Joël Reymond : « Reconnectés à nos racines juives – perspectives sur la dernière réforme » – édité par l’auteur 2016 – 172 pages – CHF 14.–
Après avoir fait des études en lettres et en théologie, l’auteur a été entre autres journaliste au « Christianisme Aujourd’hui ». Depuis plusieurs années, il remplit des mandats de communications pour diverses organisations et accompagne des chrétiens ayant besoin d’un appui pour rédiger un livre.
Précisons tout de suite que ce livre ne cherche pas à atteindre des théologiens ; il a été « conçu pour encourager les chrétiens qui s’intéressent aux racines juives de leur foi » (p. 4 de couverture) et désirent s’y reconnecter. Et dès la page 12, il invite le lecteur mettre en pratique ce retour aux racines juives, à appliquer ce principe juif qui consiste à goûter et éprouver, afin de pouvoir comprendre, ensuite, au fur et à mesure.
A cet effet, il présente – par touches successives et non d’une manière systématique – un certain nombre de valeurs du Judaïsme que, comme chrétien, on est appelé à retrouver par des contacts avec des juifs messianiques qui font le pont entre Israël et l’Église. Si l’Église primitive n’avait pas perdu contact son aile judéo-chrétienne, elle aurait pu garder ces valeurs et se serait épargné bien des errements au cours de son histoire. Parmi ces notions oubliées, citons :
- la direction collégiale de l’Église : elle a été abandonnée pour une autorité monarchique pyramidale d’inspiration païenne ;
- le monisme anthropologique : l’Église a adopté une anthropologie grecque qui sépare la personne entre une entité spirituelle, l’âme, et une entité charnelle, le corps. Il en est résulté une dichotomie entre le savoir et le faire, la théorie et la pratique, la foi et les œuvres ;
- la transmission d’une foi pratique de maître à disciple, remplacée par un enseignement théorique ;
- la place centrale de la famille, comme lieu de transmission de la vie, de la culture et de la foi ;
- le calendrier israélite, notamment le shabbat (jour véritable du repos) et les fêtes juives (Pâque, Shavouot ou Pentecôte et Soukkot ou fête des cabanes). Ces fêtes ont été remplacées par le dimanche (journée dédiée au dieu soleil) et par Pâques et la Pentecôte chrétiennes, des fêtes dont on a oublié l’origine agricole, la signification spirituelle et dont on ne perçoit plus le sens messianique. La notion de « faire mémoire » qui réactualise le passé (Dt 5,2-5) et fait de ces fêtes juives des moments conviviaux et joyeux s’est perdue : les sacrements sont devenus des rites secs.
Le message de Joël Reymond est de dire que l’Église doit retrouver ses racines juives pour rentrer dans le plan de Dieu et accomplir pleinement sa vocation. Israël devrait reconnaître Jésus comme son Messie – il n’y a pas de salut en dehors de lui (Ac 4,12) – mais l’Église de son côté doit se rapprocher d’Israël et retrouver les valeurs dont elle s’est privée en se coupant de ses racines.
Mais quand l’auteur invite à revenir aux racines juives, il a, à mon avis, une théologie ambiguë, car d’un côté, il dit à la page 11 que les chrétiens « ont reçu la totale … sans avoir à passer par l’observance de la Torah » ; mais d’un autre côté, il invite à revenir au calendrier juif avec notamment le shabbat (pp 85ss) et les fêtes de Pâque, Shavouot et Soukkot, fêtes instituées par Dieu, alors que Pâques et Pentecôte et autres fêtes chrétiennes, ont été instituées par l’Église (p. 97) – dans l’annexe III (p. 154ss), il donne même des suggestions, inspirées de la liturgie juive, pour accueillir le shabbat dans les familles chrétiennes. Il est normal que des chrétiens d’origine juive puissent le faire – ça fait partie de leur patrimoine de membres du peuple d’Israël ; je comprends même que des chrétiens d’origine païenne puissent s’associer à eux, dans la liberté du Christ (1 Co 9,20). La Torah a été donnée par Dieu à Israël, et il s’y trouve des choses excellentes. Si, par exemple, sanctifier un jour particulier comme le shabbat peut m’aider à apprendre à sanctifier tout mon temps pour Dieu ; alléluia ! Mais il faut garder à l’esprit qu’en Christ, nous sommes libres (Gal. 5,1ss), « morts à la loi » (Rm 7,4 ; Gal. 2,19-20) ; nous ne sommes donc plus asservis au calendrier de la loi et avons la liberté de le pratiquer ou pas et de refuser de nous laisser juger pour cela (Gal. 4,9-10 ; Col. 2,16-18 ; Rom 14,5-6).
Un regret encore : que l’auteur, dans un livre qui vise à nous reconnecter à nos racines juives, n’ait pas songé à recourir à l’ancienne littérature rabbinique pour nous faire aimer Israël. Aucune citation du Talmud ou des midrashim ! Pourtant la Torah orale d’Israël est le chaînon incontournable reliant le Christianisme aussi bien que le Judaïsme à la Torah écrite et à l’ensemble du Tanakh (Ancien Testament). À l’image des rabbins, il aurait pu utiliser mille et une histoires juives tirées de la haggada, voire de la littérature hassidique pour illustrer ses propos les rendre facilement accessible à tout un chacun. Par exemple, il invite ses lecteurs à tester le Judaïsme pour comprendre ensuite ! Très bien ! Mais pourquoi n’a-t-il pas dit que cela venait d’Exode 24,7 : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous ferons et nous écouterons ! » ? Les rabbins ont mainte fois disserté sur ce verset. Le Talmud de Babylone dit même que faire avant d’écouter est un « secret des anges » – à cause d’un raisonnement pas analogie (gezera shawa) avec Ps. 103,20. (voir Shabbat 88a ; cf aussi Ketouboth 112a où rabbi Zeira est si pressé de se retrouver en Israël qu’il prend des risques pour traverser un fleuve sur une corde, au lieu d’attendre un bateau ; il se voit reprocher de faire avant d’écouter. À noter que la tradition d’Israël a d’ailleurs mis un bémol à cet empressement aveugle et invite aussi à comprendre (Cf. Pinhas H. Peli, La torah aujourd’hui – DDB 1988, pp 94-98).
Malgré ces faiblesses, il faut être reconnaissant à Joël Reymond d’avoir osé écrire un tel livre en notre époque d’antisémitisme latent et d’inviter les chrétiens à retrouver une juste relation avec Israël. Il est impératif que l’Église sache que par le Christ, elle est connectée au tronc d’Israël.
Alain Décoppet
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