Elisabeth Schulz, L’adoration éclairée par l’Ancien Testament: connaître, honorer,respecter et servir Dieu par amour

Spread the love

Dans notre compréhension occidentale moderne, l’acte d’adoration est souvent limité à un espace-temps défini et à une notion d’intimité entre le croyant et Dieu. Ainsi, dans son étude sur le pentecôtisme en Polynésie, Yannick Fer décrit des moments d’effervescence collective où « l’émotion partagée avec la communauté d’église est subjectivement ressentie comme un des signes de la présence immédiate de Dieu »1. La pratique de ce que nous considérons comme étant « l’adoration » renvoie donc à une expérience collective durant des temps de louange ou de prière, ou à un temps de communion personnelle avec Dieu (seul dans sa chambre par exemple) pendant un moment mis à part dans la journée.

Parce que l’adoration est un acte central dans notre culte, il semble intéressant de revenir sur la pratique de l’adoration dans l’Ancien Testament afin de prendre conscience des différentes dimensions qu’elle revêt. Nous allons donc voir que l’adoration ne correspond pas seulement à une activité limitée à un cadre spatio-temporel précis, comme la célébration d’une fête solennelle au Temple. Mais comme les prophètes l’enseignent, il s’agit aussi d’un style de vie. En d’autres termes, l’adoration renvoie à la fois à des temps particuliers avec Dieu et à un mode de vie.

Comme nous le verrons, dans l’Ancien Testament, l’adoration est liée au fait de connaître Dieu, l’honorer et le servir, ou encore le craindre. À travers cet article nous voulons montrer que, dans la Bible, le fait d’adorer Dieu ne se limite pas juste à le dire mais qu’il s’agit véritablement d’un acte qui impacte notre vie entière, nos choix, nos décisions (Dt 6,5). Ainsi peu importe si les mots « adorer » et « aimer » sont interchangeables dans notre vocabulaire moderne, ce qui importe pour Dieu, c’est que nous l’adorions par nos actes et pas seulement en paroles.

Dans cette étude2 qui porte sur le thème de l’adoration dans l’Ancien Testament, le Nouveau Testament nous apportera un éclairage indispensable pour expliquer le sens théologique de certains rites et pratiques parce que la notion d’adoration y est approfondie. Notre but est de comprendre ce qu’est l’adoration et ce que cela implique d’adorer Dieu. Dans notre réflexion, nous nous appuierons sur l’étude du vocabulaire hébreu biblique lié à l’adoration. Alors que Jésus dit que Dieu recherche des adorateurs en esprit et en vérité (Jn 4,23), de quelle manière cette parole résume-t-elle ce que les prophètes ont unanimement répété ? Dès lors, comment devenir un adorateur selon le cœur de Dieu ? Comment expérimenter véritablement une vie d’adoration ? Pour répondre à ces questions il est nécessaire de comprendre le cœur de Dieu et de connaître sa volonté. La Bible nous dévoile ces aspects, mais quelle est notre réponse ? En effet, toute l’Écriture nous pousse à adorer Dieu parce qu’elle nous permet de prendre conscience de son amour, sa grâce, sa sagesse et sa souveraineté. Ainsi en examinant le thème de l’adoration dans l’Ancien Testament, le but est d’élargir notre manière de percevoir et de comprendre la notion d’adoration pour éventuellement en élargir notre pratique. Nous allons voir que les prophètes enseignent que, pour entrer dans une vie d’adoration, une transformation intérieure est nécessaire et indispensable. Tel est le message qui parcourt tout l’Ancien Testament et que viennent relayer les auteurs du Nouveau Testament.

L’adoration n’est pas un acte intéressé

Dans la onzième tablette de l’épopée babylonienne de Gilgamesh datant du IIIème millénaire av. J.-C.3, l’auteur raconte les circonstances qui entourent un déluge sur terre. Il nous rapporte alors que les dieux se réunirent et qu’ils prirent la décision de détruire la terre par un déluge mais que le Dieu Ea s’éclipsa secrètement pour prévenir un humain Uta-Napishtim. Ce dernier fabriqua alors une arche cubique en utilisant comme matériaux sa propre maison. Puis, il y fit rentrer sa famille, son timonier et des paires d’animaux. Il referma la porte quand le Dieu Soleil Shamach lui en donna le signal. Durant deux semaines, le déluge s’abattit avec violence sur terre au point que même les dieux prirent peur. Or, dans l’épopée de Gilgamesh, l’auteur nous explique que durant tout ce temps les dieux furent privés de nourriture c’est-à-dire des offrandes que leur apportaient les humains. Quand Uta-Napishtim quitta enfin l’arche, il décida d’offrir un sacrifice aux dieux. Il est alors écrit que ces derniers « s’agglutinèrent comme des mouches » autour de l’offrande.

Dans l’Ancien Orient, les personnes apportaient des offrandes à leurs divinités dans un but intéressé. En effet, en échange de leurs offrandes, les dieux étaient censés leur apporter leurs faveurs4. Le rapport avec les dieux consistait donc en un échange d’intérêts : donner des offrandes pour recevoir des bénédictions. Or le culte à Yahvé est à contre-courant de ces pratiques et de ces croyances, puisque Dieu invite son peuple à l’adorer pour qui il est, sans rien attendre en retour5. Ce n’est pas parce qu’on lui apporte des sacrifices et des offrandes qu’il bénit son peuple mais il le bénit parce qu’il aime son peuple. Il a choisi le peuple d’Israël pour faire alliance avec lui et se révéler aux nations. C’est parce qu’Israël se repent, cherche la réconciliation avec son Dieu et manifeste de l’amour que la bénédiction vient.

