien que nous puissions apprécier le regard critique porté sur la mission, notamment dans sa conception occidentale et son opposition entre l’évangélisation et l’œuvre sociale, nous regrettons la redondance des explications et le survol rapide de certains concepts.

Dans une deuxième partie, l’ouvrage aborde la question de la mission « au près », c’est-à-dire en occident. C’est l’occasion notamment de s’interroger sur la place et la forme de l’Église actuelle et des œuvres chrétiennes dans notre société. Afin de décloisonner les approches, la parole est donnée aux jeunes quant à leurs regards sur la mission et aux défis de l’Église dans le monde. Par l’exemple, de deux œuvres chrétiennes travaillant auprès des plus démunis et des prostituées, les articles nous invitent à nous interroger sur notre rapport au monde, soulignant l’importance de la relation fraternelle plus encore que de l’évangélisation classique. Cette vision nous amène alors à considérer l’autre dans son ensemble aussi bien dans ses besoins spirituels que matériels. Si nous ne percevons pas toujours la cohérence entre les articles choisis, ceux-ci ont néanmoins le mérite de nous interroger sur notre relation à ceux qui nous entourent et notre manière de transmettre le message de l’Évangile.

Dans une troisième partie, plus restreinte, l’ouvrage relate le contexte particulier de la mission intégrale dans les pays où les chrétiens sont persécutés. S’intéressant essentiellement à l’œuvre de Portes Ouvertes, association de soutien aux églises locales en contexte de persécution, les trois interventions mentionnées ont l’avantage d’apporter une réflexion critique sur le positionnement de l’organisation, sa transition d’une mission uniquement spirituelle vers une mission intégrale et d’offrir des outils d’analyse qui s’avèrent très utiles pour engager une réflexion plus large sur des thèmes sensibles comme le prosélytisme et l’éthique d’intervention.

Dans une quatrième partie, les contributions se veulent plus réflexives sur les pratiques des œuvres humanitaires et de développement au Sud. Celles-ci abordent notamment les bases de nos approches de l’aide au Sud (les relations de dépendances, une prise en compte holistique des bénéficiaires, nos liens avec les instances politiques, etc.), ainsi que la gestion du personnel, que ce soit des volontaires, des missionnaires ou des professionnels. Si cette dernière partie permet de saisir la complexité de l’intervention des ONG chrétiennes au Sud, il est dommage de constater que certains articles manquent de référence et de clarté notamment sur des questions aussi importantes que l’impact du développement sur le temps long, les relations de dépendance et d’interdépendance. Nous aurions souhaité une approche plus ciblée, conjuguant moins d’aspects, mais abordant ces questions centrales pour les œuvres humanitaires, avec une plus grande rigueur scientifique.

Si l’ouvrage a l’ambition de dresser un portrait complet des implications que peut avoir une approche intégrale de la mission, avec un choix d’angle original traitant de la problématique « au près » et « au loin », la qualité des interventions et leurs pertinences sont parfois inégales. Néanmoins, ce recueil constitue une base de réflexion intéressante et nécessaire, afin de développer une vision commune de la mission entre église et œuvre sociales chrétiennes.

Cynthia Guignard,responsable du secteur Coopération et Développementde la Mission Évangélique Braille, à Vevey (Suisse)

Luc Ferry et Claude Capelier , La plus belle histoire de la philosophie

Ferry_capelierLuc Ferry et Claude Capelier, La plus belle histoire de la philosophie, Robert Lafont, Paris, 2014, ISBN : 2-221-13121-5, 456 pages, € 21,50 édité aussi en version Poche, en 2015, € 8,10.

Luc Ferry, est bien connu : philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale, est l’auteur de nombreux ouvrages, et sans doute l’un des meilleurs pédagogues en matière de philosophie. Claude Capelier qui, dans cet ouvrage, lui pose les questions, est né en 1947 à Paris. Il est agrégé de philosophie, ancien membre du Conseil national des programmes, et conseiller scientifique du Conseil d’analyse de la société.

Comment se sont forgées les idées qui sous-tendent la pensée contemporaine, marquent la politique, notre façon de vivre ? Comment en est-on arrivé à les élaborer ? Pourquoi ? C’est à autant de questions que répond Luc Ferry par cette brillante histoire de la philosophie. Il le fait avec limpidité, clarté et une grande maîtrise du sujet. Il arrive à en dégager les grands axes, sans se perdre dans les détails, tout en étant assez précis, avec parfois des détails concrets qui aident à bien saisir les enjeux des problèmes présentés. Il donne ainsi au lecteur un instrument précieux pour s’y retrouver dans ce labyrinthe des philosophes et de leurs idées.

Il divise l’histoire de la philosophie en cinq grandes périodes :

  1. la période grecque qui voit le monde comme un corps où chacun des membres (les hommes comme les dieux) ont leur place assignée. La sagesse consiste à trouver et à garder sa place assignée par le destin. (Hésiode, Platon Aristote) ;
  2. la période chrétienne qui a libéré les individus des lois, aussi bien cosmiques que religieuses, et rendu possible l’avènement de la personne libérée par Dieu du destin implacable. Ferry emprunte à Hegel une très intéressante analyse du sermon sur la Montagne qui montre que Jésus libère l’homme du carcan du légalisme pour accomplir la loi par l’esprit. (Jésus, Augustin, Thomas d’Aquin) ;
  3. l’époque des « Lumières », dont il voit un précurseur dans l’humanisme de Pic de la Mirandole (1463-1494), où l’homme, faisant table rase de tout (Descartes), s’affranchit de Dieu et se met au centre avec sa raison pour expliquer le monde et l’histoire par une succession de causes produisant leurs effets (Kant, Hegel, Marx). Le problème est que, les mêmes causes ayant les mêmes effets, on en arrive logiquement à un monde prédéterminé et délétère (le communisme en est un aboutissement – gare à ceux qui ne marchent pas dans le sens de l’histoire telle qu’elle a été comprise par la
    science historique

    ).
  4. l’époque de la déconstruction : avec Schopenhauer et Nietzsche, viennent les philosophes du soupçon qui contestent la valeur de la raison : « Il n’y a pas de faits, que des interprétations » (Nietzsche). Il faut détruire toutes les idoles qu’on s’est fabriquées pour se rassurer en expliquant le monde (elles sont des illusions). Il faut vivre pour vivre, apprendre à être réconcilié avec tout ce qui existe, donc avec le réel, sans le déguiser. Mais, poussé à son paroxysme, cela voudrait dire accepter le mal, les bourreaux, puisqu’ils existent !! De plus, la conséquence de cette approche est que, puisqu’il ne faut pas de sens aux choses, les choses tournent d’elles-mêmes sans but ; l’économie produit pour produire, au risque de polluer la terre ; la science recherche pour rechercher et est devenue capable de détruire l’humanité…
  5. l’époque de l’amour. Luc Ferry voit dans notre époque où, avec l’écologie, on commence à se préoccuper de vouloir laisser à nos enfants un monde vivable, l’émergence d’un monde marqué par l’amour du prochain.

