Rester fidèle à notre identité
Dans le cadre d’une réflexion que je mène sur ce que la pandémie change ou va changer pour nos Églises évangéliques, mon attention a été retenue par cette parole du Seigneur : « Voici : moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez prudents comme des serpents et innocents comme des colombes. » (Mt 10.16). Je ne m’attacherai pas à démontrer en quoi cette parole concerne aussi les disciples que nous sommes, envoyés non plus auprès des seules brebis perdues d’Israël, mais de toutes les nations.
J’aborde la problématique post-Covid avec deux convictions : 1) la pandémie ne révèle rien de substantiellement nouveau, mais cristallise ou exacerbe des changements profonds déjà à l’œuvre avant qu’elle ne se manifeste, 2) il ne sert à rien de céder à la course folle du toujours plus, toujours plus de technologie, toujours plus de méthodes, toujours plus de présence sur les réseaux sociaux, toujours plus de moyens financiers pour tenter de s’adapter à ces changements, il faut revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à la parole de notre bien-aimé Sauveur.
Or je gage qu’il y a dans la parole de Jésus que j’ai citée de quoi édifier notre foi et nourrir notre réflexion pour que nous poursuivions fidèlement notre route dans un monde troublé et que nous aidions les sœurs et les frères qu’il a confié à notre garde à faire de même.
Dans le cadre de cette brève méditation, je m’en tiendrai à la seule dimension de la brebis sensée caractériser le disciple. « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups »
Je vous propose de lire ce verset et ceux qui suivent.
Matthieu 10.16-25 (Bible du Semeur)
16 Voici : moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez prudents comme des serpents et innocents comme des colombes.
17 Soyez sur vos gardes ; car on vous traduira devant les tribunaux des Juifs et l’on vous fera fouetter dans leurs synagogues.
18 On vous forcera à comparaître devant des gouverneurs et des rois à cause de moi pour leur apporter un témoignage, ainsi qu’aux non-Juifs.
19 Lorsqu’on vous livrera aux autorités, ne vous inquiétez ni du contenu ni de la forme de ce que vous direz, car cela vous sera donné au moment même.
20 En effet, ce n’est pas vous qui parlerez, ce sera l’Esprit de votre Père qui parlera par votre bouche.
Lorsque le Seigneur précise aux apôtres : « je vous envoie comme des brebis au milieu des loups », il use d’une comparaison. Les disciples ne sont pas des brebis, mais comme des brebis. A quel trait de l’animal fait-il donc référence pour qualifier ceux qu’il envoie auprès des brebis perdues du peuple d’Israël ? (v. 6)
La comparaison n’est pas nouvelle dans l’Écriture qui compare volontiers Dieu à un berger et son peuple à un troupeau. L’image n’est d’ailleurs pas toujours flatteuse pour ce dernier. « Nous étions tous errants, pareil à des brebis », écrit le prophète Esaïe (53.7) qui semble comparer l’infidélité de son peuple à la stupidité des brebis incapables de trouver leur chemin.
Plus flatteuse est l’image paisible de cet animal qui ne dit mot quand on le tond ou qu’on le mène à l’abattoir (53.7). Mais avouons que si elle n’était appliquée au Messie, nous pourrions bien la prendre en mauvaise part. On n’aime guère le silence des victimes dans un monde qui les a érigées en héros des temps modernes !
L’image la plus fréquente néanmoins est celle de la vulnérabilité d’un animal sans défense. Dans la diatribe que l’Éternel réserve aux mauvais bergers en Ezéchiel 34, il ne cesse de faire valoir cette vulnérabilité : les brebis dispersées faute de berger et devenues la proie des bêtes sauvages (v. 5), abandonnées au pillage (v. 8), perdues, éloignées, blessées (v. 16).
Et l’image étroitement associée à cette réalité, c’est que la brebis ne peut vivre en sécurité, survivre même, sans un berger, un vrai berger. Une des paroles les plus touchantes à ce propos est celle de notre Seigneur en Matthieu 9 qui, « voyant les foules, fut pris de pitié pour elles, car ces gens étaient inquiets et abattus comme des brebis sans berger » (v. 36).
Stupidité, vulnérabilité, dépendance ? Lequel de ces traits Jésus a-t-il à l’esprit quand il compare ses disciples à des brebis ? Je crois qu’il faut écarter résolument la stupidité même si certains de nos coreligionnaires s’ingénient à donner du crédit à une telle inclination. Pourquoi j’écarte la stupidité parce que le Seigneur fait suivre cette comparaison d’une invitation à la prudence du serpent et à l’innocence de la colombe. En d’autres termes, à l’habileté et au discernement comme à l’honnêteté et à la pureté des intentions.
