Stanley Hauerwas, William H. Willimon, Étrangers dans la cité

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HauerwasStanley Hauerwas, William H. Willimon, Étrangers dans la cité , traduit et préfacé par G. Quévreux et G. Riffault, éd. du Cerf, Paris 2016, ISBN 978-2-204-10569-9, 288 p., 19€.

Plus de 25 ans après sa sortie aux États-Unis, les éditions du Cerf mettent à la disposition du public francophone ce best-seller (1 million d’exemplaires en anglais !) de deux théologiens méthodistes, consacré à la place de l’Église dans le monde. Heureuse initiative. La thèse est simple, proche des vues anabaptistes de John Yoder : Le message que l’Église professe, l’éthique qu’elle met en œuvre au nom de l’Évangile sont incompréhensibles pour un monde sécularisé tel que le nôtre. Il ne sert donc à rien d’essayer de rendre l’Évangile crédible en l’adaptant comme tentait de le faire le libéralisme depuis les Lumières jusqu’à Tillich, voire en le traduisant dans des catégories philosophiques (existentiales par exemple, cf. Bultmann) ou idéologiques (marxistes, féministes, etc.). Pour nos deux auteurs, ces approches ont dénaturé l’Évangile en le réduisant à un système philosophique, fût-il celui de Jésus. Il ne s’agit plus de penser l’Évangile et la foi pour notre temps, mais de vivre en notre temps la rupture instaurée, entre le monde ancien et celui qui vient, par la venue, la mort et la résurrection du Christ. La notion de « chrétienté » héritée du Constantinisme, trahison de l’Évangile, a vécu, affirment les auteurs, même dans un pays comme le leur – les États-Unis, où la foi est réduite à un vernis culturel, celui de la religion civile, et se trouve récupérée par l’idéologie dominante. Les chrétiens sont en fait une sorte de colonie du Royaume de Dieu en terre étrangère. Il ne s’agit pas d’œuvrer pour améliorer le monde, le transformer, mais de préparer le Royaume en bâtissant l’Église.

Renvoyant dos à dos l’Église « militante » (axée sur la transformation et le progrès social en ce monde) et l’Église conversionniste (qui se voue à la transformation des individus et des cœurs au risque de négliger la dimension « cosmique » de l’Évangile), nos auteurs optent pour une Église confessante. Face à la prétendue autonomie individuelle, au matérialisme consumériste, à la tyrannie du désir personnel, au libéralisme broyeur des faibles, l’Église, « la stratégie sociale la plus créative que nous ayons à offrir » (p. 147), prémices de l’humanité nouvelle instaurée par le Christ, vit une éthique nouvelle, qui n’a rien de naturel pour l’esprit humain, et dont le Sermon sur la Montagne constitue la charte. Pour être vraiment fidèle à son chef, devenir un peuple nouveau, sans pactiser avec aucun pouvoir, bref, faire œuvre sociale, politique au sens le plus étymologique du terme. « Ce qui fait que l’Église est radicale et toujours nouvelle, ce n’est pas qu’elle incline à gauche sur la question sociale, mais qu’elle connait Jésus, alors que le monde ne le connait pas » (p. 69).

Les derniers chapitres insistent sur la vie « aventureuse » du disciple en ce monde, en particulier de celui qui est engagé dans le ministère pastoral, combat permanent et difficile constamment exposé à la tentation de l’accommodation. La panoplie d’Éphésiens 6 donne à méditer aux auteurs qui insistent sur la nécessité vitale de l’Église comme lieu de soutien mutuel et d’entraînement au combat des disciples du Christ, exilés en ce monde. Combat qui, pour être résolument non-violent, n’en est pas moins acharné.

L’édition française comporte une préface des traducteurs. Elle souligne l’étonnante actualité tout comme la force contestatrice de l’Évangile dans la sphère hyper-libérale, consumériste, individualiste et matérialiste de notre monde globalisé. Suit un avant-propos de W. Willimon qui évoque avec reconnaissance et humour sa collaboration avec St. Hauerwas, et le succès étonnant rencontré par leur livre en 25 années de diffusion. Christophe Desplanque

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