Jean-Georges HEINTZ, Prophétisme et Alliance – Des archives royales de Mari à la Bible hébraïque, Academic Press Fribourg, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2015, coll. « Orbis Biblicus et Orientalis », vol. 271, 23 cm. XXXV+349 pp. -ISBN 978-3-7278-1765-6, 103 €.
Cet ouvrage est dû à la volonté éditoriale d’Othmar Keel de l’Université de Fribourg/CH et de Manfred Weippert de l’Université de Heidelberg (voir son « Vorwort », pp. XIII-XXXV), en hommage à « la continuité de la réflexion et la rectitude de la recherche » de l’auteur des études qui nous sont proposées là. Jean-Georges HEINTZ a été professeur d’Ancien Testament à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg, depuis 1965, et a enseigné l’Épigraphie sémitique à l’École du Louvre à Paris (1969-2000). L’ouvrage est destiné à un public universitaire, d’étudiants et de chercheurs, mais aussi aux lecteurs cultivés et curieux de l’histoire du texte de la Bible. L’auteur examine le vaste univers du prophétisme et de l’alliance tel qu’on peut le rencontrer dans la Bible hébraïque, en le relisant à la lumière de l’étude des archives royales babyloniennes (plus de 16.000 tablettes cunéiformes) qui furent mises au jour à Tell Harîri, l’antique Mari, en Syrie. « Le volume réunit dix neuf études, parues entre 1969 et 2001 qui concernent les origines, les formes et la fonction du prophétisme ainsi que de la littérature prophétique dans l’aire ouest-sémitique, et leurs liens avec la théologie de l’alliance et de la souveraineté divine ». Ces textes sont répertoriés selon trois grandes sections : les études sur le prophétisme, de Mari essentiellement et de l’Ancien Testament, les études thématiques et, enfin, celles des représentations et rituels de l’Alliance.
Les études sur le prophétisme regroupent plusieurs chapitres. Ainsi une étude des 45 tablettes en écriture cunéiforme trouvées à Mari et concernant le phénomène prophétique et l’idéologie de la « guerre sainte ». Ces tablettes y dévoilent une proche parenté des textes prophétiques de Mari avec ceux de l’Ancien Testament, comme en Ez. 17,19-20, avec la mention du filet divin, déjà présent sur la stèle de victoire « dite des Vautours » (Musée du Louvre) dans la cité sumérienne de Lagash (vers 2450 av. J.-C). Le style de cour, où, dans un court texte, l’auteur montre « une antique connexion entre ce “style de cour” propre aux fonctionnaires […] ainsi que les attaches cultuelles de nombre d’intermédiaires divins », susceptible de trouver une correspondance historique en Israël dans le prophétisme de cour et le prophétisme cultuel, voire dans les formulations messianiques.
Les études thématiques proposent plusieurs entrées pour une réflexion approfondie sur une réelle antiquité des livres de l’Ancien Testament, avec des thèmes tels que : « Le feu dévorant », symbole de la souveraineté divine, ou bien : « Ressemblance et représentations divines selon l’A.T. et le monde sémitique ambiant », « Les dieux captifs et voyageurs », etc. « De l’absence de la statue divine au “Dieu qui se cache” (Es. 45, 15) : aux origines d’un thème biblique » est un texte passionnant qui étudie la problématique de « l’instance du pouvoir à structure absente » (U. Eco) – thème que l’on découvre avec l’absence de la statue babylonienne, celle de la déesse Bêlet-ekalim de son temple, et que l’on retrouve au temps de l’Exil, loin de Jérusalem, d’où le prophète Ésaïe oppose de manière allusive et critique la « souveraineté de son Dieu, unique et invisible » à l’inanité des « dieux étrangers, fabriqués de main d’homme » (40,19s. ; 41,1-7 & 21-29 ; 44,6-20 ; etc.).
La troisième section est composée de cinq « Études sur l’alliance » à partir des documents épistolaires et diplomatiques de Mari, confrontés aux documents figurés de l’époque (voir infra), ainsi : « Genèse 31,43 – 32,1 un récit de pacte bipartite », ou bien « ‘Dans la plénitude du cœur’ : à propos d’une formule d’alliance à Mari, en Assyrie et dans la Bible », qui présentent toutes la même rigueur d’analyse et de méthodologie.
Ces trois thématiques sont introduites par une passionnante réflexion historique et méthodologique de l’A.T., à partir de la conférence de Fr. Delitzsch, le 13 Janvier 1902 à Berlin, sur le thème « Babel und Bibel », conférence qui a eu un grand écho dans le monde de la recherche biblique occidentale. L’auteur présente de façon très claire l’histoire de l’exégèse biblique confrontée aux découvertes de l’archéologie. Ainsi assiste-t-on alors à la naissance d’un « pan-babylonisme », selon lequel peu de thèmes bibliques échappaient à un principe d’imitation ou de copie par rapport à des documents « originaux » babyloniens – jusqu’à l’émergence de la méthode historico-critique. Sont présentés les courants qui ont traversé cette méthode d’analyse de l’Ancien Testament, ceux recherchant les points d’insertion des récits bibliques dans les origines des tribus, avec un intérêt pour le « pays biblique » au sens strict du terme, ou ceux beaucoup plus ouverts sur les résultats de l’archéologie orientale dans son ensemble, notamment la relation – essentielle – entre « texte et image ». Ce mode d’approche devant pouvoir englober l’étude simultanée de ces « realia » et des textes, le contraire produisant selon l’auteur des « hiatus méthodologiques ». Ce livre parfois d’une lecture serrée, s’avère être un ouvrage indispensable et passionnant ouvrant à une lecture de la Bible dans l’antiquité de son histoire et de son texte (voir également la recension, en langue anglaise, par Daniel Bodi, parue dans : The Catholic Biblical Quarterly, 78/2016, Oct., pp. 796-806).
Patrick Duprez
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