Reste donc la vulnérabilité et la dépendance qui ne peuvent se dissocier. Voilà qui peut surprendre et laisser penser que le Seigneur envoie les siens sans sourciller à l’abattoir ! Je n’ose le croire pour deux raisons complémentaires : la bonté du Seigneur, jamais démentie pour ses enfants, et ses qualités de berger qui l’ont conduit à dire cette parole qui suffit à notre foi : « Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. » (Jean 10.10) Pour être précis, il faut revenir à notre texte : « On vous traduira devant les tribunaux… On vous forcera à comparaître devant des gouverneurs et des rois à cause de moi… » Si ce n’est pas l’abattoir, cela s’en approche avec néanmoins cette double précision « pour leur apporter un témoignage » (v. 18) qui change la perspective et surtout ce « ce n’est pas vous qui parlerez, ce sera l’Esprit de votre Père qui parlera par votre bouche » (v. 20) qui rend concret le « Je suis moi-même avec tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.20).
Y a-t-il plus à dire ? Je le crois. En envoyant ses disciples comme des brebis au milieu des loups, le Seigneur leur rappelle leur identité d’hommes et de femmes vulnérables et entièrement dépendants de lui. Or qu’observons-nous ? Dans un monde de loups cruels, les disciples sont tentés d’user des armes de ceux qui les dénigrent : réagir avec cynisme, colporter des rumeurs diffamatoires et surtout répondre à la haine par la haine. Et finalement jouer eux aussi aux loups cruels et féroces qu’ils ne sont pas. Trop de frères et de sœurs cèdent, chers collègues, à cette tentation sur les réseaux sociaux et deviennent ainsi semblables à ceux qu’ils dénoncent. Ed Stetzer que je vous recommande de lire a écrit un livre intitulé Christians in the Age of Outrage. How to bring our best when the world is at its worst (Les chrétiens à l’ère de l’indignation. Comment donner le meilleur de nous-mêmes lorsque le monde est au plus mal). Il y raconte en détail comment des évangéliques américains ont cédé au besoin de faire le buzz au détriment de la vérité et combien cela a nui au témoignage. Et il a écrit ce livre en 2018, soit bien avant que nous prenions la mesure du désastre admirablement décrit par Eugene Park1 :
Tout comme la pandémie a exacerbé le problème des chrétiens qui sont davantage façonnés par des experts en ligne que par des pasteurs en chair et en os, elle a également intensifié le tribalisme politique. Avec peu d’endroits où converser en dehors de nos communautés en ligne, les attitudes de traitement au vitriol et de mépris ont atteint des niveaux insupportables.
Cela a été une chose pénible que de voir l’église en Amérique suivre le discours national.
Dans mes flux de médias sociaux, j’ai vu des membres d’églises se déchirer à cause de la politique, oubliant que nous commettons un cannibalisme spirituel en choisissant une attitude partisane plutôt que l’unité en Christ. […]
La chose peut-être la plus troublante que j’ai pu observer est que bon nombre de chrétiens semblent maintenant plus sûrs de leurs opinions politiques qu’ils ne le sont de Christ et de son royaume.
Le discours politique d’aujourd’hui – même dans l’église – est caractérisé par la confiance effrontée que chaque tribu ou idéologie manifeste. C’est la certitude que mes opinions politiques sont correctes et peuvent être soutenues par les Écritures (souvent avec une certaine gymnastique exégétique), et que les vôtres sont hérétiques et blasphématoires. Même dans l’église, l’avertissement de l’ancien rédacteur en chef du New York Times, Bari Weiss, sonne juste en 2020 : « La vérité [n’est plus] un processus de découverte collective, mais une orthodoxie déjà connue d’une poignée d’illuminés dont le travail consiste à informer tous les autres ».
Le Seigneur nous envoie comme des brebis au milieu des loups. « Comme des brebis », c’est-à-dire en créatures dépendantes, entièrement dépendantes du bon berger. Souvenez-vous, le jeune David a préféré rester lui-même pour affronter Goliath. Il savait pertinemment que jouer au soldat ne changerait rien à l’affaire. Il est allé au combat habillé en simple petit berger mais avec une conviction chevillée au corps, l’Éternel combattrait pour lui et lui donnerait la victoire. Il ne nous faut rien de plus pour communiquer l’Évangile dans un monde dangereux. Et si vous permettez une incursion dans le thème qui nous occupera pendant ce colloque, cette identité de brebis vulnérable et dépendante de la protection du Maître, ce n’est pas d’abord l’expérience qui nous l’apprend mais la parole du Seigneur. Si nous nous écoutions, nous préférerions être loup parmi les loups et rendre coup pour coup, mais l’Esprit nous conduit par le Verbe à nous comporter en brebis parmi les loups pour la seule gloire du bon berger !
Etienne Lhermenault
- Eugene Park, « Les chrétiens ont-ils plus confiance dans la politique qu’en Christ ? », Evangile 21, 3 mai 2021, ↵
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