Je ne prétends pas être un bon connaisseur de la philosophie, mais j’ai trouvé ce livre très utile pour nous repérer dans l’histoire de la pensée philosophique. Il sera utile au théologien professionnel ou amateur qui doit connaître ses présupposés conscients ou inconscients lorsqu’il lit et interprète la Bible. L’auteur présente avec sympathie les philosophes et les courants de pensée qu’ils incarnent, en montrant leurs points forts, mais aussi avec suffisamment de lucidité pour nous en faire percevoir les failles.

Une remarque cependant : si son analyse des quatre première périodes est pour moi éclairante, je reste perplexe face à sa présentation de la cinquième qui n’en est d’ailleurs qu’à ses débuts. Est-ce que c’est réellement l’amour qui émerge dans le souci, encore balbutiant, pour les générations futures ? Est-ce que vouloir tout ramener à l’homme et à sa raison, en évacuant Dieu, ne conduit-il pas à une impasse ? La raison permet-elle définitivement d’évacuer Dieu ? L’homme n’a-t-il pas d’autre moyens de le connaître ?

Alain Décoppet

Jean-René Moret, Christ, la Loi et les Alliances

Moret_Christ_loi_alliancesJean-René Moret, Christ, la Loi et les Alliances – Les lettres aux Hébreux et de Paul : regards croisés – LIT Verlag Gmh & Co. KG Wien, Zurich 2017 – 105 p. – ISBN 978-3-643-90921-3 – € 29.90 ou CHF 29.90.

Jean-René Moret est physicien (EPFL) et doctorant en théologie à l’université de Fribourg ; il est actuellement pasteur dans une Église évangélique FREE, près de Genève.

La venue de Jésus a placé l’Église primitive devant la question des institutions de l’Ancien Testament : que faire désormais de la loi, des règles cultuelles, de l’alliance ? Quelle est leur place après la venue de Jésus ? Si elles sont devenues caduques, quelle était l’intention de Dieu en les mettant en place ? Ces questions ne concernent pas seulement l’Église primitive, elles sont encore actuelles pour l’Église d’aujourd’hui. Paul et l’auteur de l’Épître aux Hébreux ont apporté chacun leur réponse. Jean-René Moret s’attèle dans ce livre à comparer ces réponses, à mettre en évidence les similitudes et les différences de leur approche

Dans un chapitre d’introduction, il présente brièvement Paul et ses épîtres pour lesquelles il suit une chronologie évangélique classique en plaçant Galates avant 1 Thessaloniciens. Il situe ensuite la composition d’Hébreux avant la destruction du second Temple dans une période de persécution qui a suivi le martyre des apôtres Pierre et Paul.

Ensuite (chapitre 2), Moret se lance dans une étude minutieuse et bien documentée des institutions de l’Ancien Testament (essentiellement la loi et l’alliance) telles que Paul les perçoit. A cet effet, il analyse particulièrement les Épîtres aux Romains et aux Galates, mais aussi les autres, quoique plus brièvement, y compris Colossiens et Éphésiens qu’il considère comme pauliniennes. Il tient compte naturellement de la « nouvelle perspective » qui a le mérite de nous aider à nous dégager des ornières creusées par Luther qui a projeté sa problématique personnelle sur la théologie de Paul. Sans y adhérer en totalité, Moret en retient, avec N. T. Wright, que le but de Dieu, en appelant Abraham, était de créer un peuple judéo-païen (p. 36) ; mais il ne pense pas, contrairement à Dunn, que les « œuvres de la loi » soient à comprendre comme un marqueur identitaire.

Pour Paul, la loi ne sauve pas et, contrairement à son but précisé en Lévitique 18.5, elle est incapable de donner la vie, à cause de la faiblesse que le péché produit en l’homme. Le rôle de la loi est provisoire, destiné à montrer aux hommes leur état de péché. Elle est impuissante à sauver : Dieu a dû intervenir pour apporter une solution : la croix (la note 148 à la page 45 appuie l’idée que ιλαστηριον (Rom. 3,25) fait allusion aux rites de Kippour). Le but de la loi est Christ (Rom. 10,4) ; elle invite à se confier (foi) en Christ pour être sauvé. Sur la base de la justification accordée à celui qui croit, l’Esprit est donné pour rendre l’homme capable de mettre en pratique la loi. Cette partie se termine par un examen à mon sens trop rapide de Philippiens 3,1-11 où il ne prend pas suffisamment en compte l’argumentation que je trouve décisive de Daniel Marguerat (dans « Paul et la loi », in « Paul, une théologie en reconstruction » pages 251ss), lorsqu’il relève que Paul qualifie d’ ordures son irréprochabilité devant la loi, alors qu’il était dans le Judaïsme. Ce texte met à mal la notion de loi telle que présentée par le tenants de la « nouvelle perspective » sur Paul.

Dans le chapitre 3, Moret aborde l’Épître aux Hébreux où il va traiter deux questions :

  1. Comment Hébreux présente-t-elle la fonction du Christ et les exigences de cet office ?
  2. Qu’est-ce que Christ accomplit pour ceux qui bénéficient de son action ?

Hébreux présente essentiellement le Christ comme Grand-prêtre : Il est solidaire de l’humanité marquée par le mal (Hébr. 2). Mais c’est un grand-prêtre parfait ; cette notion importante est bien analysée et comporte entre autres, l’idée de consécration (hébreu : « remplir la main ») pour accomplir un sacerdoce. Il est apte à rendre parfaits ceux qui ont foi en lui.

Dans le « regard croisé » qu’il jette sur les théologies de Paul et de l’Épître aux Hébreux relatives aux institutions de l’Ancien Testament, Moret aboutit à la conclusion que leurs points de vue sont « largement similaires » (p. 100). Certes, dans Hébreux la loi n’est jamais présentée comme l’instrument du péché : elle doit sa faiblesse à son imperfection. Cependant – et là Hébreux et Paul ne sont pas si éloignés que ça – si les institutions de l’ancienne alliance sont imparfaites dans l’Épître aux Hébreux, c’est parce que les prêtres sont imparfaits et mortels à cause de leurs péchés, d’où la nécessité d’un Grand Prêtre parfait et éternel

, selon l’ordre de Melchisédek, comme le fut Jésus.

Remarques générales : l’écrit de Moret est de bon niveau ; il a pris connaissance des débats récents sur la question. Un petit regret : pourquoi, alors qu’il vise un public francophone, ne cite-t-il ni Quesnel ni Aletti qui ont à mon sens apporté des contributions intéressantes au sujet de la loi chez Paul ? Mais relevons que les chapitres sont bien charpentés avec, à la fin de chacun d’eux, un résumé qui permet au lecteur de se resituer dans le développement des arguments.