Comme l’illustre le récit d’Uta-Napishtim, selon les croyances religieuses de l’époque, les Baals, Astarté, Mardouk, et autres dieux et déesses avaient besoin des offrandes des hommes pour vivre parce qu’ils n’étaient pas souverains et tout-puissants. Ainsi, ils dépendaient de la main de l’homme. Mais Dieu se démarque de toutes les croyances de l’Ancien Orient parce qu’il ne cède pas à toutes ces formes de manipulation. Contrairement à la conception des dieux dans l’Ancien Orient, il n’a pas besoin des offrandes des hommes pour vivre. C’est ainsi que dans l’Ancien Testament, l’adoration est avant tout un acte de reconnaissance envers Dieu non un acte de marchandage. C’est un acte qui marque une double reconnaissance : le peuple reconnaît qu’il est le Dieu d’Israël et il reconnaît ce qu’il a fait (création du monde, délivrance d’Égypte, expiation possible par les sacrifices, etc.). Les textes de l’Ancien Testament montrent que Dieu ne rejette pas juste l’idolâtrie, c’est-à-dire la croyance en d’autres divinités, mais il rejette la mentalité associée à l’idolâtrie par laquelle le fidèle donne pour recevoir. La vraie adoration rendue au Dieu d’Israël est un acte désintéressé qui puise dans l’amour de l’adorateur.

1.2 Pas d’adoration sans expiation

Dans l’Ancien Testament, nous découvrons diverses formes d’adoration comme les sacrifices d’animaux, les offrandes de céréales, les prières et les louanges. La loi mosaïque orchestre et réglemente ces rituels. Les Psaumes composés, entre autres, de louanges et de lamentations, sont riches en expression d’adoration. Ils sont d’ailleurs encore utilisés aujourd’hui. Or, ce qui nous rend capables de véritablement adorer Dieu, c’est-à-dire de nous tenir dans un cœur un cœur dans sa présence, c’est le fait que nos péchés ont été expiés. Ainsi, le système sacrificiel, qui avait été mis en place avec la loi mosaïque, avait pour but de permettre à l’être humain pécheur de s’approcher de Dieu en étant rendu saint. Ce système nous préparait à comprendre et à accepter le plan de rédemption de Dieu pour nous à travers l’expiation de nos péchés par Jésus sur la croix. La venue de Jésus marque donc un basculement puisque désormais par le sacrifice du Fils, nous avons accès au Père de manière permanente. En d’autres termes, nous pouvons adorer Dieu en esprit en vérité parce que le sacrifice de Jésus a permis d’expier nos péchés. Le Saint-Esprit nous remplit de manière permanente, alors qu’avant son accès était ponctuel. Il est la puissance surnaturelle qui rend l’adoration possible. Nous voyons donc que la repentance est une étape incontournable avant de parler d’adoration. Ainsi David rappelle que Dieu regarde au cœur (Ps 51,16-17) :

Si tu eusses voulu des sacrifices, je t’en aurais offert ; mais tu ne prends point plaisir aux holocaustes. Les sacrifices qui sont agréables à Dieu, c’est un esprit brisé : Ô Dieu ! tu ne dédaignes pas un cœur brisé et contrit6.

Une repentance sincère marque le premier pas vers Dieu. La grâce de Dieu peut alors agir car l’expiation de nos péchés – symbolisée par les sacrifices dans l’Ancien Testament puis accomplie au travers de Jésus – nous ouvre le chemin et rend l’adoration possible. Mais les choses ne s’arrêtent pas avec la repentance…

1.2 L’adoration a des conséquences dans la vie quotidienne

Nous voyons que les prophètes jouent un rôle crucial en rappelant au peuple l’importance d’une adoration sincère. Or, les livres des prophètes, qui se situent entre le VIIIe et le Ve siècle, montrent que l’injustice sociale sévit, avec l’approbation de la prêtrise. Ils dénoncent l’hypocrisie religieuse qui consiste à avoir l’air juste et droit en apparence tout en pratiquant l’injustice et le mal.

Au Ier siècle de notre ère, Jésus affirme que Dieu recherche des adorateurs qui adorent en esprit en vérité c’est-à-dire des personnes qui aiment sincèrement leur Créateur. Ce dernier ne cherche pas des personnes qui veulent juste recevoir ses bénédictions. Au contraire, ils cherchent des personnes qui l’aiment sincèrement. Dieu sonde les cœurs et connaît nos motivations cachées. Il sait si on l’aime sincèrement ou non. C’est pourquoi, à travers la bouche de Samuel (1 S 15,22) il nous fait comprendre ce qui touche son cœur :

L’Éternel trouve-t-il du plaisir dans les holocaustes et les sacrifices, comme dans l’obéissance à la voix de l’Éternel ? Voici, l’obéissance vaut mieux que les sacrifices, et l’observation de sa parole vaut mieux que la graisse des béliers.

Or, à quoi Samuel fait-il référence quand il parle d’obéissance ? Jésus résume les commandements de Dieu en deux paroles : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, ton âme et ta pensée » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lc 10,27 ; Mt 22,37 ; Mc 12,31). L’essence des lois mosaïques est ainsi résumée par Jésus : c’est l’amour. Or l’amour se traduit par des actes concrets : faire le bien, être droit et juste. En revanche, accomplir toutes ces choses sans amour ne sert à rien. La religiosité, le légalisme et les démonstrations liturgiques sans amour ne servent à rien, comme le dénonce Dieu à travers Ésaïe (1,11) :

Qu’ai-je affaire de la multitude de vos sacrifices ? dit l’Éternel. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux ; je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs.

En effet, Dieu connaît l’état de cœur de celui qui s’approche de lui pour l’adorer (Es 29,13) :

Le Seigneur dit : quand ce peuple s’approche de moi, il m’honore de la bouche et des lèvres ; mais son cœur est éloigné de moi, et la crainte qu’il a de moi n’est qu’un précepte de tradition humaine.

Comme nous allons le voir l’adoration est avant tout un acte d’amour même quand il revêt une forme cultuelle. L’adoration est la manifestation de l’amour de l’être humain pour son roi et suzerain à travers son obéissance à sa Parole7. Cet amour peut prendre la forme d’un cœur à cœur intime et profond avec Dieu durant un temps particulier (cf. les Psaumes de David, le chant de Myriam, le chant de Déborah, le Psaume de Jonas). Mais l’obéissance par amour se manifeste aussi, chaque jour, à chaque instant, envers notre prochain. En effet, notre adoration envers Dieu s’exprime dans notre manière d’aimer notre prochain, à travers notre comportement dans la vie de tous les jours. Un des messages qui caractérise l’enseignement du prophète Amos, qui fait l’unanimité chez les prophètes est le fait de dénoncer l’injustice sociale, l’idolâtrie et les pratiques superficielles du culte et du shabbat (Am 5,21-24) :

Je déteste, je méprise vos fêtes, je ne peux pas sentir vos assemblées. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, Je n’y prends aucun plaisir, […] Mais que la droiture soit comme un courant d’eau, et la justice comme un torrent qui jamais ne tarit.

