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Christine Prieto, Jésus thérapeute – Recension

PrietoChristine Prieto, Jésus thérapeute Quels rapports entre ses miracles et la médecine antique ? Collection « Le Monde de la Bible » n°69, Genève, Éditions Labor et Fides, 2015 – ISBN: 978-2-8309-1567-9 – 640 pages, € 39 ou CHF 57.

Après des études de théologie à Paris et Lausanne, Christine Prieto est devenue animatrice biblique dans l’Église protestante unie de France, depuis 2002. Elle vient d’achever un doctorat en théologie sur les miracles dans l’évangile de Luc. Cette thèse, dont ce livre est une reprise allégée, a reçu en 2013 le prix Paul Chapuis-Secrétan de l’Université de Lausanne. Elle a publié chez Labor et Fides « Christianisme et paganisme » (2004).

Dans Jésus thérapeute, Christine Prieto étudie les miracles de Jésus dans le contexte de la médecine antique. Elle commence par dresser un tableau complet de la médecine, non seulement en Grèce et à Rome, mais aussi en Mésopotamie, en Égypte et en Israël. On y voit émerger lentement et avec hésitation, la médecine scientifique. Mais les retours en arrière sont fréquents et, dans l’antiquité, médecine scientifique et pratiques magiques restent souvent très mêlées.

Après ce tableau général, l’auteure se lance dans l’analyse de dix récits de guérison, deux de résurrection et cinq exorcismes, tous pris dans l’Évangile de Luc, sans oublier, pour commencer, le discours programmatique de Jésus à la Synagogue de Capharnaüm (Lc 4,14-30). Pour chaque chapitre, elle présente une analyse historico-critique du miracle étudié afin de le situer dans son contexte et en cerner le sens ; l’analyse narrative est aussi souvent invitée dans la démonstration. Ensuite elle présente des textes antiques relatant des traitements ou des guérisons de la maladie dont parle la péricope étudiée : lèpre, cécité, paralysie, fièvre, possession démoniaque. Il y a là une documentation impressionnante et intéressante.

Cet ouvrage établit un rapport entre les médecins de l’école hippocratique et les traits que Luc a mis en évidence dans sa présentation de Jésus : intérêt et dévouement pour la personne, gratuité des soins, attention portée aux pauvres. Mais à mon sens l’auteur met en relief, surtout dans sa conclusion, la différence essentielle entre la pratique des médecins antiques et Jésus. Les premiers, surtout ceux issus de l’école d’Hippocrate de Cos, ont accompli des actes médicaux, à la mesure des connaissances de leur temps, mais qui n’avaient rien de surnaturel, même si les contemporains n’ont pas toujours fait la différence entre médecine et magie. Dans le cas de Jésus, il s’agit de guérisons surnaturelles, par la Parole, sous l’effet de l’Esprit de Dieu, et qui témoignent que le « Règne de Dieu s’est approché ».

Alain Décoppet

Roland Meynet, Selon les Écritures – Recension

MeynetRoland Meynet sj, Selon les Écritures – lecture typologique des récits de la Pâque du Seigneur, Rome, Gregorian et Biblical Press, 2012, coll. « Theologia » 7 –
ISBN 978-88-7839-215-1 – 224 pages – €25.00.

Roland Meynet a souvent été présenté dans cette rubrique : je rappellerai qu’il est professeur émérite de théologie du Nouveau Testament de l’Université Grégorienne de Rome. Il a publié de nombreux ouvrages sur la rhétorique biblique ou sémitique ainsi que plusieurs commentaires bibliques, selon cette méthode qu’il a constamment perfectionnée depuis près de 40 ans.

Pour qui est habitué à lire Roland Meynet, Selon les Écritures a de quoi surprendre au premier abord, car les recherches d’analyse rhétorique s’effacent pour faire place à des études typologiques. Mais en fait, ce n’est pas vraiment une surprise pour qui a bien suivi le parcours de cet auteur. La forte influence de Paul Beauchamp, le recours systématique à l’intertextualité pour l’élaboration de ses commentaires allaient tôt ou tard l’amener à écrire un ouvrage de ce genre.

