Jean Zumstein, La mémoire revisitée, études johanniques – Coll. « Le Monde de la Bible » N° 71 – Labor et Fides, Genève 2017 – ISBN 978-2-8309-1608-9 – 550 pages – € 32.– ou CHF 39.–
Il n’est guère nécessaire de présenter Jean Zumstein, professeur émérite de Nouveau Testament de l’Université de Zurich et spécialiste bien connu du quatrième Évangile dont il a notamment publié un remarquable commentaire en deux volumes (Labor et Fides, 2007 et 2014 – voir recension dans Hokhma N° 106). L’ouvrage que nous présentons ici contient un choix d’articles à portée scientifique que l’auteur a consacrés à cette question depuis les années 1990 ; il vise donc un public universitaire et lui permet de préciser les options qu’il a prises et la méthodologie suivie pour la préparation de son commentaire.
Ce livre s’articule en trois grandes parties :
1. Histoire et herméneutique (5 chapitres – 130 pages) fait l’histoire de l’Évangile de Jean et de sa réception dans l’Église. Zumstein voit la production de cet Évangile comme l’œuvre d’une école groupée autour du « disciple bien aimé » qui a mis en forme des traditions sur Jésus. Un premier texte aurait ensuite été repris (un peu comme le Siracide grec a repris l’œuvre de son grand-père Jésus ben Sirach) avec des adjonctions qui infléchissent le sens de l’œuvre et lui permettent de mieux répondre à la problématique d’une nouvelle situation. Mais une partie de l’Église l’ayant interprété dans une perspective docète, « Jean » aurait été obligé de donner une clé d’interprétation de son Évangile en écrivant sa première Épitre. Mais cela n’aura pas suffi. L’Évangile fut bientôt récupéré par des gnostiques et de ce fait suspecté par la Grande Église. Indice de cette réserve : Jean n’est pas cité de façon indiscutable par les écrivains ecclésiastiques avant la fin du II e siècle (p. 32-33). Il faudra, pour cela, attendre Théophile d’Antioche, Irénée et le Canon du Muratori. Faut-il en conclure, comme le pense Jean Zumstein, que le quatrième Évangile ait dû attendre une époque aussi tardive pour être reçu dans la Grande Église ? Cette hypothèse « minimaliste » a certes pour elle le mérite de la rigueur, mais il faut tout de même constater qu’Ignace d’Antioche (début du II e siècle) fait de nombreuses allusions à l’Évangile de Jean (( En parcourant les lettres d’Ignace d’Antioche, j’ai trouvé les allusions suivantes à l’Évangile de Jean : IEph. 5,2 ; 6,1 ; 7,2 ; 17,1 ; 18,1 et 19.1 ; IMagn. 7,1 ; 8,2 ; ITrall. 8,1 ; 11,1 ; IRom. 7,2 ; IPhilad. 2 ; 3,1 ; 7,1 ; 9,1 ; et 10.1 ; ISmyrn. 2-3. Certes, Jean n’y est pas cité de façon indiscutable (p. 32), mais cela prouve au moins qu’Ignace était imprégné de la tradition johannique. On ne peut manquer d’être impressionné par le nombre de ces allusions. )) , comme d’ailleurs à d’autres auteurs du Nouveau Testament.
Le processus de rédaction de Jean, par phases successives, tel que le conçoit Jean Zumstein, a bien sûr laissé des traces que l’exégète doit identifier ; il considérera ces adjonctions comme des indices de relectures qui l’aideront à interpréter le texte biblique. Par exemple du fait qu’à la fin de Jean 14, Jésus parte avec ses disciples et que la suite du récit les fassent se retrouver de l ’autre côté du Cédron, au chapitre 18, l’amène à penser qu’on a, dès le chapitre 15, une adjonction témoin d’une relecture. Cela donne des résultats différents, mais pas forcément contradictoires, avec ceux obtenus en suivant l’approche de la rhétorique sémitique, telle que je la pratique : Selon cette méthode synchronique, Jean 15 prend une position centrale dans l’ensemble des chapitres 13-17 et permet d’interpréter les parties extrêmes l’une par l’autre (Yves Simoëns, La gloire d’aimer, Rome 1981 est un bon exemple de ce type d’approche).
Relevons, dans cette première partie, le chapitre 3, que j’ai trouvé particulièrement intéressant, consacré à la méthodologie. Jean Zumstein commence par poser honnêtement, avec Rudolf Bultmann, qu’ « il n’existe pas d’exégèse sans présupposés » (p.63). Il proteste ensuite de son honnêteté intellectuelle et de son indépendance farouche face à toute institution. On ne peut que souscrire à ces affirmations, sauf peut-être, quand il revendique une autonomie de la raison… se veut-il autonome par rapport à Dieu ? Je me suis réjoui de voir (p. 73) qu’il considère que le texte doit être interprété selon l’ordre canonique et non plus selon une reconstruction historique jugée anachronique par rapport à la logique johannique.