Comme Dieu le dit au travers d’Amos mais aussi de Michée, Ésaïe, ou encore Samuel, il n’y a pas d’adoration sans les actes qui en découlent. Celui qui adore Dieu pratique le bien et la justice ! C’est-à-dire qu’il met en pratique « les fruits de l’amour ». Le peuple d’Israël a été enseigné sur que Dieu demande, notamment par Zacharie, un des derniers prophètes de l’Ancien Testament, qui rappelle à deux reprises :

Za 7,7-10

Ne connaissez-vous pas les paroles qu’a proclamées l’Éternel par les premiers prophètes, lorsque Jérusalem était habitée et tranquille avec ses villes à l’entour, et que le midi et la plaine étaient habités ? La parole de l’Éternel fut adressée à Zacharie, en ces mots. Ainsi parlait l’Éternel des armées : Rendez véritablement la justice, et ayez l’un pour l’autre de la bonté et de la miséricorde. N’opprimez pas la veuve et l’orphelin, l’étranger et le pauvre, et ne méditez pas l’un contre l’autre le mal dans vos cœurs.

Za 8,16-17

Voici ce que vous devez faire : dites la vérité chacun à son prochain. jugez dans vos portes selon la vérité et en vue de la paix ; que nul en son cœur ne pense le mal contre son prochain, et n’aimez pas le faux serment, car ce sont là toutes choses que je hais, dit l’Éternel.

Dieu le déclare à plusieurs reprises par la bouche des prophètes du VIIIe siècle av. J.-C., il « recherche la droiture et la justice qui sont les fruits d’un amour sincère envers lui »8 (Mi 6,6-8) :

Avec quoi me présenterai-je devant l’Éternel, pour m’humilier devant le Dieu Très Haut ? Me présenterai-je avec des holocaustes, avec des veaux d’un an ? L’Éternel agréera-t-il des milliers de béliers, des myriades de torrents d’huile ? Donnerai-je pour mes transgressions mon premier-né, pour le péché de mon âme le fruit de mes entrailles ? On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien ; et ce que l’Éternel demande de toi, c’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu.

À notre époque, le message reste pertinent. Comme dit cet idiome : l’habit ne fait pas le moine. Dieu n’attend pas de nous d’avoir une apparence « chrétienne » par notre manière de parler ou de nous habiller. Dieu n’a pas besoin que nous soyons des vitrines. Il veut des adorateurs authentiques qui ne dissimulent pas leurs péchés derrière de belles apparences. De plus, parfois, nous sommes plus en quête de temps émotionnels forts, que de Dieu lui-même. Nous avons l’impression qui si nous faisons une expérience émotionnelle, ce sera le signe que nous sommes en relation avec Dieu. Mais Dieu veut nous conduire plus loin : il n’attend pas de nous que nous soyons des vases beaux à l’extérieur, alors que nos cœurs contiennent de l’eau croupie. Il attend de nous que nous pratiquions le bien et la justice parce que nos cœurs sont changés par l’œuvre du Saint-Esprit. Celui qui aime connaît Dieu. Il sait que c’est ainsi que Dieu agréé une adoration sincère.

Dis-moi qui tu sers, je te dirai qui tu aimes

David Peterson déclare que l’adoration n’est réellement définie nulle part dans l’Écriture9. En effet, il n’y a pas de terme hébreu pour traduire le mot français « adorer ». Au contraire, en hébreu biblique, il existe plusieurs termes comme « se prosterner », « honorer », « servir », « travailler », « craindre » que les traducteurs traduisent parfois par le mot « adorer ». Ce qui signifie que derrière ce simple mot « adorer », dans le texte hébraïque, il existe diverses significations qui traduisent la richesse et l’étendue de ce qu’implique l’adoration. Pour rappel, en français le mot latin adorare vient du mot ados c’est-à-dire « à la bouche ». Adorare signifiait « prononcer un plaidoyer, une formule rituelle, puis une prière. En français, nous comprenons l’acte d’adorer comme le fait de rendre un culte à Dieu, de manifester un attachement et une vénération à une divinité, d’aimer d’une affection ou d’un amour passionné. Ainsi, dans notre conception occidentale « l’adoration est une activité qui consiste à glorifier Dieu en élevant nos voix devant lui de tout notre cœur »10.

Or, en hébreu la réalité derrière l’acte d’« adorer » est beaucoup plus vaste et complexe. Quand nous reprenons l’Ancien Testament et que nous examinons les termes relatifs à l’adoration, les mots bibliques montrent avant tout que l’adoration est liée conjointement au fait d’honorer ou rendre hommage et de servir. Ainsi, on dégage deux grandes familles de mots en hébreu biblique :

  • « l’hommage/la prosternation » est traduit par shaḥah (שחה) ou sagad/segid (םגד)
  • « travailler » et « servir » sont traduits respectivement par avad (עבד) et sharat (שרת).

Mais nous allons voir que l’adoration est également associée à d’autres verbes comme « craindre », « connaître », « chercher » et « aimer ». En effet, il faut savoir que les traducteurs choisissent parfois le mot « adorer » pour traduire ces divers verbes hébreux. Par exemple (comme en grec koiné)11, les termes « adorer » et « chercher » sont interchangeables dans Ex 25,11 ; 2 R 17,18, Né 9,35 ; Es 55,5 ; Jr 3,17 ; 8,2 ; 9,14 ; 26,19 ; 44,3 ; 51,44 ; Os 9,10 ou encore Am 2,4 ; 5,5.