Parler de typologie aurait pu me faire tiquer. J’ai trop souvent été agacé par les sottises de certains scribouilleurs qui, usant d’une méthode typologique mal digérée, faisaient dire n’importe quoi à la Bible. Mais là, je dois avouer avoir été réconcilié avec cette approche qu’on trouve souvent chez les Pères de l’Église, même si, à mon sens, ceux-ci ne l’utilisent pas toujours avec autant de rigueur que Roland Meynet.

En fait la typologie utilisée ici repose sur l’intertextualité. L’emploi d’une expression, d’un nom, d’un mot, permet d’établir un rapport entre le texte étudié et un autre texte biblique et d’en recevoir l’éclairage. C’est fondamentalement le principe de la gezera shava abondamment utilisée dans la littérature rabbinique (voir mon article, « Le midrash, une source de la rhétorique biblique », dans Hokhma No 101). De cette manière, il étudie les récits de la passion et de la résurrection dans les Évangiles synoptiques. On sent derrière son travail tout une analyse rhétorique des passages étudiés mais cela reste discret. C’est un livre destiné au grand public. Par la mise en perspective du Christ avec des personnages de l’Ancien Testament comme Adam, Abel, Noé, Abraham, Moïse, David, le serviteur souffrant… etc., l’auteur fait miroiter de nouveaux reflets sur la face du Christ. C’est vraiment enrichissant.

Signalons encore, au début et à la fin de l’ouvrage deux articles très riches de Paul Beauchamp : « Exégèse typologique, exégèse d’aujourd’hui », et « Lecture christique de l’Ancien Testament ». Le livre imprimé contient encore une quarantaine de pages avec des reproductions de la Biblia pauperum.

Un mot encore : le malvoyant que je suis est vraiment très reconnaissant à l’auteur d’avoir lu son livre (7 h de lecture) pour une version audio en fichiers mp3, diffusée par Saint-Léger Production, pour 16 €.

Alain Décoppet

 

 

 

 

Croire, expliquer, vivre, de Yannick Imbert – Recension

Imbert_CEVYannick Imbert, Croire, expliquer, vivre, Introduction à l’apologétique, Ed. Excelsis – Kerygma, 2014, Collection: Aix-cursus, EAN: 9782755002096 – 336 pages – 23,00 €

« Ce livre est plus que bienvenu. C’est un événement, car il n’existe rien de ce genre à ma connaissance : écrit en français par un Français et pour des francophones […] » (p. 12). Ainsi s’exprime dans la préface W. Edgar, prédécesseur de l’A. à la Faculté Jean Calvin. En effet, si l’on considère, dans le cadre du protestantisme francophone, le genre du manuel d’apologétique, enseignant pourquoi et comment présenter une foi protestante attachée au credo entendu littéralement, il semble qu’il faille remonter un siècle précisément avec le Cours de Gaston Frommel. Il était temps !

L’A. part d’un constat honnête : le monde est en errance. Mais nous, tout chrétiens que nous sommes, en un sens nous le sommes aussi, ne sachant pas bien quoi dire, quoi faire, et, lorsque nous le savons, nous ne le faisons pas toujours (p. 18). Toutefois, confiant dans la puissance de Dieu qui agit en nous, l’A. souhaite que nous soyons convaincus tout d’abord que l’apologétique est de Dieu, qu’elle est biblique (partie I), ensuite qu’elle est une : un modèle utile nous est proposé par l’A. (partie II), et enfin qu’elle est intégrale, que c’est de tout son être, personnel et ecclésial, que l’on est apologète (partie III). Et puis, en route ! Car, bien que de nombreux écueils se trouvent sur le chemin du chrétien qui veut davantage assumer la foi qui lui vient de Dieu – écueils que l’A. souligne au fur et à mesure de l’ouvrage –, annoncer l’Évangile avec sérieux, présenter la foi chrétienne avec force est à notre portée. Telle est la conviction de l’A., qui n’a pas peur d’appeler son lecteur implicite « l’apologète » (p.ex. p. 166) !

