Alain Décoppet, La lumière brille dans les ténèbres. Mes mémoires de la Mission Évangélique Braille (MÉB) des origines à 2020

Spread the love

Alain DECOPPET, La lumière brille dans les ténèbres. Mes mémoires de la Mission Evangélique Braille (MEB) des origines à 2020, UNIxtus, Le Mont sur Lausanne, 2023

« Mes mémoires » dit modestement le titre de cet ouvrage copieux, et très documenté. On aurait pu lire : « Mémoires », sans en être floué. Certes l’auteur de ces pages, bien connu des lecteurs et lectrices de Hokhma, et collaborateur de longue date de la Mission Evangélique Braille, s’y exprime bel et bien. Mais l’histoire qu’il retrace est si bien renseignée que l’on ne peut y entrer qu’avec une grande confiance. Ce fut mon cas, d’autant plus que je ne savais pour ainsi dire rien de cette belle œuvre menée depuis 1931 auprès des aveugles et des malvoyants dans le monde francophone, Europe et Afrique. Un lecteur plus au fait trouvera certainement dans la galerie de personnages qui y est présentée des noms et des personnes connus, vus sous l’angle de leur apport et de leur participation à l’aventure de la MEB. En savoir peu ou rien préservera le plaisir d’une découverte totale.

Le témoignage d’Alain Décoppet suit deux directions, annoncées dans la Préface : la première fait connaître la Mission dans sa chronologie, depuis la publication par la fondatrice Edith Huber en 1931 des premiers journaux d’édification en braille, jusqu’au souffle de rajeunissement qui gagna l’association entre 2010 et 2020. Soit près d’un siècle de vie, où une place particulière est naturellement faite aux temps fondateurs, puis aux secrétaires généraux successifs et à leurs charismes. Mais aussi aux trois lieux emblématiques ayant accueilli la MEB en Suisse : l’hôtel Rosat à Château d’Oex, puis l’Auberson, et enfin Vevey. Les difficultés, les conflits ne sont pas passés sous silence. Autant de crises de croissance à travers lesquelles, à de multiples reprises, l’action de Dieu est soulignée avec reconnaissance.

La seconde revient sur cette aventure en traitant de différentes thématiques. Elle ne peut éviter certaines répétitions avec la première, et par conséquent certaines longueurs, mais l’on souscrit aisément à l’intention de l’auteur de rendre hommage aux acteurs de cette œuvre pionnière, et d’en souligner les traits marquants.

Car bien des aspects exposés ici se révèlent passionnants.

A commencer par l’extraordinaire aventure de la publication de la Bible en braille : une aventure spirituelle et pédagogique, naturellement, mais aussi, on y pense moins, technique. La production et la diffusion de cette Bible accessible aux aveugles renvoie à une autre époque, quand la mise au point des procédés d’imprimerie a soudain permis l’édition de ce même livre pour un large public – large mais voyant – au 16ème siècle. Savons-nous que l’écriture braille, du nom de son inventeur, Louis Braille, né en 1809, s’écrit à l’envers, afin que les picots en reliefs puissent être lus ? Que la reliure des volumes demande une attention des plus soutenues ? Que l’une des principales difficultés de lecture consiste à identifier les lignes ? Qu’il existe une écriture abrégée du braille, demandant un apprentissage spécifique ? Au fil du récit qui en est fait, nous mesurons au prix de quels efforts, de quels actes de foi cette entreprise de la Bible en braille a été rendue possible, pour lire finalement, au détour d’une lettre présentée en document, la joie d’une croyante recevant chez elle après une longue attente un exemplaire du livre de la Genèse, et disant éprouver un « bonheur ne venant pas de la terre, mais du ciel » : la joie ineffable de l’accès au texte ! Cependant sur terre, des mains s’activent pour poinçonner, imprimer, relier, trouver une clicheuse, réparer une clicheuse, informatiser, porter et envoyer les volumes, etc … En suivant les défis rencontrés pas l’édition en braille, c’est toute l’évolution technique qu’a connu le 20ème siècle que nous suivons, et à une révolution que nous assistons avec la possibilité de diviser par 5, 10 et plus le temps de production par l’informatisation. Avec une idée plus juste des proportions : pour les voyants : un livre ; pour les aveugles et malvoyants : 40 volumes imprimés, entre 15 et 20 colis de 7kg chacun !

Un autre aspect de la MEB ressort particulièrement de l’ouvrage, c’est la compréhension de sa mission comme d’une mission « intégrale ». Comme au 16ème siècle, éditer une Bible concerne en même temps l’évangélisation et l’alphabétisation. Par ailleurs, l’ouvrage le plus imprimé en braille français l’a été grâce à la MEB, et n’est pas religieux. Les personnes handicapées de la vue ont besoin de vivre des temps de répit, que leur propose la mission avec ses séjours de vacances. Sans compter les aides financières si nécessaires étant donné les coûts d’impression de la documentation en braille. Pionnière dans l’édition, l’œuvre de la MEB ne l’a pas été seulement pour les croyants, mais elle a rayonné bien au-delà, dans la prise en compte plus générale du handicap visuel. Les multiples coopérations établies en Afrique, au Burkina-Faso, en Côte d’Ivoire notamment, le montrent bien, comme l’engagement des acteurs dans d’autres cercles que les cercles chrétiens. L’auteur lui-même a présidé la Commission Romande du Braille pendant 17 ans, et participé à la Commission pour l’Evolution Française du Braille, l’Académie Française de cette écriture !

La qualification d’intégrale donnée à l’œuvre de la MEB explique pourquoi elle a pu compter sur plusieurs salutistes dans son parcours, qui ont vu là une cohérence avec le slogan de leur Eglise : « Soupe savon, salut ». L’auteur revient d’ailleurs sur les liens entre la Mission et les Eglises, en insistant sur le caractère inter-confessionnel de l’association, qui s’est, de fait, trouvée plus d’une fois à coopérer avec ses alter-ego sur ce point : les Sociétés Bibliques nationales, l’Alliance Biblique, ou encore la Ligue pour la Lecture de la Bible.

Alain Décoppet signe ici un ouvrage certainement nécessaire pour la MEB qui, grâce à lui, a pour la première fois accès à son histoire avec un grand renfort de détails et de portraits, que l’auteur a d’ailleurs pris soin de rassembler dans une Annexe. Une seconde Annexe prenant soin de d’expliquer utilement certains termes techniques. Et bien que nécessaire, l’ouvrage n’en manque pas d’humour : il est parsemé d’anecdotes et de clins d’œil, à l’image de celui adressé à la France et à ses lourdeurs administratives !

Mais il faut avant tout insister sur l’intérêt de cette histoire pour tout un chacun, car elle est d’abord celle d’une inclusion : celle des personnes handicapées visuelles dans la famille de Dieu par l’accès aux Saintes Ecritures (Cf. le chapitre intitulé : Ceux que nous servons), et, dans le même élan, dans la société. Une histoire de foi, de courage, de dévouement et .. de guérison. 38 ans : c’est le temps du service de l’auteur à la MEB. Et dans ces 38 années, précise-t-il, il n’aura assisté qu’à une seule guérison de la vue. 38 ans, 1 guérison : cela rappellera au lecteur un fameux épisode biblique (Jean 5). Et incitera fortement à penser que d’autres guérisons se sont accomplies : autres qu’un strict retour à la vue pour des milliers de personnes depuis la décision d’engagement d’Edith Huber, en 1931 : par un accès direct à la Parole de Dieu, et à sa vérité qui rend libre.

Les commentaires sont clôturés.