2.1 Est-ce que nous aimons vraiment Dieu ? Adorer c’est servir Dieu

Avad (עבד), sharat (שרת)

Les verbes avad et sharat sont souvent traduits par « adorer » quand ils sont employés dans le cadre du culte rendu à Dieu (ou à des idoles). Or, ces verbes ne renvoient pas à une action ponctuelle c’est-à-dire un espace-temps limité (exemple : lors d’un temps de louange au Temple) mais ils renvoient à une activité continue qui implique le quotidien du fidèle. En effet, les notions d’« adoration » et de « service (dans le cadre du culte) » sont étroitement associées :

Le concept biblique fondamental est celui du service. Les principaux termes bibliques désignant le culte signifiaient à l’origine « le travail de serviteur à gage ». L’accent dans l’Ancien Testament porte sur le culte communautaire […] bien que les prophètes aient souligné que le culte implique un mode de vie aussi bien que la participation au rassemblement12.

En hébreu biblique, il y a une distinction entre sharet (שרת) qui signifie « service » et avad (עבד), c’est-à-dire « travailler », « servir ». En effet, le terme avad est employé dans Ex 20,4-5 quand, dans le cadre de l’alliance, Dieu recommande au peuple hébreu : « Tu ne feras pas de sculptures sacrées […], tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas ». Or l’expression « et tu ne les serviras pas » ולא תעבדם peut être traduite par « tu ne travailleras pas pour elles » ou « tu ne les adoreras pas ». L’emploi du verbe avad implique alors un lien entre le fait de travailler et d’adorer comme le suggère le parallélisme avec les deux recommandations qui précèdent « tu ne feras pas de sculptures taillées […] »תעשה־ לך פסל לא et « tu ne te prosterneras pas » לא־תשתחוה להם. Or, ne soyons pas surpris, une enquête sur l’étymologie du mot avad montre qu’il contient des idées communes avec des racines sémitiques comme la racine araméenne qui signifie « faire » ou « fabriquer » et la racine arabe qui signifie « adorer » « obéir » (sous-entendu Dieu)13.

Il est important de souligner que le verbe avad/ עבדimplique une relation entre deux partenaires : on travaille pour quelqu’un ou pour quelque chose. Quand avad/ עבדest employé dans un autre contexte que « travailler » pour Dieu, nous constatons que le travail avoda/עבודה asservi l’être humain (Ex 1,14 ; Jr 22,13). En effet, quand ce dernier travaille pour un autre homme, il devient le sujet d’un roi ou d’un chef. C’est ainsi que « travailler » est associé à la servitude et l’esclavage. De cette racine vient d’ailleurs le mot eved/עבד « esclave », « serviteur ».

Mais quand le terme avad/עבד est employé pour parler du service/travail offert à Dieu, il n’y a pas de notions d’esclavage ou de servitude. Au contraire, avad/עבד est alors associé à la libération et la joie (Ex 3,12 ; Jr 2,20 ; Ml 3,14). En voici un exemple dans Sophonieavad est employé avec une connotation positive (So 3,9) : « Alors je donnerai aux peuples des lèvres pures afin qu’ils invoquent tous le nom de l’Éternel pour le servir d’un acte commun ». En d’autres termes, quand Dieu recommande à son peuple « ne servez pas des idoles », son but est que le peuple ne soit pas asservi14. Il le met en garde par amour, pour son propre bien. C’est ainsi, que lorsqu’il recommande aux Hébreux « Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi » (Ex 20,3), cet appel à l’adoration conduit à la vraie liberté. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu sur terre, lui seul est saint. Toute autre adoration est rendue à des dieux qui ne sont pas réellement des dieux (cf. des puissances spirituelles mauvaises, des êtres humains, des choses matérielles). C’est pourquoi ces choses asservissent l’être humain. Au contraire Dieu seul rend libre.

D’autre part, il existe une association entre le fait de travailler pour des idoles et le fait de les adorer car celui qui choisit de travailler pour des idoles y consacre sa vie, son temps et ses priorités. Un des messages des auteurs des Proverbes est de nous avertir que celui qui choisit les idoles se tourne vers le mal tandis que celui qui se tourne vers Dieu se tourne vers le bien et la sagesse. Servir des idoles a donc un impact sur toute l’orientation de la vie du fidèle. L’emploi du terme avad/עבד montre qu’il s’agit d’un engagement sur le temps et non juste d’un acte ponctuel. Celui qui « travaille » pour des idoles se positionne contre Dieu. Par ce choix, il entraîne sa vie dans le péché (cf. étymologie « rater la cible ») parce qu’il passe à côté des plans de Dieu. L’adoration est donc sous-entendue dans le fait de servir des idoles ou Dieu.

Le second terme employé en lien avec le culte d’adoration est sharat/שרת qui signifie « service », « officier dans le tabernacle ». Le nom sharet/ שרתfait référence à un « service » d’une catégorie élevée tandis qu’avad/עבד concerne les travaux subalternes. En fait, le terme sharet est employé pour parler d’un service rendu à une personne importante ou d’un travail pour un employeur de haut statut social15. Par exemple, on peut citer Joseph qui « sert » Potiphar dans Gn 39,4.

D’autre part, dans l’Ancien Testament, sharet/שרת renvoie au ministère d’adoration effectué par ceux qui ont une relation spéciale avec Dieu, notamment les prêtres. Notons que ce statut ne relève pas seulement d’une réjouissance mais implique de lourdes responsabilités. En effet, les personnes concernées représentent le peuple devant Dieu : c’est à travers son service que celui-ci accède à Dieu. À ce titre, dans le Psaume 101,6, Dieu déclare : « J’aurai les yeux sur les fidèles du pays pour qu’ils habitent près de moi ; celui qui marche dans la voie des hommes intègres sera à mon service » (ישָׁרְתֵנִי הוא). Mais une progression a lieu : les prêtres ne sont pas les seuls concernés car, dans Es 61,6, toute la nation est appelée à servir : « Quant-à vous, on vous appellera « prêtres de l’Éternel », on vous dira : « serviteurs de notre Dieu ». Ce qui renvoie à Ex 19,6 où il est écrit « vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux enfants d’Israël ». C’est d’ailleurs à ce verset qu’il est fait référence dans Ap 1,6, quand il est question de Jésus-Christ « […] qui a fait de nous un royaume de sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui soient la gloire et la puissance, aux siècles des siècles ! Ainsi, avec la nouvelle alliance inaugurée par la croix, un peuple entier d’adorateurs est appelé à servir Dieu dans un Temple fait de pierres vivantes.