Alain Décoppet

Les abus sexuels, ouvrage collectif

Abus_sexuelsAgnès Blocher – Fabrice Delommel – Lydia Jaeger – Émile Nicole – Gladys Vespasien – Peter Winter – Elvire Piaget,Les abus sexuels : Sortir de l’ombre, coll. Terre nouvelle, IBN- Excelsis, 2017, 152 pages, ISBN 978-2-7550-0308 – € 6.– ou CHF 14.95

Cet ouvrage collectif est issu d’un colloque tenu à l’Institut Biblique de Nogent. Il s’agit d’une première approche sur la question des abus sexuels sous un angle de théologie pratique. L’ouvrage comporte des réflexions bibliques (E. Nicole) et théologiques (L. Jaeger), mais aussi juridiques (F. Delommel). Deux articles se concentrent sur la manière pour l’Église d’accompagner des personnes ayant subi des abus sexuels (A. Blocher et G. Vespasien – E. Piaget), tandis qu’un témoignage traduit de l’anglais (P. Winter) parle d’abus commis au sein de l’église par un de ses employés.

Ce livre permet une très bonne sensibilisation au problème de l’abus sexuel, à sa fréquence et au besoin pour l’Église d’être consciente de cette problématique et prête à y faire face. Les regards variés permettent de se faire une bonne idée générale. Les pistes de réflexion en matière d’accompagnement et de groupes de parole sont très bonnes, et peuvent servir à mettre en place des initiatives pertinentes. Le témoignage de P. Winter montre quant à lui des dangers auxquelles l’Église fait face lorsqu’un abus est commis en son sein, et est d’autant plus pertinent qu’il met en lumière des erreurs que des chrétiens seraient tentés de commettre à cause de leurs bonnes intentions et de leurs convictions au sujet de la grâce et du pardon. En prendre connaissance peut changer pour le mieux la première réaction face à une situation grave, et cela en vaut la peine.

Le livre ne comporte pas de recettes toutes faites, et ne dit certainement pas le dernier mot sur une question difficile. Mais une lecture attentive permet d’ouvrir les yeux sur une réalité difficile, et de préparer à avoir un regard attentif.

Ce livre est une première approche, mais peu d’autres ouvrages le font et le font si bien, il a donc absolument le mérite d’exister, et c’est une lecture que l’on peut recommander à tout pasteur ainsi qu’à des personnes appelées à un ministère d’accompagnement au sein de l’Église.

Jean-René Moret

Hannes Wiher , L’évangélisation en Europe francophone et Jean-Paul Rempp , dir., Évangéliser, témoigner, s’engager

evangeliser--temoigner--s-engager--les-documents-de-reference-du-mouvement-de-lausanne.jpgHannes Wiher , L’évangélisation en Europe francophone. Charols : Excelsis, 2016. 350p. ISBN : 978-2-7550-0294-2 – € 22.–

Jean-Paul Rempp , dir., Évangéliser, témoigner, s’engager. Collection « Bibliothèque du Mouvement de Lausanne ». Charols : Excelsis, 2017. 302p. ISBN : 978-2-7550-0248-5 – € 13.–

Parmi les livres qui ont été publiés plus récemment sur le sujet de l’évangélisation, deux titres méritent tout particulièrement notre attention. Nous devons un premier ouvrage au Réseau de missiologie évangélique pour l’Europe francophone et à un ensemble de huit auteurs sous la direction de Hannes Wiher. Son étude de la situation complexe de l’Europe du XXIème siècle a pour objectifs une prise de conscience de sa spécificité ainsi qu’une réflexion théologique sur les défis auxquels fait face le témoignage chrétien dans le contexte européen. Une telle analyse revêt toute son importance quand on considère que l’accent placé par les Églises évangéliques sur les stratégies missionnaires et l’implantation d’églises nouvelles a souvent fait abstraction d’une analyse adéquate de la société européenne, et cela pour une bonne (!) raison, c’est que le chrétien évangélique moyen se pose plutôt des questions présumées d’intérêt « national » plutôt qu’ « européen ».

WiherIntégrant pour beaucoup des données sociologiques dans les réponses proposées, les questions élémentaires traitées sont du type : Qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui ? Que croient (ou ne croient plus) les Européens et comment s’explique leur comportement vis-à-vis du message de l’Évangile ? Comment les chrétiens européens se situent-ils dans une société sécularisée et post-religieuse ? Dans quelle mesure l’Europe est-elle à la fois « postchrétienne » et « chrétienne » ? Quelles voies d’accès à l’Évangile peuvent/doivent envisager les Églises chrétiennes dans ces cas de figure ? Dans ce contexte, une réflexion intéressante est proposée tout particulièrement sur la vie du chrétien, la vie communautaire des chrétiens et la soif de liberté de nos contemporains.

On nous rappelle à juste titre que l’Europe se présente comme une mosaïque de visions du monde et de cultures (voire de sous-cultures) qu’on ne peut appréhender sans une approche interdisciplinaire (biblique, historique, psychologique, sociologique et anthropologique) dans laquelle théologie et sciences humaines apprennent à se côtoyer. La réalité grandissante des Églises issues de l’immigration ont définitivement balayé le mythe d’un modèle universaliste de type monoculturel. Aspirer à l’unité chrétienne ne pourra donc s’envisager sans comprendre les implications de la diversité… même si le caractère multiculturel ou interculturel de ces Églises ethniques ne va pas toujours de soi.

Si la deuxième partie du livre nous offre quelques considérations bibliques utiles sur l’évangélisation en général, il semblerait qu’avec les modèles proposés on finit par perdre quelque peu de vue la spécificité du contexte européen pour se concentrer sur une réflexion plus globale sur le rapport Évangile et culture. On notera que si le rôle des Églises de migrants dans l’évangélisation de l’Europe est souligné, on s’étonnera de l’absence de tout développement véritable sur la place des mouvements pentecôtistes et charismatiques en Europe francophone. Il y a bien une mention furtive des charismatiques catholiques et même un chapitre entier consacré à la démonologie. Une des explications se trouve sans doute dans le fait que dans le monde francophone européen, il existe une tendance à faire certains amalgames qui a fini par incorporer (pour l’essentiel) le pentecôtisme au sein du monde évangélique. Par ailleurs, on ne parle plus guère de pentecôtistes catholiques. Conforme à cette lecture réductrice, on ne semble pas non plus faire grand cas du fait que les Églises issues de l’immigration sont majoritairement issues de ce même pentecôtisme ou renouveau de l’Esprit. Une telle réflexion aurait pu bénéficier d’une analyse pertinente sur la théologie de l’Esprit, voire une théologie de l’expérience qui y est associée.

