Christine Schirrmacher, L’islam : Histoire, doctrines, islam et christianisme Charols : Excelsis, 2016. 830p. ISBN : 978-2-7550-0288-1 – € 39.– ou CHF 52.–.
Si cette introduction de l’islamologue allemande Christine Schirrmacher n’est certes pas un traitement exhaustif de tous les sujets ayant traits à l’islam – malgré plus de huit cent pages, elle a le mérite d’aider le lecteur non initié à découvrir de manière systématique les principaux aspects d’une religion qui, bien que souvent côtoyée dans nos pays occidentaux, reste habituellement peu connue des chrétiens évangéliques à qui s’adressent en premier lieu cet ouvrage. Experte reconnue en la matière, Christine Schirrmacher a exercé des responsabilités dans différents instituts. Depuis 2014, elle est professeur d’études islamiques à l’Institut des études orientales et asiatiques de l’université de Bonn (Allemagne). Elle enseigne aussi aux Facultés de théologie évangélique de Louvain en Belgique (depuis 2005) et de Giessen en Allemagne (depuis 2003). Consultante de l’Alliance Évangélique Mondiale au sujet de l’islam, elle dirige également l’Institut des études islamiques de l’Alliance Évangélique Allemande. La traduction française de cet ouvrage correspond à la deuxième édition révisée et augmentée de l’édition originale allemande (2003).
Une première partie historique traite de la genèse de l’islam. Avant de présenter en deux courts chapitres la vie de Muhammad, dont les éléments biographiques semblent être davantage alimentés par la tradition (le hadith) que par des sources historiques fiables, l’auteur nous fait découvrir les traits caractéristiques de la péninsule Arabique avant sa venue. Elle le fait en termes de judaïsme et de christianisme, mais aussi sur fond d’animisme et de polythéisme. Suit un court développement sur les premières vagues de conquête de l’Islam. Il en ressort clairement que le fondateur de l’islam était autant prophète que dirigeant politique. Les questions de succession seront donc autant d’ordre politique que religieux.
Dans une deuxième partie (trois fois plus longue que la première), le lecteur est introduit à la doctrine et à l’éthique islamiques. On y trouve des sujets basiques comme le texte du Coran, les cinq piliers de l’islam (confession de foi, prière, aumônes, jeûne et pèlerinage) ou encore le droit islamique (les règles et préceptes de la charia). Schirrmacher analyse le type de relation que l’islam cherche à établir entre Dieu et l’homme, ainsi que les responsabilités qui en découleraient. L’incrédulité et l’apostasie décrivent ce qui est opposé à la foi musulmane et en tant que tels sont des thèmes récurrents. Elle consacre une place toute particulière à la femme et à la condition féminine dans l’islam – pas moins d’une vingtaine de points. Mariage et célibat, tenues vestimentaires et modes de vie dans le monde islamique font partie des sujets abordés.
Bien que la troisième partie annonce une présentation des courants de l’islam, on s’attend en vain à des chapitres séparés traitant des deux grands groupes, les chiites et les sunnites. Après un chapitre intitulé « Les chiites » qui fait bien mention de la division qui intervient très tôt après la fondation de l’islam, on passe directement au fondamentalisme (avec en point de mire les Frères musulmans sunnites) puis à la mystique (le soufisme) islamique. On y apprend que l’islam est une réalité autant religieuse que géopolitique avec une grande diversité de facettes. Parmi les groupements qui en sont issus, certains sont exclus de l’islam, d’autres non. Pas toujours pour des raisons théologiques, mais quelquefois pour des raisons politiques. Le mouvement Ahmadiyya, né en Inde au début du XXe siècle, fait partie de ces derniers. Peut-être moins connu du grand public, il est particulièrement hostile envers le christianisme et exerce une importante activité missionnaire, notamment en Europe. S’il est important de connaitre le point de vue des théologiens, il est tout aussi important de réaliser à quel point pour une grande majorité de musulmans, tout comme de chrétiens d’ailleurs, foi est synonyme de piété populaire avec son lot de superstitions, de vénération (de certains personnages autres que Mohammad) et de pèlerinages (visites de certains lieux) pour honorer quelque vœu et/ou dans l’espoir d’en tirer quelque bénéfice.
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage s’intéresse plus particulièrement aux convergences et différences entre islam et christianisme d’un point de vue évangélique. Selon Schirrmacher, la tradition islamique aurait tendance à donner une image plus négative des chrétiens et de la foi chrétienne que le Coran lui-même. Mais même si celui-ci se réfère de façon sélective aux écritures juives (AT) et chrétiennes (NT), les allusions aux textes et personnes bibliques dans le Coran y seraient souvent vagues et donneraient lieu à une lecture nouvelle et différente propre à l’islam. Ainsi, par exemple, le titre de « Christ » accordé à Jésus dans le Coran ne serait plus qu’un simple titre honorifique, dénué de toute signification messianique spécifique. Mis à part l’attention accordée à la place des prophètes bibliques (et non bibliques) dans le Coran, il est significatif de découvrir le statut particulier que le Coran attribue à Jésus. Mais c’est surtout la relecture musulmane de la christologie – notamment les évènements-clés que sont la crucifixion et la résurrection – au travers de ses écrits et de sa théologie qui est des plus intéressantes. Au cœur des controverses islamo-chrétiennes se trouve un document qui daterait de l’époque médiévale, l’Evangile de Barnabé, dont certaines déclarations ne seraient conformes ni avec le Coran, ni avec la Bible. La compréhension chrétienne d’un salut possible par l’intermédiaire de Jésus et de son œuvre est donc fondamentalement différente de la représentation islamique du salut qui part du principe que Muhammad est l’ultime prophète de Dieu et le Coran l’ultime vérité révélée et digne de foi (par opposition à la falsification présumée des Ecritures juives et chrétiennes).
L’ouvrage conclut avec deux chapitres historiques, l’un sur la critique de l’islamologie et l’autre sur la controverse islamo-chrétienne. On ne s’étonne pas vraiment de trouver parmi les sujets particulièrement sensibles : les croisades, le colonialisme (européen) et l’approche historico-critique du monde académique occidental des langues et cultures orientales. On peut se demander cependant pourquoi l’auteur choisit de présenter dans ce même chapitre, plutôt que dans un chapitre séparé sur la mission chrétienne en terre musulmane, quelques-uns des premiers missionnaires protestants dans le monde islamique. Parmi les annexes, on trouvera un glossaire fort utile des termes arabes utilisés dans le texte.
On peut regretter l’absence d’un chapitre spécifique traitant de la place de l’islam en Europe, hier et aujourd’hui, qui aurait pu aborder plus particulièrement des problématiques telles que islam et laïcité, l’intégration des minorités musulmanes dans nos sociétés européennes, ou encore la compatibilité entre l’islam et la démocratie occidentale.
Raymond Pfister
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