Pour conclure cette partie, retenons que dans l’Ancien Testament, le verbe avad/עבד est associé au travail plutôt subalterne tandis que sharat/ שרתest associée au travail plus élevé notamment au Temple. Le fait que ces termes soient associés à l’adoration nous montre que cette dernière fait partie de tous les aspects de notre vie quotidienne, que ce soit ce qui nous paraît insignifiant ou élevé. De plus, cette brève étude des termes avad/ עבדet sharat/ שרתdans l’Ancien Testament montre également que l’adoration ne se limite pas à une action ponctuelle dans la journée ou dans la semaine. Contrairement à notre vision souvent étroite concernant l’adoration, elle est liée au service.

On peut transposer ces notions à notre contexte contemporain et voir une double résonnance. Le premier concerne notre service à l’Église (en lien avec sharet/שרת) : comment utilisons-nous notre temps pour consolider le Royaume de Dieu ? En effet, puisque nous sommes qualifiés de « peuple de sacrificateurs » dans la nouvelle alliance, de quelles manières mettons-nous en pratique cette responsabilité ? Est-ce que nous contribuons à faire vivre l’Église de l’intérieur ? L’étude du terme avad/ עבדpeut nous conduire à l’introspection suivante : pour qui travaillons-nous ? En effet, il est important de s’interroger : qui servons-nous dans nos vies ? D’ailleurs, derrière la question « qui servons-nous », la véritable question qui se cache en filigrane est : qui aimons-nous ? À qui ? ou pour qui ? consacrons-nous notre temps, nos priorités, nos finances ?

Comme nous met en garde Thomas Constable, « le culte ne doit jamais être une fin en soi »16. L’étude de l’Ancien Testament n’est pas faite ici pour nous encourager à multiplier les pratiques rituelles mais à nous amener à une réflexion personnelle : notre adoration entraîne-t-elle une dynamique qui impacte l’extérieur et renforce le Royaume de Dieu sur terre ? Or, servir Dieu n’est pas limité aux murs d’une église. Servir Dieu, c’est répondre à son appel avec un cœur de serviteur rempli d’amour pour son Seigneur. Dans le livre de l’Apocalypse, Jean voit d’ailleurs les croyants qui « adoreront Dieu et le serviront » (Ap 22,3). L’adoration et le service sont ainsi liés parce qu’ils entraînent ensemble un mouvement : l’adoration entraîne un style de vie d’adoration. Or nous avons vu ce que Dieu attend d’un cœur de serviteur : être bon, juste et droit. Celui qui adore Dieu, porte ou cherche à porter les fruits de l’amour.

2.2 Qui plaçons-nous au-dessus de nous ? Adorer, c’est honorer Dieu et se prosterner devant lui

Shaḥah ( שחה)

Ce terme shaḥah/שחה est construit à partir de la racine primaire Shaḥ/שח qui signifie « humble, modeste, devenir bas, être abaissé », comme dans Es 2,11 ; 2,17 ; 60,14. Le terme shaḥah/שחה au qal (forme simple), possède plusieurs sens, dont le plus connu est « courber ». Il s’agit de : « se baisser au sens d’obéir à un être humain » (Es 60,14), « marcher dans une posture courbée », « être abattu dans une période de deuil » (Ps 35,14 et 38,6). Aux formes niphal et hiphil (respectivement passive et causative), le sens devient alors « être amené bas » et « avoir son arrogance renversée ». Enfin, au hithpael (la forme réflexive), hishtachavé/השתחוה signifie « se prosterner » ou « se prostrer » dans le sens de « se prosterner en hommage devant un supérieur, devant Dieu dans l’adoration ou devant une statue et des faux dieux ». Ce mot est étroitement associé au fait d’honorer (kavod/כבוד) car dans la coutume du Moyen-Orient antique, se prosterner représente une marque commune de respect devant un étranger ou un acte commun de soumission devant un supérieur. Nous en trouvons des exemples dans les lettres d’Armana17, mais également dans les textes vétérotestamentaires : dans le protocole avec Joseph Gn 42,6 et 43,24-28 ou encore dans l’attitude des fils d’Éli (1 S 2,36). Si David Peterson traduit hichtachavé (השתחוה) par « se pencher en avant à partir de la taille », de manière générale, on le traduit par « se coucher sur le ventre ou à plat ventre », « allongé la face contre terre », « adorer », ou « s’accroupir »18. Dans l’Ancien Testament, il a souvent un sens péjoratif car il est lié aux idoles (Gn 44,15 et 66,3).

Une scène du Nouveau Testament montre que le fait de « se prosterner » est interprétée comme un acte d’adoration par un juif. Ainsi, dans Ac 10,26-27, alors que Corneille tombe à terre, Pierre le relève en lui disant « Lève-toi, moi aussi je suis un homme », ce qui est vraisemblablement une manière de lui dire de ne pas l’adorer. Dans l’Ancien Testament, nous pouvons citer 1 R 18,19, quand Dieu dit à Éli : « Je laisserai en Israël sept mille hommes, tous ceux qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal et dont la bouche ne l’a pas baisé »19. Fléchir le genou implique d’accorder son adoration à Baal et de reconnaître son autorité.

Selon cette brève étude, le fait de se prosterner est lié à trois notions : l’obéissance, l’humilité et le respect.

Sagad-Segid (סגד)

Dans l’Ancien Testament, un autre terme signifie « se prosterner » : il s’agit de l’araméen segid/סגד « rendre hommage en se prosternant », qui correspond à l’hébreu sagad/סגד « être prostré dans l’adoration ». Segid apparaît vingt-huit fois dans Daniel (Dn 3,5 ; 6 ; 7 ; 10 ; 11 ; 12 ; 14 ; 15 ; 18 ; 28, etc.) et son équivalent sagad est employé quatre fois dans Ésaïe lorsqu’il fait référence à un homme qui se prosterne devant une idole fabriquée avec du bois qu’il a coupé (Es 44.17-19) ou avec de l’or qu’un orfèvre a transformé en statue (Es 46.6).