Dans un tout autre registre se situe l’ouvrage paru sous la direction de Jean-Paul Rempp. Celui-ci rend un énorme service au lecteur en réunissant en un seul volume tous les documents de référence du Mouvement de Lausanne. On y trouve bien entendu la Déclaration de Lausanne (avec texte intégral et guide d’étude), document fondateur datant de 1974, mais aussi le Manifeste de Manille (1989), ainsi qu’une version d’étude de l’Engagement du Cap (2010). Les trois congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde sont le fruit de divers processus d’écoute et de groupes de travail aux quatre coins du globe. Par-delà l’énoncé évangélique de convictions bibliques, on y trouvera un appel à l’action ayant pour but de susciter initiatives et partenariats sachant traduire une théologie de la mission qui est partagée (tout particulièrement, mais certes pas exclusivement) par le monde évangélique.

Raymond Pfister

Gwendoline Malogne-Fer et Yannick Fer, dir., Femmes et pentecôtismes

Femmes_pentecotismeGwendoline Malogne-Fer et Yannick Fer, dir., Femmes et pentecôtismes : Enjeux d’autorité et rapports de genre. Genève : Labor et Fides, 2015. 296p. ISBN : 978-2-8309-1578-5 – € 20.–

Si on reconnait aujourd’hui au pentecôtisme ses dimensions multiples et complexes, d’où l’usage approprié et justifié du pluriel, c’est parce que de nombreuses études universitaires ont examiné bon nombre d’aspects d’une réalité qui est à la fois transnationale, transculturelle et transconfessionnelle. Le présent ouvrage s’inscrit dans cette démarche par son analyse de la place des femmes dans différentes Eglises et communautés d’un pentecôtisme de type protestant. L’approche choisie met en valeur les sciences sociales, puisque la douzaine d’auteurs est composée d’anthropologues, d’ethnologues et de sociologues, associés pour la plupart à des universités ou instituts européens. Leurs contributions sont issues de journées d’études qui se sont tenues à Paris en 2012. Elles s’intéressent tout particulièrement à la (re)distribution des positions d’autorité au sein d’un mouvement qui cherche à libérer l’expression personnelle de l’individu et à favoriser une transformation sociale tout en ayant paradoxalement une représentation très normée des identités féminine et masculine. Onze chapitres permettent de comprendre comment les rapports de genre s’articulent dans divers contextes nationaux et sur plusieurs continents (Liban, Cameroun, Australie, Canada/Québec, France, Suisse, Suède, Brésil).

Les directeurs de la publication proposent une introduction autant utile que perspicace pour sensibiliser le lecteur à l’importance des enjeux épistémologiques. Les enquêtes minutieuses des différents chercheurs s’intéressent aux relations entre expériences charismatiques, conservatisme moral et conditions des femmes. Elles sont réparties en trois parties complémentaires : (1) Genre, conversion et construction de la féminité ; (2) Genre et migrations ; et (3) Le genre de l’autorité religieuse en pentecôtismes.

L’ouvrage riche en descriptions empiriques nous montre combien il faut se méfier des stéréotypes, quand bien même le modèle patriarcal peut imposer des limites sociales plus ou moins importantes, selon le contexte ecclésial et culturel, à l’encontre de l’expérience pentecôtiste chez le genre féminin. On comprendra ainsi comment les conditions d’une féminisation fluctuante du pentecôtisme sont fortement liées à une lecture normative voire fondamentaliste de la Bible. On comprend aussi pourquoi le rôle prépondérant de l’autorité masculine n’est pas toujours handicapant pour des femmes dont les rôles peuvent revêtir des parcours très différents, celui-ci pouvant aller de femme de pasteur à celui de prophétesse en passant par celui d’évangéliste ou d’enseignante, sans oublier celui de pasteur bien sûr – des ministères pouvant être exercés en couple ou non.

Malgré l’apport incontestable des diverses analyses proposées, on regrettera quand même un manque de regard critique sur les origines multiples du pentecôtisme, adoptant résolument comme entrée en matière une lecture nord-américaine protestante très standardisée, proche d’une ritualisation de l’histoire. Une approche qui serait davantage multidisciplinaire aurait pu inclure un regard historique et surtout théologique qui aurait apporté un éclairage plus compréhensif à un ouvrage par ailleurs très riche en informations et stimulant de par ses réflexions.

Raymond Pfister

Mark S. Kinzer,Scrutant son propre mystère

Kinzer Mark S. Kinzer,Scrutant son propre mystère : Nostra Aetate, le Peuple juif, et l’identité de l’Eglise. Préface du cardinal Christoph Schönborn. Paris : Parole et Silence, 2016. 312p. ISBN : 978-2-88918-810-9 – € 26.

Très peu connu jusqu’à présent du monde francophone, le rabbin Mark Kinzer est un juif messianique américain proche du mouvement charismatique catholique dont le profond attachement à la tradition juive et à son mode de vie sert de creuset à sa pensée théologique. Le fait de croire que Yeshoua (Jésus) est le Messie n’abolit en rien la judaïté du Juif qu’il est. Pour lui, reconnaitre l’identité messianique de Yeshoua, c’est voir en lui le lien essentiel entre judaïsme et christianisme plutôt que le facteur fondamental qui distinguerait des traditions et réalités complètement séparées.

C’est au chercheur français Menahem Macina, spécialiste des questions judéo-chrétiennes, que nous devons la traduction française de cet ouvrage qui offre au monde de la littérature théologique une contribution des plus significatives. Non seulement parce qu’il est consacré au judaïsme messianique, un mouvement encore mal connu par beaucoup, mais aussi parce que les réflexions théologiques novatrices de l’auteur nous offrent horizon et paradigme nouveaux permettant de remettre en question des positions séculaires dans lesquelles le judaïsme est supplanté par le christianisme. Kinzer dénonce un substitutionnisme qui s’est développé tout au long de l’histoire de l’Église pour fortement endommager les relations entre Juifs et Chrétiens.

Kinzer explore la signification théologique du peuple juif pour l’identité de l’Église (issue de la gentilité) à la lumière de Nostra Aetate (1965), un document-clé, pas uniquement comme fondement du dialogue interreligieux (avec les religions non-chrétiennes) ou par son appel à la fraternité universelle. Son titre n’est pas de prime abord très évocateur (« A notre époque »), car il renvoie tout simplement aux deux premiers mots du texte en latin, mais avec cette courte déclaration, Vatican II est le premier concile œcuménique de l’Église catholique à proposer (dans son quatrième paragraphe) un bref commentaire théologique sur les relations entre Israël et l’Église. C’est de là qu’il tire le titre de son livre, en citant le début du 4e paragraphe : « Scrutant le mystère de l’Église ».