Le cinquième chapitre de cette première partie, intitulé « Et nous savons que son témoignage est vrai », m’a en revanche laissé parfois dubitatif : tout à fait d’accord avec Jean Zumstein lorsqu’il assimile le genre littéraire évangile à une vita ou βιος, ( vie – comme dans les « Vies parallèles » , de Plutarque) ; par contre, peut-on le suivre quand, reprenant l’idée de A. Reinhartz, il écrit : « Chez Jean, nous n’avons pas affaire à une seule vita , mais à deux histoires qui sont intriquées l’une dans l’autres : l’histoire du Logos préexistant qui s’incarne, et l’histoire de Jésus de Nazareth. Ou, en d’autres termes, la vita de l’homme de Nazareth fusionne avec celle du Logos incarné ; elle est placée dans une perspective mythologique » (p. 85) ? Cette juxtaposition, si je comprends bien, du divin et de l’humain en la personne de Jésus fils de Joseph me semble aller à l’encontre du o λoγος σaρξ eγeνετο (« la Parole devint chair » – Jn 1.14). Cette vision des choses affecte le sens qu’il donne à la notion de témoignage vrai que Jean porte à la personne de Jésus : « La notion johannique de témoignage ne relève pas de l’historiographie. Le témoignage ne s’avère pas être vrai du fait de sa prétendue fidélité aux faits. Il est orienté christologiquement. Le témoignage… « vise à révéler la véritable identité du Jésus johannique. En d’autres termes, la vérité du témoignage n’est pas fondée dans la restitution exacte des événements advenus, mais elle se donne à connaître dans l’interprétation croyante de la personne du révélateur » (p. 100).
La deuxième partie est de loin la plus longue : plus de 270 pages (pp 131 à 405), 13 chapitres. Elle démontre et illustre, par des exemples concrets, comment l’auteur a mis en œuvre la méthode et les options présentées dans la première partie. Sont ainsi analysés le Prologue, le récit de la multiplication des pains, la guérison de l’aveugle né, le discours du Bon berger. Mais près des deux-tiers de cette partie sont consacrés à l’étude du dernier discours de Jésus (Jn 13-17) et du récit de la passion. Ce parcours de textes est très bien documenté ; l’auteur maîtrise très bien son sujet. La dernière partie (une centaine de pages) offre un parcours thématique dans l’Évangile : le péché, la connaissance, la haine, etc.
Il y aurait beaucoup à écrire sur cet ouvrage. Disons d’abord qu’il est de bonne qualité et aborde avec précision et de manière approfondie l’évangile de Jean. Je l’ai trouvé très stimulant, remettant en question mes idées sur cet évangile, me poussant à les repenser. Les questions qu’il pose sont très pertinentes : il est très précieux d’avoir quelqu’un qui nous aide à formuler les bonnes questions, même si ses réponses diffèrent des nôtres. Je suis ressorti de cette lecture enrichi d’une quantité de matière utile pour approfondir l’étude de l’évangile de Jean. Et puis, Jean Zumstein sait bien écouter le texte de Jean qu’il a étudié dans tous les sens. Recevoir ce qu’il a entendu et restitue m’aide à mieux percevoir les richesses de cet é vangile.
Jean Zumstein, L’apprentissage de la foi – à la découverte de l’Évangile de Jean et de ses lecteurs – Ed. Labor et Fides, 2015, coll. « Essais bibliques » – ISBN : 9782830915839 – 110 pages – € 15.– ou CHF 19.–
Jean Zumstein, Le visage et la tendresse de Dieu – Jésus sous le regard de Jean l’évangéliste – Éd. Cabédita, 2014, collection « Parole en liberté » – ISBN 9782882957184 – 96 Pages – € 14.50 ou CHF 22.–.
Ces deux ouvrages reprennent les thèses de Jean Zumstein, mais présentées pour un large public.
L’apprentissage de la foi est la reprise revue et augmentée d’un ouvrage paru aux Éditions du Moulin en 1993. C’est une bonne introduction à l’Évangile de Jean où sont expliquées les différences entre Jean et les synoptiques, les particularités de Jean, l’utilisation de l’ironie, du malentendu. Il présente l’histoire de la communauté johannique, le processus de composition de l’Évangile et sa théologie.
Le visage et la tendresse de Dieu fait une lecture suivie de tout l’Évangile de Jean. Là Jean Zumstein fait œuvre de pasteur en expliquant et éclairant le texte biblique. Ce livre rendra service à tous ceux qui auront à présenter cet évangile dans une prédication ou une étude biblique.
Alain Décoppet
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