Or, dans Dn 3.5 et 6, on lit cette traduction « prosterner et adorer » alors qu’on vient de dire que « prosterner » signifiait « adorer ». On a ici la même distinction qu’en grec entre pitpo et proskunéo/προσκυνέω. Lors de l’épisode de « la tentation », le diable dit à Jésus de tomber et de l’adorer. De même dans Dn 3 et 5, nous lisons néphal vé segid/נפל וסגד. Le verbe néphal/נפל vient de l’araméen à la forme péal (en hébreu l’équivalent est naphal/נפל qui est la forme qal) qui signifie (1) « tomber, être étendu, être couché » ou (2) « se jeter à terre ». Segid/סגד signifie « se prosterner, rendre hommage, adorer, faire un culte ». Ainsi, l’acte d’adoration est ici associé à un acte de prosternation où on reconnait l’autorité de Dieu.

L’adoration comporte deux dimensions interdépendantes : les termes segid/סגד et shaah/שחה sont associés à un acte ponctuel qui marque un moment précis d’adoration où le croyant prend conscience de l’autorité de Dieu. Tandis que les termes sharat/שרת et avad/עבוד sont des actions continues qui expriment un style de vie consacré à Dieu. En fait, l’acte de se prosterner devant Dieu trouve sa continuité et son accomplissement dans le fait de servir Dieu. En d’autres termes, l’adoration a lieu à un moment précis, ce que traduit le geste de se prosterner mais c’est aussi un mode de vie. Notre adoration pour Dieu se manifeste dans la vie quotidienne à travers le fait que nous employons nos vies pour le servir. Or nous servons Dieu en aimant notre prochain.

3 Respecter et aimer celui qu’on connaît

Connaître Dieu pour l’adorer

Adorer : connaître

Un des sens du verbe yada‘/ידע, communément traduit par « connaître », « savoir » ou « apercevoir » est : « adorer », « soigner », « cultiver », « choisir ». Il existe, en effet, un lien étroit entre connaître et adorer, comme on le lit dans Os 8,2 « Dieu nous te connaissons nous, Israël. Dans le Ps 9,11, il est écrit aussi « ceux qui te connaissent, adorent ton nom ». Connaître c’est reconnaître qui Dieu est. Il ne s’agit pas d’une connaissance théorique mais « d’une relation pratique, existentielle avec ce qui est connu »20. En effet, « connaître une chose, yada‘/ידע, signifie accueillir cette chose dans son âme »21. Lorsqu’on a une intimité avec Dieu, cela entraîne de la crainte et un profond respect envers lui. Connaître Dieu implique alors d’obéir à ses commandements, de se soumettre à lui, et de l’honorer. Mais connait-on Dieu si l’on n’a pas compris combien il nous aime ? Dès lors, comment ne pas répondre à un tel amour ? Comme nous l’avons dit, l’adoration est un acte de connaissance et de reconnaissance.

  1. Celui qui connaît Dieu, le craint

Adorer : craindre

Dans 2 R 17,35, nous voyons que l’Éternel ordonne à son peuple : « Vous ne craindrez pas d’autres dieux, vous ne les adorerez pas et vous ne les servirez pas ». Les trois termes « craindre », « prosterner » et « servir » apparaissent dans le même verset. En effet, la crainte est indissociable de l’adoration. On retrouve le lien entre le service – ou le culte rendu à Dieu – et la crainte dans Dt 10,20 : « Tu craindras l’Éternel ton Dieu, tu le serviras […] ». Effectivement, on adore en se prosternant – c’est-à-dire en adoptant une position d’obéissance et de soumission – et on adore au cours d’un culte rendu à Dieu. Or ces deux actes n’ont de sens que s’il y a une vraie crainte de l’Éternel. D’où le Pr 9,10 qui dit : « Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de l’Éternel ». Nous trouvons l’exemple d’une « adoration » sans crainte dans 2 R 17,32. L’adoration religieuse formelle apparaît dans la description du syncrétisme religieux du royaume du Nord qui craignait à cause du culte d’adoration et non par obéissance à la loi : « ils craignaient l’Éternel tout en servant leurs dieux d’après la coutume des nations d’où ils avaient été exilés ».

Le terme craindre en hébreu se dit yara‘(ירא). Il a le sens de « se tenir en ayant conscience, révérence, honneur » mais également de « peur ». Or le terme yara‘/ירא est proche de la racine « voir » ra‘a/ראה 22 et inclut les sens de « percevoir », « sentir ». Nous supposons que le lien qui existe entre « voir » et « craindre » vient du fait que celui qui craint regarde en lui-même et qu’il a conscience que Dieu voit aussi ce qu’il a en lui. La crainte est donc associée à l’intériorité, c’est-à-dire au fait que Dieu voit au-delà des apparences. Or dans 2 R 17, les individus craignaient Dieu sans l’ensemble des dimensions de l’adoration que nous avons déjà évoquées. En effet, s’ils avaient été obéissants, ils n’auraient pas été adorer des idoles.

3.2 Adorer Dieu, c’est l’aimer en esprit et en vérité

Adorer : aimer

L’Ancien Testament ne présente pas directement l’adoration comme un acte d’amour et d’intimité avec Dieu23 mais comme un acte de reconnaissance, de soumission, d’honneur et d’obéissance. Cependant, Jésus met l’accent sur le lien entre l’adoration et l’amour qui existe implicitement dès l’Ancien Testament :

  • Dans Dt 30,6, il est écrit : « L’Éternel ton Dieu circoncira ton cœur et le cœur de ta postérité et tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, afin que tu vives ».
  • Ou encore dans Dt 11,1, il est écrit : « Tu aimeras l’Éternel ton Dieu, tu observeras toujours ses préceptes ». Pour rappel, le verbe aimer se traduit par ahav/אהב en hébreu.

Dans Mt 4,10, lors de l’épisode de la tentation, le diable dit à Jésus : « Je te donnerai toutes ces choses si tu te prosternes et m’adores ». Pour être plus exact, on doit traduire « tombant, tu m’adores »24. Or Jésus répond à Satan : « Retire-toi Satan ! Car il est écrit, tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul ». Jésus emploie le terme « adorer » alors que dans Dt 11,1 ou Dt 30,6 le terme utilisé est « aimé » puisqu’il est écrit en hébreu « tu aimeras l’Éternel ».