La christologie de Kinzer implique une étroite connexion permanente entre Yeshoua et l’existence d’Israël. Pour lui, le défi ecclésiologique de Nostra Aetate est une véritable révolution théologique pour dépasser les antagonismes qui ont entachés le dialogue entre Juifs et Chrétiens. Toute connaissance et estime mutuelle, insiste l’auteur, présupposent que l’on se démarque de toute attitude accusatrice qui imputerait indistinctement la mort du Christ à tous les Juifs, hier et aujourd’hui. Ou encore celle selon laquelle Dieu aurait rejeté le peuple juif à cause de son péché et de son incrédulité, en particulier celle qui a consisté à ne pas accepter Jésus.

Dans ses ouvrages précédents, Kinzer avait déjà proposé ce qu’il appelle « une ecclésiologie bilatérale en solidarité avec Israël ». Il y défend la vision d’une Église composée de juifs et de non-juifs (Gentils/chrétiens issus des nations) qui conservent leur caractère (ethnique) distinctif propre, sous forme de communautés ecclésiales distinctes et parallèles, mais qui du fait de l’unité que tous deux ont vocation d’exprimer participent à la restauration de cette unique ecclesia qui les rassemble au-delà des différences. Un accent tout particulier est placé sur le statut de peuple élu qu’ont les Juifs et par conséquent sur leur vocation indéniable et irrévocable.

Le livre de Kinzer examine les différents défis théologiques engendrés par Nostra Aetate . Il en émerge une herméneutique qui refuse d’accepter les marqueurs négatifs de frontière doctrinale dans les deux communautés, juive et chrétienne. Ceux-ci ne touchent d’ailleurs pas qu’à l’ecclésiologie, mais aussi aux sacrements de l’ordination, du baptême et de l’Eucharistie/Sainte Cène, ou encore à l’observance de la Torah. On comprendra aisément que l’apport de la théologie catholique chez Kinzer est loin de faire l’unanimité, même et surtout parmi les juifs messianiques dont la théologie s’inscrit dans celle d’un protestantisme évangélique, voire même fondamentaliste (dispensationaliste), peu habitué à comprendre la foi en termes de présence sacramentelle : un peuple saint (Israël), un temps sacré (le jour du Shabbat), un lieu saint (la terre d’Israël et Jérusalem) et des actions saintes (les mitzwot/commandements) forment pour Kinzer les cinq signes sacramentels fondamentaux du judaïsme.

Raymond Pfister

Christine Schirrmacher, L’islam

Islam_XL6Christine Schirrmacher, L’islam : Histoire, doctrines, islam et christianisme Charols : Excelsis, 2016. 830p. ISBN : 978-2-7550-0288-1 – € 39.– ou CHF 52.–.

Si cette introduction de l’islamologue allemande Christine Schirrmacher n’est certes pas un traitement exhaustif de tous les sujets ayant traits à l’islam – malgré plus de huit cent pages, elle a le mérite d’aider le lecteur non initié à découvrir de manière systématique les principaux aspects d’une religion qui, bien que souvent côtoyée dans nos pays occidentaux, reste habituellement peu connue des chrétiens évangéliques à qui s’adressent en premier lieu cet ouvrage. Experte reconnue en la matière, Christine Schirrmacher a exercé des responsabilités dans différents instituts. Depuis 2014, elle est professeur d’études islamiques à l’Institut des études orientales et asiatiques de l’université de Bonn (Allemagne). Elle enseigne aussi aux Facultés de théologie évangélique de Louvain en Belgique (depuis 2005) et de Giessen en Allemagne (depuis 2003). Consultante de l’Alliance Évangélique Mondiale au sujet de l’islam, elle dirige également l’Institut des études islamiques de l’Alliance Évangélique Allemande. La traduction française de cet ouvrage correspond à la deuxième édition révisée et augmentée de l’édition originale allemande (2003).

Une première partie historique traite de la genèse de l’islam. Avant de présenter en deux courts chapitres la vie de Muhammad, dont les éléments biographiques semblent être davantage alimentés par la tradition (le hadith) que par des sources historiques fiables, l’auteur nous fait découvrir les traits caractéristiques de la péninsule Arabique avant sa venue. Elle le fait en termes de judaïsme et de christianisme, mais aussi sur fond d’animisme et de polythéisme. Suit un court développement sur les premières vagues de conquête de l’Islam. Il en ressort clairement que le fondateur de l’islam était autant prophète que dirigeant politique. Les questions de succession seront donc autant d’ordre politique que religieux.

Dans une deuxième partie (trois fois plus longue que la première), le lecteur est introduit à la doctrine et à l’éthique islamiques. On y trouve des sujets basiques comme le texte du Coran, les cinq piliers de l’islam (confession de foi, prière, aumônes, jeûne et pèlerinage) ou encore le droit islamique (les règles et préceptes de la charia). Schirrmacher analyse le type de relation que l’islam cherche à établir entre Dieu et l’homme, ainsi que les responsabilités qui en découleraient. L’incrédulité et l’apostasie décrivent ce qui est opposé à la foi musulmane et en tant que tels sont des thèmes récurrents. Elle consacre une place toute particulière à la femme et à la condition féminine dans l’islam – pas moins d’une vingtaine de points. Mariage et célibat, tenues vestimentaires et modes de vie dans le monde islamique font partie des sujets abordés.

Bien que la troisième partie annonce une présentation des courants de l’islam, on s’attend en vain à des chapitres séparés traitant des deux grands groupes, les chiites et les sunnites. Après un chapitre intitulé « Les chiites » qui fait bien mention de la division qui intervient très tôt après la fondation de l’islam, on passe directement au fondamentalisme (avec en point de mire les Frères musulmans sunnites) puis à la mystique (le soufisme) islamique. On y apprend que l’islam est une réalité autant religieuse que géopolitique avec une grande diversité de facettes. Parmi les groupements qui en sont issus, certains sont exclus de l’islam, d’autres non. Pas toujours pour des raisons théologiques, mais quelquefois pour des raisons politiques. Le mouvement Ahmadiyya, né en Inde au début du XXe siècle, fait partie de ces derniers. Peut-être moins connu du grand public, il est particulièrement hostile envers le christianisme et exerce une importante activité missionnaire, notamment en Europe. S’il est important de connaitre le point de vue des théologiens, il est tout aussi important de réaliser à quel point pour une grande majorité de musulmans, tout comme de chrétiens d’ailleurs, foi est synonyme de piété populaire avec son lot de superstitions, de vénération (de certains personnages autres que Mohammad) et de pèlerinages (visites de certains lieux) pour honorer quelque vœu et/ou dans l’espoir d’en tirer quelque bénéfice.

