Marie-Noëlle YODER, Quand genre, culture et foi s’entrechoquent. 20 questions sur le genre, Coll. Les dossiers de Christ seul (Points de repère), Editions Mennonites, 2023, 69 pages
Ce numéro des Dossiers de Christ seul dans la série des Points de repère suit une ambition claire. Il veut contribuer à informer les chrétiens sur les questions sociétales en général et sur la question épineuse du genre en particulier, car « l’Eglise ne doit pas éviter les interrogations ni les discussions menées avec humilité et intégrité » (p. 7), ainsi que l’écrit l’autrice en préambule.
Où se trouve l’épine qui fait du genre une notion génératrice de chocs ? Je serais tenté de répondre : quelque part autour de la ceinture ! Effectivement, aborder le sujet de la sexualité demande de le faire avec une certaine délicatesse. Nous touchons à l’intime, voire au secret, dont on sait aussi qu’il est le siège de bien des nœuds existentiels.
Mais comme le souligne la théologienne mennonite Marie-Noëlle Yoder, une autre épine s’est fichée à l’intersection de deux, ou de trois générations, si l’on en croit l’incompréhension évidente qui a grandi entre la génération Z, celle des jeunes nés dans les années 2000, et les précédentes, vite qualifiées « d’anciennes » sur ce sujet. De fait, la série de 20 questions abordées dans l’ouvrage s’ouvre sur la description succincte (c’est son avantage) mais probablement trop binaire (c’est son inconvénient) des modèles anciens et nouveaux de la différence sexuée (pp. 8 à 17). Il est vrai qu’en l’espace de quelques années les repères, les codes semblent avoir été profondément modifiés. Le seront-ils de manière durable et définitive ? Nous sommes en droit de nous poser la question.
Qu’est-ce que le genre ? Il s’agit du « sexe social » ou du « sexe culturel » (p. 17), qui revisite en profondeur la question de l’identité pour en faire un kaléïdoscope bigarré et largement personnalisable. L’autrice connaît cette question qui éclaire en premier lieu les relations hommes-femmes, un sujet qu’elle connaît bien. Les questions franches, suivies de réponses courtes et précises apportées dans l’ouvrage permettent d’en donner un aperçu sinon complet, du moins très évocateur. Car c’est tout un champ lexical qui se présente et donne parfois le tournis : identité sexuée, orientation sexuelle, identité et expression de genre, transgenrisme, non-binarité, asexuation, sans parler du sigle désormais connu, mais pas toujours compris de LGBTQIA+ …
En matière de genre, il est évidemment bon de savoir de quoi on parle, mais aussi et peut-être surtout à qui on parle, veut nous dire Marie-Noëlle Yoder, qui insiste pour que, dans le dialogue qui doit s’établir sur le sujet, l’amour ait la part belle avec la vérité, dans une visée toute pastorale. Les dernières questions 18 à 20 (pp. 55 à 64) s’intéressent donc à l’attitude des Eglises et à la recherche de points d’accord entre foi chrétienne et théories du genre : l’affirmation de l’égale dignité de tous les êtres humains, l’exigence de reconnaître et d’accueillir pleinement cette dignité – sans qu’il soit pour autant question d’accueil « inconditionnel », ou encore la perspective de vies transformées qui est un point commun, selon l’autrice, entre une vie changée par Dieu et les transitions de genre. Autre point de rapprochement, qui étonnera peut-être : la valorisation du célibat et de la chasteté, qui est à la fois un fait de l’Ecriture et une aspiration des jeunes générations de notre époque.
Nous pouvons juger plus ou moins pérennes les revendications identitaires multiples qui se nourrissent de la déconstruction du genre. L’ouvrage plaide pour que le dialogue reste ouvert, et se refuse à une attitude trop critique vis-à-vis du phénomène. Il choisit de donner des jalons incontestablement utiles pour en avoir une meilleure compréhension, mais se montre prudent pour ce qui est des affirmations théologiques à mettre en regard. Celles-ci sont suggérées, la conviction de Marie-Noëlle Yoder étant qu’elles fournissent un « cadre structurant » (p. 62), mais elles n’entrent que peu en tension avec les revendications de genre. Signalons quand même à titre d’exemple la mention de l’extériorité de Dieu venant corriger la tendance contemporaine à l’autodétermination de l’individu (pp. 47 à 49) ; l’équilibre à rechercher entre identité sexuée et identité de genre (p. 62). Parmi les questions restées en suspens figure celle de l’accompagnement, spécifique ou non, des personnes affirmant une identité de genre autre qu’hétérosexuelle, accompagnement tombé sous le coup de la loi anti « thérapies de conversion ».
A la lecture de ce dossier, je me suis aussi demandé si son autrice ne minimisait pas l’influence du militantisme LGBT et ses excès dans la société et parfois aussi dans les Eglises. Les retours en arrière actuellement constatés dans plusieurs pays sur les parcours de transition laissent penser que l’on revient sur de prétendus acquis de ce militantisme. De ce point de vue, le slogan « L’homophobie et la transphobie n’ont pas leur place dans l’Eglise » (cf. p. 61) peut bien sûr servir un meilleur accueil de toute personne, mais il sert aussi à disqualifier toute ré-affirmation théologique de la différenciation sexuée homme-femme.
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