C’est ainsi que, comme rapporté dans Mt 4,10 et Lc 4,8, Jésus met l’accent sur deux éléments : « seul Dieu » et « adorer ». En fait, par ces deux précisions, il approfondit le sens : l’Ancien Testament parle d’aimer, mais Jésus appelle cet amour « l’adoration ». En effet aimer sincèrement Dieu conduit à l’adorer. L’adoration est indissociable de l’amour car celui-ci est le fondement de l’adoration.

D’autre part, Jésus souligne un autre aspect par rapport à Dt 30,6 où il est écrit « tu aimeras l’Éternel Dieu de tout cœur et de toute ton âme afin que tu vives ». Dans Mt 22,37 alors que l’on demande à Jésus « Maître quel est le plus grand commandement ? », celui-ci répond : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée ». Ce verset s’accorde d’ailleurs avec Mc 12,30. Par rapport à Dt 30,6, le terme « pensée » est ajouté bien qu’il ne modifie pas le sens de la phrase. Jésus met ici l’accent sur le caractère conscient de l’adoration et non d’un automatisme religieux25. Il invite à prendre pleinement conscience de l’amour pour Dieu. L’adoration est un culte rendu à Dieu avec soumission, respect, crainte et amour. En faisant un parallèle avec 1 Co.13, nous constatons que sans amour conscient, l’adoration n’est rien.

Conclusion

Dans l’Ancien Testament, nous voyons que l’adoration est bien plus qu’une série de rituels religieux. C’est un acte de foi, de dévotion et de soumission à Dieu. Elle reflète la quête de justice, d’intégrité morale et de bonté. Comme notre étude a pu le montrer, nous pouvons tirer des enseignements qui s’appliquent encore aujourd’hui dans nos vies. L’adoration possède deux dimensions : verticale – de nous vers le ciel – et horizontale – vers les autres). L’adoration « verticale » fait appel à la fois à notre raison et à nos émotions ; elle correspond à un moment singulier ou nous répondons à l’amour de Dieu en lui apportant notre adoration. On en voit l’expression dans le livre des Psaumes. Pendant un temps particulier, nous faisons monter des louanges et des prières en reconnaissance de ce qu’il est et de ce qu’il fait. L’adoration est liée à la connaissance de la nature divine. Aujourd’hui, grâce à l’action du Saint-Esprit, nous prenons particulièrement conscience de notre petitesse face à son infinie grandeur. Nous prenons conscience de son amour et de sa grâce envers nous qui étions pécheurs. Enfin, nous avons conscience de sa souveraineté et de sa sagesse. L’adorateur réalise que le jugement devait tomber sur lui et il adore Dieu pour la grâce infinie d’être réconcilié avec lui. Or ce cœur à cœur avec Dieu n’est pas un temps stérile, ni une parenthèse dans la vie du croyant. Cette prise de conscience entraîne un style de vie marqué par le service. À son tour, ce style de vie entraîne ces temps particuliers d’adoration, créant une prise de conscience/vie pratique. Un adorateur est une personne qui aime Dieu et qui répond à son appel en le servant.

Les prophètes de l’Ancien Testament dénonçaient l’hypocrisie des croyants qui apportaient des offrandes au Temple et qui multipliaient les règles religieuses sans démontrer un amour sincère pour leur prochain. Or l’amour se démontre quand nous faisons le bien, quand nous sommes droits et justes envers les autres. Par leurs enseignements, les prophètes nous montrent que l’adoration se manifeste dans notre vie quotidienne. C’est ainsi que la marque qui singularise un adorateur est l’amour. Tout ce qu’un adorateur fait, il le fait par amour pour Dieu et pour son prochain. C’est pourquoi il est un adorateur en esprit et en vérité. En fait, dès l’Ancien Testament, Dieu manifeste sa volonté : l’adoration n’est pas déconnectée de la vie courante. La vie de l’adorateur reflète son obéissance à Dieu à travers son respect et son amour envers son prochain. Car, comme nous l’avons vu celui qui connaît Dieu cherche à l’honorer et à le respecter.

Le monde moderne est comme un TGV lancé à vive allure dans lequel l’adoration s’apparente à un moment où nous marquons une pause en reconnaissant qui il est. Quand nous adorons Dieu, nous pouvons nous imaginer une porte ouverte sur le Royaume des cieux, qui nous donne accès au père à travers de l’action du Saint-Esprit. Mais nous ne regardons pas Dieu d’en bas, nous sommes littéralement assis avec Christ dans les lieux célestes. L’adoration nous amène à regarder le monde avec la perspective céleste. Et quand nous regardons notre vie et notre prochain avec l’amour et la sainteté de Dieu, alors nous avons envie de les aimer de la même manière que Dieu les aime. La proximité avec lui nous pousse à consacrer notre vie à faire connaître l’Évangile mais également à le manifester nous-mêmes. L’adoration touche profondément nos cœurs et notre manière de penser parce que c’est un moment où on cherche à connaître Dieu, à l’honorer et à lui manifester notre amour. D’où le fait que cette relation entraîne un changement de notre vie entière. L’adoration est une prise de conscience où la lumière se fait en nous : nous réalisons notre position en Christ et la royauté du Dieu tout-puissant devant lequel nous nous tenons. Et c’est ainsi que nous décidons de vivre ici-bas en tant qu’ambassadeur de ce Royaume.