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage s’intéresse plus particulièrement aux convergences et différences entre islam et christianisme d’un point de vue évangélique. Selon Schirrmacher, la tradition islamique aurait tendance à donner une image plus négative des chrétiens et de la foi chrétienne que le Coran lui-même. Mais même si celui-ci se réfère de façon sélective aux écritures juives (AT) et chrétiennes (NT), les allusions aux textes et personnes bibliques dans le Coran y seraient souvent vagues et donneraient lieu à une lecture nouvelle et différente propre à l’islam. Ainsi, par exemple, le titre de « Christ » accordé à Jésus dans le Coran ne serait plus qu’un simple titre honorifique, dénué de toute signification messianique spécifique. Mis à part l’attention accordée à la place des prophètes bibliques (et non bibliques) dans le Coran, il est significatif de découvrir le statut particulier que le Coran attribue à Jésus. Mais c’est surtout la relecture musulmane de la christologie – notamment les évènements-clés que sont la crucifixion et la résurrection – au travers de ses écrits et de sa théologie qui est des plus intéressantes. Au cœur des controverses islamo-chrétiennes se trouve un document qui daterait de l’époque médiévale, l’Evangile de Barnabé, dont certaines déclarations ne seraient conformes ni avec le Coran, ni avec la Bible. La compréhension chrétienne d’un salut possible par l’intermédiaire de Jésus et de son œuvre est donc fondamentalement différente de la représentation islamique du salut qui part du principe que Muhammad est l’ultime prophète de Dieu et le Coran l’ultime vérité révélée et digne de foi (par opposition à la falsification présumée des Ecritures juives et chrétiennes).

L’ouvrage conclut avec deux chapitres historiques, l’un sur la critique de l’islamologie et l’autre sur la controverse islamo-chrétienne. On ne s’étonne pas vraiment de trouver parmi les sujets particulièrement sensibles : les croisades, le colonialisme (européen) et l’approche historico-critique du monde académique occidental des langues et cultures orientales. On peut se demander cependant pourquoi l’auteur choisit de présenter dans ce même chapitre, plutôt que dans un chapitre séparé sur la mission chrétienne en terre musulmane, quelques-uns des premiers missionnaires protestants dans le monde islamique. Parmi les annexes, on trouvera un glossaire fort utile des termes arabes utilisés dans le texte.

On peut regretter l’absence d’un chapitre spécifique traitant de la place de l’islam en Europe, hier et aujourd’hui, qui aurait pu aborder plus particulièrement des problématiques telles que islam et laïcité, l’intégration des minorités musulmanes dans nos sociétés européennes, ou encore la compatibilité entre l’islam et la démocratie occidentale.

Raymond Pfister

Jean Zumstein, trois livres

Zumstein_JeanJean Zumstein, La mémoire revisitée, études johanniques – Coll. « Le Monde de la Bible » N° 71 – Labor et Fides, Genève 2017 – ISBN 978-2-8309-1608-9 – 550 pages – € 32.– ou CHF 39.–

Il n’est guère nécessaire de présenter Jean Zumstein, professeur émérite de Nouveau Testament de l’Université de Zurich et spécialiste bien connu du quatrième Évangile dont il a notamment publié un remarquable commentaire en deux volumes (Labor et Fides, 2007 et 2014 – voir recension dans Hokhma N° 106). L’ouvrage que nous présentons ici contient un choix d’articles à portée scientifique que l’auteur a consacrés à cette question depuis les années 1990 ; il vise donc un public universitaire et lui permet de préciser les options qu’il a prises et la méthodologie suivie pour la préparation de son commentaire.

Ce livre s’articule en trois grandes parties :

1. Histoire et herméneutique (5 chapitres – 130 pages) fait l’histoire de l’Évangile de Jean et de sa réception dans l’Église. Zumstein voit la production de cet Évangile comme l’œuvre d’une école groupée autour du « disciple bien aimé » qui a mis en forme des traditions sur Jésus. Un premier texte aurait ensuite été repris (un peu comme le Siracide grec a repris l’œuvre de son grand-père Jésus ben Sirach) avec des adjonctions qui infléchissent le sens de l’œuvre et lui permettent de mieux répondre à la problématique d’une nouvelle situation. Mais une partie de l’Église l’ayant interprété dans une perspective docète, « Jean » aurait été obligé de donner une clé d’interprétation de son Évangile en écrivant sa première Épitre. Mais cela n’aura pas suffi. L’Évangile fut bientôt récupéré par des gnostiques et de ce fait suspecté par la Grande Église. Indice de cette réserve : Jean n’est pas cité de façon indiscutable par les écrivains ecclésiastiques avant la fin du II e siècle (p. 32-33). Il faudra, pour cela, attendre Théophile d’Antioche, Irénée et le Canon du Muratori. Faut-il en conclure, comme le pense Jean Zumstein, que le quatrième Évangile ait dû attendre une époque aussi tardive pour être reçu dans la Grande Église ? Cette hypothèse « minimaliste » a certes pour elle le mérite de la rigueur, mais il faut tout de même constater qu’Ignace d’Antioche (début du II e siècle) fait de nombreuses allusions à l’Évangile de Jean (( En parcourant les lettres d’Ignace d’Antioche, j’ai trouvé les allusions suivantes à l’Évangile de Jean : IEph. 5,2 ; 6,1 ; 7,2 ; 17,1 ; 18,1 et 19.1 ; IMagn. 7,1 ; 8,2 ; ITrall. 8,1 ; 11,1 ; IRom. 7,2 ; IPhilad. 2 ; 3,1 ; 7,1 ; 9,1 ; et 10.1 ; ISmyrn. 2-3. Certes, Jean n’y est pas cité de façon indiscutable (p. 32), mais cela prouve au moins qu’Ignace était imprégné de la tradition johannique. On ne peut manquer d’être impressionné par le nombre de ces allusions. )) , comme d’ailleurs à d’autres auteurs du Nouveau Testament.

Le processus de rédaction de Jean, par phases successives, tel que le conçoit Jean Zumstein, a bien sûr laissé des traces que l’exégète doit identifier ; il considérera ces adjonctions comme des indices de relectures qui l’aideront à interpréter le texte biblique. Par exemple du fait qu’à la fin de Jean 14, Jésus parte avec ses disciples et que la suite du récit les fassent se retrouver de l ’autre côté du Cédron, au chapitre 18, l’amène à penser qu’on a, dès le chapitre 15, une adjonction témoin d’une relecture. Cela donne des résultats différents, mais pas forcément contradictoires, avec ceux obtenus en suivant l’approche de la rhétorique sémitique, telle que je la pratique : Selon cette méthode synchronique, Jean 15 prend une position centrale dans l’ensemble des chapitres 13-17 et permet d’interpréter les parties extrêmes l’une par l’autre (Yves Simoëns, La gloire d’aimer, Rome 1981 est un bon exemple de ce type d’approche).

