Andreas Dettwiler (éd), Jésus de Nazareth – Études contemporaines; collection « Le Monde de la Bible », No 72 ; Genève, Éditions Labor et Fides, 2017, 304 pages – ISBN : 978-2-8309-1642-3 – 29.– CHF ou 24.– €.
Cet ouvrage regroupe une dizaine de contributions de spécialistes de la vie de Jésus 1, présentées lors d’un cours publique remontant au printemps 2016. Pourquoi un nouvel ouvrage sur Jésus ? Dans l’introduction, Andreas Dettwiler, Professeur de Nouveau Testament à la Faculté de Théologie de Genève, note que trois éléments ont renouvelé notre compréhension du Jésus historique :
- les découvertes archéologiques,
- l’étude systématique de la littérature apocryphe,
- l’avancée des disciplines issues des sciences humaines et sociales.
Remarquons pour commencer que le point de vue des contributeurs est marqué par la méthode historico-critique, seule susceptible, à leurs yeux, de nous permettre de retrouver, sinon le Jésus historique authentique, du moins un Jésus possible, avec le risque, reconnu par A. Dettwiler (p. 41), qu’on en arrive à la reconstitution d’une « image de Jésus qui convient au chercheur et conforte ses convictions ». C’est là, à mon avis, une faiblesse de la méthode : elle déconstruit un édifice littéraire bien construit (en l’occurrence celui de chacun des Évangiles), pour éliminer tout ce qui n’est pas corroboré par le témoignage croisé de plusieurs témoins indépendants, tout ce qui paraît un lieu commun ou une banalité, pour mettre en exergue les points originaux, comme la prédication du Règne de Dieu ou la passion de Jésus. Insister sur ces deux points est juste, mais on peut ainsi dresser un portrait réducteur de Jésus en laissant de côté les autres points jugés moins bien attestés, comme le fait par exemple A. Dettwiler (p. 35) quand, parlant de Paul comme témoin du Jésus historique, il ne mentionne pas la résurrection (1 Co 15) ? J’ai été frappé par exemple par la grande confiance que les contributeurs accordent souvent, soit à la littératures apocryphe du Nouveau Testament (cf. Norelli à la p. 97), soit à des reconstructions de documents hypothétiques, comme la source Q, pour reconstituer soit la vie, soit le message du Jésus de l’histoire. On ne se demande pas si cette source Q, à supposer qu’elle ait jamais existé, était utilisée comme document isolé ou si elle faisait partie d’une catéchèse incorporant les récits de miracles qui témoignent d’une autre vision de Jésus ? Les contributeurs sont encore très marqués par la critique littéraire qui traite les sources des Évangiles comme des documents écrits, sans prendre suffisamment en compte, à mon sens, le fait qu’ils ont d’abord été transmis dans un milieu sémitique de tradition orale où l’on ne mémorisait pas seulement de petites unités littéraires, mais des séquences entières de récits ou de discours, et où la transmission se faisait avec une grande fidélité. Le contexte juif de Jésus me semble encore sous-estimé par certains auteurs, par exemple Norelli (p. 102), quand il voit la relation entre Jésus et sesadeptes(sic) davantage sur le modèle du philosophe cynique itinérant que sur celui du rabbi juif avec ses disciples.
Cela étant dit, j’ai trouvé l’ouvrage très intéressant : il nous apporte une synthèse facile d’accès, sans une surabondance de notes, de ce que la recherche historique actuelle peut dire de Jésus. La contribution de Jürgen K. Zangenberg (pp 45-64) nous apprend quantité de choses intéressantes sur ce que l’archéologie a découvert en Galilée : le contexte où Jésus a grandi s’en trouve éclairé. L’article de Christian Grappe, sur l’irruption du Royaume (pp 125-146), m’a semblé lumineux. On y trouve, synthétisées et mises à jour, les idées déjà présentes dans ses ouvrages « Le royaume de Dieu » (Labor et Fides 2001) et « L’au-delà dans la Bible » (Labor et Fides 2014) : la prédication de Jésus, dans l’Esprit, puis de ses disciples, fait advenir le Royaume dans ses dimensions temporelles, spatiales et cultuelles. De son côté, Daniel Marguerat a fourni une contribution stimulante (pp 147-172) sur Jésus poète (au sens de créateur), vu comme un sage d’Israël maniant le mashal qui, par sa prédication en paraboles, fait advenir le Royaume. Autre contribution stimulante, celle de Martin Ebner surJésus critique fervent de la Torah(pp 195-214). Il défend l’idée intéressante que Jésus, dans le Sermon sur la montagne, ne s’en prend pas à la tradition pharisienne d’interprétation de la Torah, mais se présente, à l’égal de Moïse, comme interprète des Dix Paroles. Il allègue pour cela une conception, attestée par Flavius Josèphe (Ant. J. 3.90-94 -voir déjà 3.87), selon laquelle seul le Décalogue écrit sur des tables de pierre serait Parole de Dieu – le reste de la Torah n’en serait qu’une interprétation. Enfin, la contribution de Jean Zumstein (pp 235-249), qui clôt l’ouvrage, apporte des éléments intéressants pour réfléchir sur la manière dont la foi en la résurrection éclaire le Jésus de l’histoire, avec des réflexions de théologie biblique très judicieuses. Mais, s’il cerne bien que les présupposés de la méthode historico-critique ne permettent pas de « se prononcer sur l’événement même de la résurrection » (p. 238), qui n’est pas « la réanimation d’un cadavre », il bute sur « l’impossible possible » que le divin soit observable au sens du monde (p. 239). Mais le message biblique de l’incarnation ne nous affirme-t-il pas, précisément, que le Verbe de Dieu s’est manifesté en chair et qu’il s’est rendu visible et palpable ? (1 Jn 1,1ss ; Lc 24,39ss ; etc).
Alain Décoppet
-
Andreas Dettwiler (éd.), Martin Ebner, Christian Grappe, Daniel Marguerat, Annette Merz, Enrico Norelli, Adriana Destro et Mauro Pesce, Gerd Theissen, Jürgen K. Zangenberg et Jean Zumstein ↵
Les commentaires sont clôturés.