André Wénin, Dix paroles pour la vie

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WeninAndré Wénin, Dix paroles pour la vie — Bière, Éd. Cabédita, 2918. – ISBN 978-2-88295-836-5 – 96 pages – € 14,50 ou CHF 22.–

André Wénin est un spécialiste de l’Ancien Testament. Il a enseigné à l’Université Catholique de Louvain et publié plusieurs ouvrages de théologie biblique, notamment sur la Genèse.

Beaucoup de présentations ont été écrites sur le décalogue. Celle-ci fait une bonne synthèse de la question, destinée à un large public.

Wénin commence par replacer le décalogue dans son contexte : Dieu a libéré Israël de l’esclavage ; la sortie d’Égypte, avec le passage de la mer rouge, est présentée comme une naissance du peuple qui, désormais en vie, est appelé à la liberté. La première de ces paroles (« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir de la terre d’Égypte, de la maison de servitude ») présente Yahwé comme le Dieu qui libère et veut la liberté pour son peuple. Les paroles qui suivent ne sont pas des commandements de choses à faire ; leur forme négative au futur sont des moyens de barrer de fausses pistes, des routes qui conduisent à des impasses, afin de rester libre (p. 34). La Torah vise à prémunir le peuple contre la mort, sous toutes ses formes (Cf. Dt 30,15-20). Les psaumes 19 et 119 vont dans le même sens, ainsi que les textes sapientiaux et même le judaïsme rabbinique ; il cite entre autres Pirke Avoth 6,2 qui (grâce à un Al Tiqra qui lit « liberté » au lieu de « gravée ») voit dans la Torah une source de liberté (p. 36).

Ensuite, dès la p. 40, il fait une présentation intéressante des deux premiers commandements pour dire que la relation de Dieu avec son peuple dépendra de la manière dont celui-ci gardera l’alliance. “Pas d’autre Dieu” : cet autre Dieu est le serpent de Genèse 3, texte qu’il analyse pour montrer que la Torah constitue un rempart contre la convoitise.

L’interdiction de faire des images taillées fait pièce au veau d’or et aux taureaux de Béthel, fabriqués pour palier l’invisibilité de Dieu. L’absence de Moïse a créé un manque, une angoisse qu’on a voulu compenser par l’idolâtrie. Là-derrière, il y a le manque de confiance à une parole de Dieu, comme dans le jardin d’Éden. Le taureau veut représenter la puissance de Dieu, mais celle-ci se trouve figée, par le fait qu’il n’est qu’une image. Plus : si Israël est dans l’angoisse, parce qu’il n’a pas confiance en Dieu, il va projeter son angoisse sur son idole et empêcher Dieu d’être lui-même ; il s’asservit ainsi à lui-même. « Sans le savoir, l’idolâtre est esclave de ce qui, en lui, donne naissance à cet autre Dieu ou le pousse à figer YHWH dans l’image qu’il se fait de lui : la convoitise, qui est aussi bien désir refusant toute limite, qu’angoisse de manquer, de mourir. » (p. 51). Quand la Bible dit que Dieu est jaloux, elle veut dire qu’il aime son peuple et ne peut pas souffrir de le voir se faire du mal à lui-même. Dieu est jaloux de la liberté qu’il a donnée à Israël. Dieu “visite” le péché ; ce verbe implique un examen, et parfois, mais pas toujours, une punition ; et quand celle-ci survient, c’est pour stopper la progression du mal. Pour illustrer et expliquer la conséquence de la faute des pères sur les enfants, Wénin fait une analyse narrative très intéressante et stimulante de l’histoire des patriarches, d’Abraham à Joseph (Genèse 12-50).

Dès la p. 57, il aborde la partie centrale du décalogue, dans la version du Deutéronome : garder le Sabbat et honorer père et mère. Le sabbat rappelle qu’on est libre de l’esclavage du travail et que même ses esclaves sont également libres !

Ensuite, il reprend ce commandement du sabbat dans la version de l’exode, où il est associé à la création. Dieu se limite et se sépare de l’univers, en même temps qu’il crée la place nécessaire à l’alliance (p. 62). Par l’initiation du sabbat (Ex 16), Israël apprend aussi à se limiter, à renoncer à sa convoitise et se rend ainsi disponible à l’alliance. Il est libéré du travail et de la convoitise. L’obéissance à cette parole met en relief la liberté que Dieu donne à son peuple, y compris les esclaves qui ne doivent pas travailler non plus ce jour-là ! Celui qui refuse le sabbat montre qu’il se fait esclave de lui-même et de son travail.

De la p. 67 à 75, il traite des commandements 3 et 5 qui encadrent celui sur le sabbat. Il les voit comme faisant lien entre respectivement le début et le centre du décalogue et entre la fin et le centre. Le commentaire est assez classique.

De la p. 77 à 85, il parle du prochain, objet des dernières demandes du décalogue. La convoitise est à l’origine du meurtre, de l’adultère et du vol, etc. À la fin du chapitre, il illustrera cela par les histoires de Caïn, de David et de Joseph.

La conclusion rappelle que la convoitise est à la base de tout mal, de l’idolâtrie, comme des fautes commises à l’égard du prochain de la seconde table. Le Sabbat forme l’antidote à cela ; il en va de même de la générosité préconisée dans Dt 26 pour les pauvres ; elle est un apprentissage à lutter contre la convoitise.

À part quelques interprétations psychologisantes, voire midrashiques, ici et là, qui ne m’ont pas totalement convaincu, le livre est bien fait ; il est très pénétrant et offre une lecture renouvelante du décalogue.

Alain Décoppet

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