Relevons, dans cette première partie, le chapitre 3, que j’ai trouvé particulièrement intéressant, consacré à la méthodologie. Jean Zumstein commence par poser honnêtement, avec Rudolf Bultmann, qu’ « il n’existe pas d’exégèse sans présupposés » (p.63). Il proteste ensuite de son honnêteté intellectuelle et de son indépendance farouche face à toute institution. On ne peut que souscrire à ces affirmations, sauf peut-être, quand il revendique une autonomie de la raison… se veut-il autonome par rapport à Dieu ? Je me suis réjoui de voir (p. 73) qu’il considère que le texte doit être interprété selon l’ordre canonique et non plus selon une reconstruction historique jugée anachronique par rapport à la logique johannique.

Le cinquième chapitre de cette première partie, intitulé « Et nous savons que son témoignage est vrai », m’a en revanche laissé parfois dubitatif : tout à fait d’accord avec Jean Zumstein lorsqu’il assimile le genre littéraire évangile à une vita ou βιος, ( vie – comme dans les « Vies parallèles » , de Plutarque) ; par contre, peut-on le suivre quand, reprenant l’idée de A. Reinhartz, il écrit : « Chez Jean, nous n’avons pas affaire à une seule vita , mais à deux histoires qui sont intriquées l’une dans l’autres : l’histoire du Logos préexistant qui s’incarne, et l’histoire de Jésus de Nazareth. Ou, en d’autres termes, la vita de l’homme de Nazareth fusionne avec celle du Logos incarné ; elle est placée dans une perspective mythologique » (p. 85) ? Cette juxtaposition, si je comprends bien, du divin et de l’humain en la personne de Jésus fils de Joseph me semble aller à l’encontre du o λoγος σaρξ eγeνετο (« la Parole devint chair » – Jn 1.14). Cette vision des choses affecte le sens qu’il donne à la notion de témoignage vrai que Jean porte à la personne de Jésus : « La notion johannique de témoignage ne relève pas de l’historiographie. Le témoignage ne s’avère pas être vrai du fait de sa prétendue fidélité aux faits. Il est orienté christologiquement. Le témoignage… « vise à révéler la véritable identité du Jésus johannique. En d’autres termes, la vérité du témoignage n’est pas fondée dans la restitution exacte des événements advenus, mais elle se donne à connaître dans l’interprétation croyante de la personne du révélateur » (p. 100).

La deuxième partie est de loin la plus longue : plus de 270 pages (pp 131 à 405), 13 chapitres. Elle démontre et illustre, par des exemples concrets, comment l’auteur a mis en œuvre la méthode et les options présentées dans la première partie. Sont ainsi analysés le Prologue, le récit de la multiplication des pains, la guérison de l’aveugle né, le discours du Bon berger. Mais près des deux-tiers de cette partie sont consacrés à l’étude du dernier discours de Jésus (Jn 13-17) et du récit de la passion. Ce parcours de textes est très bien documenté ; l’auteur maîtrise très bien son sujet. La dernière partie (une centaine de pages) offre un parcours thématique dans l’Évangile : le péché, la connaissance, la haine, etc.

Il y aurait beaucoup à écrire sur cet ouvrage. Disons d’abord qu’il est de bonne qualité et aborde avec précision et de manière approfondie l’évangile de Jean. Je l’ai trouvé très stimulant, remettant en question mes idées sur cet évangile, me poussant à les repenser. Les questions qu’il pose sont très pertinentes : il est très précieux d’avoir quelqu’un qui nous aide à formuler les bonnes questions, même si ses réponses diffèrent des nôtres. Je suis ressorti de cette lecture enrichi d’une quantité de matière utile pour approfondir l’étude de l’évangile de Jean. Et puis, Jean Zumstein sait bien écouter le texte de Jean qu’il a étudié dans tous les sens. Recevoir ce qu’il a entendu et restitue m’aide à mieux percevoir les richesses de cet é vangile.

Jean Zumstein, L’apprentissage de la foi – à la découverte de l’Évangile de Jean et de ses lecteurs – Ed. Labor et Fides, 2015, coll. « Essais bibliques » – ISBN : 9782830915839 – 110 pages – € 15.– ou CHF 19.–

Jean Zumstein, Le visage et la tendresse de Dieu – Jésus sous le regard de Jean l’évangéliste – Éd. Cabédita, 2014, collection « Parole en liberté » – ISBN 9782882957184 – 96 Pages – € 14.50 ou CHF 22.–.

Ces deux ouvrages reprennent les thèses de Jean Zumstein, mais présentées pour un large public.Zumstein_apprentissage

L’apprentissage de la foi est la reprise revue et augmentée d’un ouvrage paru aux Éditions du Moulin en 1993. C’est une bonne introduction à l’Évangile de Jean où sont expliquées les différences entre Jean et les synoptiques, les particularités de Jean, l’utilisation de l’ironie, du malentendu. Il présente l’histoire de la communauté johannique, le processus de composition de l’Évangile et sa théologie.

Le visage et la tendresse de Dieu fait une lecture suivie de tout l’Évangile de Jean. Là Jean Zumstein fait œuvre de pasteur en expliquant et éclairant le texte biblique. Ce livre rendra service à tous ceux qui auront à présenter cet évangile dans une prédication ou une étude biblique.

Alain Décoppet

Christophe Paya, Nicole Deheuvels – Famille et conjugalité

Famille_conjugaliteChristophe Paya, Nicole Deheuvels Famille et conjugalité – regards chrétiens interdisciplinaires – Éditions Excelsis, La Cause, 2016 – Coll. OR (Ouvrages de Référence) – EAN 9782755002812 – 544 pages – CHF 43,29 ou € 39.–

Nicole Deheuvels est pasteure, conseillère conjugale et familiale, directrice du département Solos/Duos à la Fondation La Cause, formatrice à l’École des Parents et des Éducateurs. Christophe Paya est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie évangélique (Vaux-sur-Seine).

L’ouvrage que nous examinons aujourd’hui est une sorte de dictionnaire sur la famille et la conjugalité. Après avoir posé les bases théologiques du sujet, il aborde une cinquantaine de thèmes actuels tout en maintenant le lien avec l’enseignement biblique. Conseillers conjugaux, thérapeutes, formateurs, enseignants, psychologues et psychanalystes, pasteurs, formateur en médias et communication, juristes, animatrice jeunesse, chercheurs, au total, pas moins de 42 auteurs de professions diverses pour étayer et analyser les thèmes de cet ouvrage.

La thèse centrale de cet ouvrage pourrait se résumer ainsi : l’union Homme-Femme et la constitution d’une famille qui en découle est indissociable de la vision biblique Christ-Église. Paul parle même du mystère de cette comparaison (Ép 5,32). Toute réflexion sur la famille et la conjugalité prend en compte notre nouvelle nature en Christ et ses plans pour nous, selon Ep 2,10.

