Jacques Blandenier, Martin Bucer

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Jacques Blandenier, Martin Bucer – une contribution originale à la Réforme – Dossier Vivre N o 43, Saint-Prex et Charols 2019 – Éditions Je Sème & Excelsis – ISBN : 978-2-7550-0381-9 – 210 pages – € 12.– ou CHF 17.–.

Jacques Blandenier, pasteur retraité de la Fédération Romande d’Églises Évangéliques (FREE) est un enseignant et auteur bien connu pour ses nombreux ouvrages théologiques et historiques. Il a notamment publié une monumentale histoire des la Mission chrétienne des origines au XVI e s et des Missions protestantes et évangéliques du XVI e siècle à nos jours (2 volumes en tout).

Avec ce Martin Bucer, l’auteur comble un vide, au moins dans la littérature « grand public », sur l’histoire de la Réforme. En effet Martin Bucer est relativement peu connu, éclipsé qu’il fut par les figures de Martin Luther et Jean Calvin. Le réformateur strasbourgeois fut sans doute génial et créatif, mais son esprit conciliant ne fut pas du goût de tout le monde, à une époque où les rivalités entre réformés et catholiques étaient exacerbées. Luther et Calvin, avec leur doctrine bien profilée, leur abondante production littéraire et leur bonne capacité à communiquer ont su se positionner de façon déterminante sur le devant de la scène.

Le livre présente une biographie chronologique de Bucer (1491-1551). Il raconte son enfance à Sélestat (Alsace), son entrée chez les Dominicains, son temps passé à l’université de Heidelberg où il adhère aux idées de la Réforme et rencontre Luther. Mais Bucer, de caractère conciliant, ne se positionne pas tout de suite dans le camp réformé : il sautera le pas quand la radicalisation des positions l’obligera à le faire. Quand il vient s’installer à Strasbourg, après son mariage, il s’intègre à l’équipe pastorale de la ville. Beaucoup plus tolérante que Zurich, Strasbourg accueille des anabaptistes. Bucer est très proche d’eux sur les fondements de la foi. La différence fondamentale est que pour eux, l’Église et la cité sont clairement séparées, alors que pour Bucer et les Réformateurs, elles sont mélangées, comme l’ivraie et le bon grain dans le champ (Mt 13,24ss). Ce « mélange » crée une tension dans l’Église, et par conséquent la cité, entre les chrétiens confessants et ceux qui, n’étant pas renouvelés par l’Esprit, ne veulent pas obéir à l’Évangile : Bucer tentera de solutionner ce problème de deux manières : 1) l’institution de la confirmation qui donnera la possibilité aux jeunes d’être catéchisés et de prendre position ; 2) par la création de petites Églises regroupant les confessants vivant au sein l’Église multitudiniste de la cité ( ecclesiolae in ecclesia) . Cette solution, reprise dès le siècle suivant par le pasteur Spenner, donnera naissance au piétisme et aux divers mouvements évangéliques.

À partir du chapitre 8, Jacques Blandenier, tout en restant dans la trame chronologique, aborde, certains points de la pensée de Bucer, parmi lesquels je relèverai l’importance de la Bible, lue avec prière et avec l’assistance du Saint-Esprit. Bucer fut également un novateur dans la théologie des ministères : emboîtant le pas à la conception luthérienne du sacerdoce universel, il créa à côté du pasteur-docteur, le ministère d’ancien ( Kirchenpfleger ) : il s’agit de laïcs reconnus et désignés pour prendre soin spirituellement des paroissiens. Il institua également le ministère du diacre, chargé, dans une perspective chrétienne, de témoigner de l’amour du Christ par le soin des malades et nécessiteux.

Bucer joua indirectement un rôle important dans l’histoire de la Réforme en étant comme un « père spirituel » pour Calvin, lors de son exil à Strasbourg, entre 1538 et 1541. L’ecclésiologie, la liturgie et le catéchisme de Calvin lui doivent beaucoup.

D’un caractère irénique, Bucer œuvra pour l’unité de l’Église : entre protestants quand, en 1529, il tenta une médiation entre Luther et Zwingli en conflit ouvert à propos de la cène – malheureusement sans succès ; avec l’Église catholique, en 1541, à Ratisbonne, quand dans un ultime essai de réconciliation, il alla très loin dans les concessions qu’il était prêt à accorder. Mais tant du côté catholique que du côté protestant, on ne voulut pas entendre ces propositions.

En 1547, Charles-Quint, vainqueur des protestants, veut recatholiciser son empire. Bucer est contraint de quitter Strasbourg et se réfugie en 1548 en Angleterre. Il y écrira De Regno Christi qu’on peut considérer comme son testament spirituel. Durant les dernières années de sa vie, il jouera un rôle non négligeable pour poser les fondements de l’Église anglicane en création.

Relevons, dans cet ouvrage, une petite imprécision historique à la page 185 : c’est François II et, non Charles II, qui fut l’époux de Marie Stuart, et le massacre de la Saint-Barthélémy eu lieu sous le règne de Charles IX en 1572.

Soyons reconnaissants à Jacques Blandenier d’avoir sorti de l’ombre Martin Bucer et de nous avoir fait découvrir ce réformateur créatif dont l’œuvre est susceptible de nous inspirer encore aujourd’hui !

Alain Décoppet

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