Daniel Marguerat, Les Actes des apôtres

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MargueratDaniel Marguerat, Les Actes des apôtres, Collection « Commentaire du Nouveau Testament (CNT) », Editions Labor & Fides, Genève.

[vol. 5a] Les Actes des apôtres (1-12), 2007 (2e éd. révisée en 2015), ISBN 978-2-8309-1229-6 (2e éd. : 978-2-8309-1573-0), 448 p., CHF 59 ou 49 €.

[vol. 5b] Les Actes des apôtres (13-28), 2015, ISBN 978-2-8309-1568-6, 394 p., CHF 56 ou 45 €.

Si les études sur les Actes des apôtres se sont multipliées ces dernières décennies, on manquait encore d’un bon commentaire exégétique en français. Avec la parution du second volume du commentaire de Daniel Marguerat sur les Actes des apôtres, le lecteur francophone a désormais un excellent outil de travail à sa disposition. Ce volume fait suite au premier, sur Actes 1 à 12, publié en 2007 et réédité à l’occasion de la sortie du second.

Daniel Marguerat, professeur honoraire de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne, est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes internationaux en ce qui concerne la recherche autour des Évangiles et des Actes ; sa bibliographie compte plus de 300 titres, et bon nombre de ses monographies ont été traduites en diverses langues. On se réjouira donc qu’il se soit attaché à produire un commentaire sur les Actes, qu’il considère d’ailleurs comme son « œuvre principale »1.

Si les lecteurs peuvent être quelque peu déçus par la petite taille de son introduction (15 pages), celle-ci peut s’expliquer par deux raisons. Premièrement, il s’agit bien d’un commentaire et non d’un ouvrage d’introduction. Dans sa préface au deuxième volume, il explique son approche :

« Le lectorat que je pense majoritaire ne parcourt pas le commentaire du début à sa fin, mais lit par péricopes ; j’ai souhaité lui livrer, dans le cadre de chaque péricope, le maximum d’informations dont il a besoin, sans multiplier les renvois internes ou postuler que telle information a déjà été captée en amont. » (vol. 5b, p. 7)

Deuxièmement, Daniel Marguerat a déjà longuement traité des questions introductives dans un ouvrage qui a fait date, La première histoire du christianisme : les Actes des apôtres (Cerf / Labor et Fides, Paris/Genève, 1999, 2003). L’exégète suisse date l’écriture de l’œuvre double à Théophile entre 80 et 90, et l’auteur, qu’il nomme pourtant « Luc », n’est pas le collaborateur de Paul. Toutefois, bien loin du scepticisme de l’école de Tübingen ou d’un Étienne Trocmé en leur temps, le bibliste se montre optimiste quant à la valeur historique du livre des Actes. Il explique que « Luc n’est pas plus subjectif que n’importe quel historien de l’Antiquité » (vol. 5a, p. 26) et souligne même le « souci d’exactitude de l’historien » (vol. 5a, p. 27). Par rapport à d’autres, Marguerat a tendance à minimiser la voix des sources utilisées par Luc. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est le travail du rédacteur des Actes dont il souligne fréquemment le génie. Par exemple, l’exégète attribue souvent les discours des Actes à la plume de Luc plutôt qu’à telle ou telle source. Il montre cependant que Luc a dû le faire à la manière des historiens gréco-romains de son époque : quand ses sources sont silencieuses, il s’agit de reconstituer « sur la base des souvenirs qui lui ont été transmis, le probable discours qu’a pu tenir Paul », Pierre ou Jacques (vol. 5b, p. 38). Autre exemple, Marguerat attribue à Luc (et non à ses sources) les différences entre les trois récits de la conversion de Paul (Ac 9.1-31 ; 22.3-16 et 26.9-18) : elles sont voulues par l’auteur et relèvent ainsi d’une stratégie narrative. Enfin, l’auteur relativise fréquemment les prétendues incohérences historiques soulignées par d’autres exégètes, comme, par exemple, celles entre le récit du « concile de Jérusalem » (Ac 15) et le récit de Galates 2.1-10.

Suivant la ligne éditoriale de la collection du Commentaire du Nouveau Testament, chaque péricope est d’abord traduite de manière assez littérale. On notera l’emploi de quelques tournures assez surprenantes : « Et comme s’accomplissait le jour de la Pentecôte » (Ac 2.1) ; « Il est dur pour toi de ruer contre des aiguillons » (Ac 26.14). Il s’agit, dans ces cas-là, d’attirer l’attention du lecteur sur une formulation particulière du texte grec.

Après une sélection bibliographique bien fournie, s’en suit une analyse générale de la péricope. C’est dans cette partie que l’on trouve les discussions sur la structure du passage, sur les sources éventuelles, ou sur l’historicité du récit. L’analyse est généralement concise et précise ; l’auteur se veut plutôt consensuel et ne s’aventure pas dans d’hasardeuses reconstitutions. Cette approche m’a semblé tout à fait bienvenue : si les questions techniques ou historiques ne sont pas ignorées, l’exégète sait aller à l’essentiel et éviter les débats secs au possible.

Après l’analyse vient l’explication de la péricope : le commentaire proprement dit, verset par verset. Daniel Marguerat allie avec brio les informations sur le contexte historique et l’analyse narrative. On dégustera toute la science de l’auteur en ce qui concerne le monde du Nouveau Testament. Les informations sur le contexte historique sont bien choisies : on appréciera les nombreux éclairages venant de la littérature antique ou les encadrés permettant d’expliquer quelques aspects historiques importants. Quant à l’analyse narrative, elle n’est pas employée à la manière de certains exégètes qui « plaquent » les théories modernes du récit sur le texte biblique. Daniel Marguerat décortique le discours, mais il le fait à la lumière des techniques littéraires ou rhétoriques de l’époque de Luc. L’exégète insiste particulièrement sur la manière dont Luc fait se répéter les scénarios, comment il use de « chaînes narratives », ou comment, à l’aide de la syncrisis, il calque certains épisodes de la vie de Pierre ou Paul sur ceux de la vie de Jésus.

Le commentaire de chaque péricope se termine par un paragraphe intitulé perspectives théologiques. L’auteur, dans son souci de faire se rejoindre exégèse et théologie, y présente les principes théologiques que l’on peut tirer de la péricope. Cette dernière partie sera précieuse pour le prédicateur.

En conclusion, nous avons désormais à notre disposition, en langue française, un des meilleurs commentaires techniques sur les Actes des apôtres. Il ne s’agit pas d’un ouvrage qui révolutionnera l’étude du livre des Actes par de nouvelles théories, mais ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’un bon commentaire. Daniel Marguerat condense en 900 pages le meilleur de la recherche sur les Actes (et le champ est vaste !). Il l’agrémente de quelques éclairages personnels généralement judicieux ; le tout dans un style agréable à lire, l’auteur s’exprimant facilement à la première personne du singulier. Je situerais l’ouvrage de Daniel Marguerat dans le « top 3 » des commentaires exégétiques récents sur les Actes : moins technique, un peu moins précis, mais aussi moins sec que le commentaire de C. K. Barrett (A Critical and Exegetical Commentary on the Acts of the Apostles (ICC), T&T Clark, 1994-1998) ; plus condensé que l’œuvre monumentale de l’évangélique Craig Keener dont le commentaire, lorsque le 4e et dernier volume sera publié, devrait compter plus de 4000 pages (Acts : an Exegetical Commentary, Baker, 2012-). Le commentaire de Daniel Marguerat est, à ce jour, un outil de référence incontournable.

Timothée Minard

1 Voir sa page http://people.unil.ch/danielmarguerat/ [consultée le 4 mai 2015].

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