Jens Schröter, Jésus de Nazareth
à la recherche de l’homme de Galilée, Genève 2018, Éditions Labor et Fides, Coll. Le monde de la Bible N o 74 — ISBN 9782830916737 — 320 pages — CHF 29, 00 ou € 24, 00.
Jens Schröter est professeur de Nouveau Testament et de littérature chrétienne apocryphe à la Faculté de théologie de l’Université Humboldt de Berlin. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes actuels sur le Jésus historique.
Sans cesse de nouveaux ouvrages sont publiés sur Jésus de Nazareth et sa place dans l’histoire ; celui-ci n’est pourtant pas superflu, car il permet de faire la synthèse sur l’état actuel de la question, sans cesse en évolution. La sixième édition allemande (de 2017), dont la traduction française est ici présentée, a été considérablement remaniée pour tenir compte des découvertes récentes, notamment en Galilée, qui sont un apport important pour comprendre le milieu dans lequel le Jésus historique a évolué. Dans les pages 67-119, l’auteur donne quantité d’informations éclairantes sur la situation sociale et économique de la Galilée, les synagogues dont l’existence est maintenant attestée archéologiquement au 1 er siècle de notre ère, Magdala, Capernaüm, Séphoris, le Lac de Tibériade, etc. À la page 90, il note que les activités de Jésus dans la plaine côtière ou en Décapole sont tout à fait plausibles dans les années 20, mais qu’elles auraient été impossibles au temps de la rédaction des Évangiles.
L’ouvrage se divise en trois grandes parties :
A. Introduction(pp. 19-65)
L’auteur fait l’historique de la recherche qui, depuis le 18e s. fait la distinction entre le Jésus de la foi et celui de l’histoire ; mais il prend soin de préciser que le portrait du Jésus historique est dépendant des limites inhérentes à tout historien. Pour lui, la foi, c’est précisément assumer cette subjectivité. Ensuite, il dresse une nomenclature des vestiges archéologiques et des documents écrits qui permettent de reconstituer qui a été Jésus.
B. Portrait de Jésus(67-270)
J’ai trouvé intéressante la manière dont Schrötter réincarne Jésus comme homme juif, en Galilée et Judée, dans les années 20-30 de notre ère. Mais pour lui, ce que les Évangiles en rapportent est vu à la lumière de la prédication de la mort et de la résurrection du Christ : ainsi, la naissance virginale de Jésus à Bethléhem, l’étoile des mages, l’exaltation comme Fils de Dieu, etc., sont vues comme des récits légendaires destinés à témoigner de la messianité de Jésus (p. 73). Pour ce qui est des miracles, si les guérisons et les exorcismes ne lui posent pas de problèmes fondamentaux (il cite des faits semblables attestés ailleurs par la littérature antique), il considère en revanche comme inexploitables du point de vue historique les récits de marche sur les eaux ou de multiplication de nourriture (p. 139). L’auteur se trouve là face aux limites de la critique historique marquée par le positivisme pour qui l’univers est clôt et finalement déterminé, où la possibilité du surgissement de la vie, d’une création, n’a pas sa place. Cela dit Schrötter donne une vision très stimulante du message de Jésus, même s’il le reconstitue essentiellement à partir de la source Q – à mon sens très hypothétique. Le centre du message de Jésus est l’annonce de la venue du Règne de Dieu auquel sa personne est liée. Ses miracles et sa prédication en sont le témoignage. L’apport de Schrötter est de m’avoir fait découvrir (p. 157) le concept de « pureté offensive », forgé par Klaus Berger, et lié à la venue du Règne de Dieu ; avant, la Loi mosaïque imposait toutes sortes de prescriptions pour éviter de se souiller. Pour Jésus (Cf. Mc 7 et parallèles), la puissance de pureté du Règne est telle qu’elle annihile l’impureté : les lépreux sont touchés et purifiés, les esprits impurs, chassés. Induite par l’amour, cette attitude active face à l’impureté, permettra à Jésus d’aller vers les parias de son peuple (Lc 15, 1-2) et les païens ; c’est dans cette même logique que, par la suite, l’Église primitive ira évangéliser les non-Juifs. C’est sur cette question de pureté que les Pharisiens s’opposeront de plus en plus violemment à Jésus, jusqu’à obtenir sa mise à mort. Quant à la résurrection de Jésus, si le fait lui-même n’entre pas dans le champ d’observation des historiens, plusieurs indices militent en sa faveur, notamment le fait que ce soient des femmes qui ont découvert le tombeau vide ; on n’aurait jamais eu l’idée d’inventer cela à l’époque.
Effets (pp. 271-301)
Cette partie parle des répercussions de la vie de Jésus jusqu’à notre époque (influence de l’éthique du Sermon sur la montagne, fêtes chrétienne, arts, etc.).
Même si Schrötter fait une distinction claire entre le Jésus de l’histoire et celui de la foi, il défend une continuité entre eux. À chacun de se servir de ce rapport de continuité pour éclairer sa vie d’aujourd’hui.
Alain Décoppet
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