Par Dr. Élisabeth Schulz,

chercheuse associée au sein de l’équipe La Bible et ses lectures,

UCO (Université catholique d’Angers) affilié au laboratoire Orient & Méditerranée (UMR 8167 Textes, Archéologie, histoire : Antiquité classique & tardive)

  1. Yannick Fer, Sociologie du pentecôtisme, Khartala, 2022, p. 113.
  2. Pour cette étude, les principaux outils de travail sont les ouvrages suivants : F. Brown, S. Driver et C. Briggs, The Brown-Diver-Briggs Hebrew and English Version (BDB), Massachussetts, Hendrickson Publishers Marketing, 2012 ; R. Lairds Harris, Gleason L. Archer, Bruce K. Waltke, Theological Wordbook of the Old Testament (TWOT), Chicago : Moody Publishers, 1980. (Les abréviations, respectivement, BDD et TWOT seront utilisées pour faire référence à ces ouvrages) ; N. Ph. Sander et I. Trenel, Dictionnaire hébreu-français, Genève : Slatkine Reprints, 1979 ; G. Johannes Botterweck, Theological Dictionary of the Old Testament et (TDOT) : Willem ; A. Vangemeren, New International Dictionary of Old Testament Theology and Exegesis (NIDOTTE); Robert Girdlestone, Synonyms of the Old Testament; HALOT, le Dictionary of Classical Hebrew (DCH) de David Clines et le DHAB de Philippe Reymond.
  3. Les tablettes datent d’environ 2600 av. J.-C. Lire la traduction commentée de Jean Bottéro. L’épopée de Gilgamesh, coll L’Aube des peuples, Paris : Gallimard, 1992.
  4. Douglas Stuart, « Malachi », pp. 1245-1396, in McCominskey, The Minor prophets. A Commentary on Zephaniah, Haggai, Zechariah, Malachi (1er ed. 1998), vol 3, Grand Rapid: Baker Academic, 2018, p. 1334.
  5. Après le déluge, Noé bâtit un autel en l’honneur de l’Éternel. Les offrandes qu’il apporte sont considérées comme une odeur agréable aux yeux de Dieu, parce que ce dernier voit l’état de cœur de Noé (Gn 8.20-21).
  6. Dans le cadre de notre travail d’exégèse en hébreu biblique, nous avons choisi de travailler avec la version Louis Segond dont la traduction préserve la structure du texte. Toutefois, les traductions seront parfois les notres.
  7. J’ai bien conscience que dans son étude approfondie sur l’adoration, David Peterson affirme que dans l’Ancien Testament « l’adoration n’était ni une forme d’intimité avec Dieu, ni la marque d’une affection particulière à son égard, mais plutôt l’expression d’une soumission mêlée de crainte et de reconnaissance, face à sa grâce et à sa souveraineté » (David Peterson, En Esprit et en vérité. Théologie biblique de l’adoration, Excelsis, 2005, p. 77). Toutefois, il semble que même si l’amour n’est pas expressément nommé, c’est bien lui qui apparaît en filigrane derrière ce que Dieu demande. En découvrant Dieu comme son rédempteur et son sauveur, le peuple hébreu apprend à l’aimer et ensuite à lui rendre un culte d’adoration.
  8. Elisabeth Schulz, Nouvelle Bible Commentée. Amos, Viens et Vois, 2020, pp. 106-107.
  9. David G. Peterson, « Adoration », pp. 418-427, in T. Desmond Alexander et Brian S. Rosner (dir.), Dictionnaire de théologie biblique, Charols : Editions excelsis, 2006.
  10. « L’adoration », pp. 1107-1122, Wayne Grudem, Théologie systématique, Charols : Excelsis, 2007, p. 1107.
  11. En grec koiné, selon K. J Kendall, on emploi deux termes : proskunéo/προσκυνέω (signifie « adorer, rendre hommage, se prosterner, baiser la main ») et latreuo (λατρεύω « service »). ). Mais si le premier terme peut être traduit par « adorer », le second n’est jamais traduit par ce verbe. D’autre part, le terme adorer en français est parfois une traduction de « craindre » dans la LXX, comme c’est le cas dans Matthieu. Nous voyons que ces deux termes sont alors interchangeables.
  12. « Culte, adoration », in Dictionnaire biblique pour tous, (New Concise Bible Dictionary, University and Colleges Christian Fellowship, 1989), Valence : Editions LLB, 1994, p. 131.
  13. Selon la TWOT ; p. 639.
  14. On retrouve la même idée quand Dieu recommande au peuple de ne pas prendre un roi. En effet, Dieu étant saint – donc parfaitement juste – , lui seul est capable de régner avec équité et droiture.
  15. TWOT, p. 958.
  16. Thomas Constable, Notes on John, 2023 edition, https://planobiblechapel.org/tcon/notes/pdf/john.pdf.
  17. Ce sont des tablettes d’argiles d’ordre diplomatique, nommé ainsi d’après le nom du site El Armana en Egypte, sous le règne d’Akhenaton (c’est-à-dire Amenhotep IV qui régna en Égypte antique entre 1369 et 1353 av. J.-C). Ce sont des correspondances entre la cour égyptienne et les vassaux (Babylone, Assyrie, Hatti, Mitattori). Il y a des parallèles linguistiques avec l’hébreu de l’Ancien Testament (bien que le royaume d’Israël soit créé plus tard).
  18. David G. Peterson, « Adoration », pp. 418-427.
  19. Notons qu’un des sens de proskunéo (προσκυνέω) en grec koiné est « baiser la main de quelqu’un en signe de révérence ». On adore à genoux en se prosternant pour embrasser la main, les pieds.
  20. Sigmund Mowinckel, « Connaissance de Dieu chez les prophètes de l’Ancien Testament », pp. 69-105, in Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 22e année, n°2-3, 1942, p.71.
  21. Sigmund Mowinckel, p.71.
  22. D’après la BDB. Cf. Index of hebrew verbal roots, p. 1185.
  23. Lire David G. Peterson, En Esprit et en vérité. Théologie biblique de l’adoration, Excelsis, 2005.
  24. En grec, le participe pésôn (πεσὼν tombant) et proskunèsès (προσκυνήσῃς : tu te prosternes/tu m’adores). Pésôn vient du verbe pipto (tomber, jeter) et correspond à naphal en hébreu. Tandis que proskunéo signifie « adorer », « se prosterner », « prier » et correspond à שחה. Cette expression rappelle bien Daniel où l’auteur emploie l’expression Nephalseged/נפל וסגד. Un mouvement symbolisant l’obéissance, l’humilité et l’hommage précède une posture qui correspond à une disposition de cœur.
  25. Dans la pensée hébraïque, « aimer » inclut le cœur et la pensée. Jésus restitue bien ce double sens.

Les commentaires sont clôturés.