Notre analyse se décomposera en trois parties :

1. Historique biblique

Les auteurs nous font découvrir que, dans l’Ancien Testament, la Bible nous parle de la famille, mais que cette dernière ne possède pas sa forme définitive telle que désirée par Dieu : polygamie, esclavage et patriarcat… L’épouse, malgré des avantages prévus par les rites de l’époque, quitte sa famille pour être tout de même assujettie à son mari. Or, la vision de Dieu pour le couple est quasi l’inverse. En effet, dès la Genèse, « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair » (Ge 2,24). « Le couple est une réalité qui ne se réduit pas au cadre socioéconomique dans lequel il s’inscrit. C’est un lien autrement plus fort et plus profond qui unit les deux êtres qui le composent au point de n’en former plus qu’un » (p. 18).

Le livre des Proverbes fait étonnamment abstraction de la culture de l’époque et constitue un écrit remarquablement moderne. Il initie non plus seulement l’apparition de la valeur féminine sous la forme de témoignages anecdotiques, mais, au travers d’une reconnaissance officielle de la femme en qualité d’être unique, il valide sa valeur indispensable au sein de la famille.

Dans le Nouveau Testament, les 3 x 14 générations de la généalogie de Jésus (Mt 1,1-17) laissent percevoir la fragilité de la famille : il y a certes perpétuation des générations, mais le lien ne tient qu’à un fil en raison de situations familiales loin d’être claires et cohérentes. C’est peut-être justement au travers de ces faiblesses familiales, tout humaines, que l’Esprit trouve l’espace pour intervenir et conduire les plans de Dieu. Ces faiblesses démontrent également que le destin de l’enfant n’est pas entre les mains de ses parents. L’exemple de Jésus est remarquable : dès qu’il a 12 ans, ses parents sont dépassés par les événements, mais, par la foi, ils font confiance à Dieu, afin de mener à bien les projets divins. Au début de son ministère, Jésus fait découvrir une nouvelle dimension à la famille. La cellule traditionnelle va changer de statut, pour être relativisée par le Royaume. J’en veux pour preuve cette parole : « Qui est ma mère ? » (Mt 12,48) ; et Jésus de s’adresser à Dieu comme à un père et d’enseigner à ses disciples à en faire autant. Le Royaume qu’il annonce fait de tous ses adhérents, après qu’ils aient passé par une « nouvelle naissance », des membres de la famille céleste, des enfants de Dieu. Les anciens liens et positionnements sociaux sont caducs. Jésus offre à la femme et aux enfants un statut nouveau, en contradiction avec les mœurs de l’époque.

Pour terminer ce panorama historique de la Bible, les auteurs abordent la famille telle qu’elle apparaît dans les Épîtres : « la famille reste un lieu où la foi est appelée à se concrétiser et à s’affermir » (p. 32). Paul en particulier va développer des exemples pratiques de sa compréhension de la volonté divine, telle que transmise par Jésus. Dans le mariage, le mari et la femme sont placés fondamentalement sur pied d’égalité, tout en exerçant des responsabilités et obligations particulières dans le cadre d’une structure d’autorité voulue de Dieu. Dans son ministère et ses épîtres, Paul se trouve confronté à tous les aspects de la vie conjugale : mixité des couples, célibat, divorce, veuvage, infidélité, etc. Il répond aux questions ou constate des pratiques qu’il remet en cause. Des paroles difficiles (soumission de la femme à son mari) sont immédiatement placées dans un contexte spirituel (Christ et Église) et interdisent toute notion de subordination ou de servilité. D’autres paroles (femmes devant se couvrir la tête lors du culte) doivent être adaptées aujourd’hui, car le contexte socioculturel est différent. En effet, à l’époque de Paul, une femme qui se découvrait la tête en public, laissait entendre par là qu’elle était ouverte aux propositions des hommes en matière de séduction.

Les enfants ne sont pas en reste. Ils sont aimés de Jésus et protégés par les apôtres qui exhortent les parents à ne pas les irriter, mais à les « élever dans l’instruction et l’exhortation du Seigneur ». Les privilèges et pouvoirs parfois abusifs des parents sont sèchement remis en question. En conclusion, les apôtres ont utilisé la famille élargie comme terrain d’évangélisation et d’enseignement, renversant comme Jésus, des habitudes, « non pour abolir mais pour accomplir ».

2. Du temps de la Bible à aujourd’hui

Fort du point de vue biblique présenté ci-dessus, les auteurs abordent ensuite l’évolution de « la famille et de la conjugalité » au cours des deux millénaires du Christianisme en se focalisant principalement sur la situation européenne, voire française.

A l’époque du Nouveau Testament, le rôle premier du mariage est de donner un cadre à la procréation, sans qu’il ne soit marqué par une cérémonie religieuse – du moins celle-ci n’est pas documentée historiquement. Il faut attendre saint Augustin pour voir apparaître un contrat conjugal lié à un sacrement, alors que hors Église, le mariage est toujours un objet de transactions familiales ou politiques. Napoléon va subordonner le mariage religieux au mariage civil : désormais, les époux devront être préalablement munis d’un acte écrit officiel, pour pouvoir célébrer un mariage religieux.

Le XX e siècle sera le théâtre de bouleversements radicaux qui vont fortement changer la conception de la famille : guerres mondiales (avec absence des pères), remise en question du rôle et de la place de l’Église (Vatican II) et de la société (de mai 68 à aujourd’hui).

Les auteurs vont aborder cette évolution sous différents aspects : droit de la famille, mariage comme projet de vie, rapports femmes-hommes, principalement ces cent dernières années et sous des angles les plus divers (célibat, homosexualité, féminisme, adoption, interculturalité).

3. Avis personnel sur l’ouvrage

Ce dictionnaire de plus de 500 pages se lit facilement, car les sujets sont suffisamment bien classés pour s’y retrouver : bibliographie importante, index alphabétique par sujet. Si je conseille la lecture préalable de la partie historique biblique, l’ouvrage permet l’étude d’un thème sans connaître le chapitre précédent. Il nous interpelle par le biais de 19 défis actuels : des écrans à l’argent, de la fidélité à l’accompagnement spirituel des adolescents, l’intergénérationnel, la communication, les relations avec l’école.

Bien qu’applicable à la plupart des pays occidentaux – il reçoit de son ancrage biblique une dimension universelle – l’ouvrage prend principalement appui sur la société française, ce qui est regrettable. L’apport anthropologique d’une vie familiale africaine, asiatique ou sud-américaine, même non chrétienne, aurait pu également stimuler des recherches d’harmonie au sein de la vie familiale ou conjugale occidentales.

Raymond Henchoz