Quelle est alors l’apologétique à laquelle il entend former ? Une apologétique qui se situe, d’après l’A., dans le droit fil de l’apologétique qui se donne à lire dans la Bible entière, à l’étude de laquelle – sous le prisme de cette thématique – il a consacré utilement l’essentiel de la première partie de son ouvrage (p. 45-98). En quoi consiste maintenant l’apologétique qu’il met à jour ? En voici un aperçu : l’A. souligne d’abord que ce qui régente notre vie, chrétien ou non, c’est une vision du monde (chap. 4) ; il s’efforce ensuite de montrer que, puisque Dieu nous a tous créés, et puisque, au plus profond de nous, nous savons cela, dans la mesure où nous reconnaissons Dieu / nous lui dénions l’existence, nos visions du monde sont plus ou moins cohérentes (chap. 5) ; enfin, et par conséquent, notre apologétique peut se dérouler comme suit : 1° montrer à notre prochain les contradictions théoriques ou pratiques auxquelles son refus de Dieu l’amène 2° donner à voir et à entendre notre espérance, de façon appropriée à notre interlocuteur (chap. 6). Après cela, l’auteur donne un bel aperçu de ce que cela peut donner face à quelqu’un qui est marqué par le bouddhisme, qui se revendique athée, qui est matérialiste ou encore de confession musulmane.

Est-ce à dire que, pour l’A., l’apologétique est une question de débat d’idées ? Il est vrai que, pour l’A., la pensée, la connaissance, la vérité, la raison et l’argumentation sont capitales. Toutefois, il en a une conception large : la connaissance est à entendre au sens biblique (p. 118-119), la vérité chrétienne à communiquer n’est pas « un système ultra-rationnel rassemblant les enseignements bibliques » (p. 119), la joie peut avoir force d’argument (p. 226), etc. Et plus encore, il ne réduit pas notre apologétique à la parole, bien qu’elle en soit l’aiguillon, la pointe (chap. 8). En effet, notre attitude et nos émotions peuvent soutenir puissamment nos paroles et nos discours, ou les contredire (chap. 7). Et de même en va-t-il de l’Église (elle aussi apologète !) : elle a à manifester la grâce, mais aussi la justice, ainsi que l’harmonie (chap. 9), c’est ensemble que l’on est appelé à être lumière.

À quel public cet ouvrage est-il destiné ? À tout chrétien qui, aimant Dieu, aimant sa Parole, aimant son prochain, aimant le monde, veut progresser dans le témoignage de la foi. L’A. en effet a un grand sens de la pédagogie : la structure est clairement dessinée, une série de questions de compréhension et de réflexion clôt chaque chapitre, un glossaire de 43 notions fréquentes ou de concepts techniques se situe en fin d’ouvrage, le propos est riche en images et références culturelles, etc. Mais cet ouvrage peut clairement être un tremplin pour la recherche dans le domaine de l’apologétique, notamment par ses indications bibliographiques « pour aller plus loin » à la fin de chaque chapitre et par une bibliographie fournie et classée en huit catégories, ainsi que, tout simplement, par un discours qui ne simplifie pas à en être simpliste. Maintenant, est-ce vraiment un livre pour des chrétiens de tous bords ? Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’A., on découvre assez rapidement ses appartenances : réformé ecclésialement, néo-calviniste en théologie, présuppositionaliste en apologétique. Est-ce à dire que si les appartenances du lecteur sont autres, il risque de ne point y trouver son compte ? Je serai plutôt d’avis contraire et pense cet ouvrage assez fin pour servir bien plus largement : nombreux sont les balancements de la pensée qui équilibrent le propos, qui ne perd jamais pour autant sa saveur propre.

À ceux qui auraient voulu un mode d’emploi, l’A. répond « je crois que nous ne pouvons pas déterminer un plan de route aussi précis » (p. 296), mais offre quand même une sympathique boîte à outils (p. 187-204). Et à ceux qui auraient aimé un appel à l’évangélisation improvisée, l’A. met en garde contre de nombreuses fautes que les chrétiens font en la matière, fautes bêtes, trop nombreuses, que l’on pourrait éviter par une simple formation – comme celle qu’il propose à tous par cet ouvrage, en rappelant, mais à la fin, que le temps de la pratique est alors venu. Aussi, ni mode d’emploi, ni appel à l’improvisation, ce manuel est, dans ce domaine, bien utile et bien venu.

Charles Vanseymortier