Daniel Arnold, Dieu visite aussi les orgueilleux

Arnold  Une approche originale du livre de Daniel, Ed. Emmaüs, 2016 – ISBN : 9782940488353 – 432 pages – CHF 28.–

Daniel Arnold a été professeur pendant 33 ans à l’Institut Biblique et Missionnaire Emmaüs. Passionné par la Bible et les textes narratifs, il a écrit de nombreux commentaires bibliques bien connus sur Juges, Élie et Élisée, Jonas, Ruth, Esther, l’Évangile de Marc. En 2014, il a obtenu un doctorat en théologie au South African Theological Seminary (SATS). Sa thèse est publiée sous le titre: “The Book of Daniel: When Structures Enlighten Prophecy. A Study of Parallelisms and Progressions as Means of Communication.’’

Ce commentaire sur Daniel est donc le résultat des recherches menées depuis plusieurs années sur ce sujet. L’auteur consacre près de 120 pages à nous introduire au livre de Daniel : particularités, diversités des approches, structures et message qu’il fait ressortir en intertextualité avec les récits de la tour de Babel, Joseph, les livres d’Ézéchiel et de l’Apocalypse.

Ensuite, il se lance dans une lecture suivie du livre de Daniel. C’est un commentaire plus cursif qu’exégétique : le message de chaque péricope est synthétisé sans trop entrer dans des analyses lexicographiques détaillées. Il ne nous fournit d’ailleurs pas une traduction originale, mais se contente de reprendre le texte de la Bible Segond révisée, dite « À la Colombe ». À ce sujet j’ai été quelque peu frustré de voir que généralement, quand se pose un problème de traduction, il aligne les différentes traductions choisies ou donne l’avis d’un commentateur, sans nous donner une démonstration de sa propre recherche.

Daniel Arnold a repéré plusieurs macrostructures qui traversent le livre de Daniel en se chevauchant parfois. La principale de ces structures me semble être celle déterminée par la langue : les chapitres 1, puis 8-12, sont en hébreu, tandis que les chapitres 2-7 sont en araméen. Cela forme un chiasme (A-B-A’ — Roland Meynet dirait une structure concentrique ). À l’intérieur de la partie araméenne, il a repéré, comme d’ailleurs plusieurs de ses devanciers, une nouvelle structure en chiasme avec les chapitres 4-5 comme partie centrale. Ensuite, pour chaque chapitre, il met en évidence des structures parallèles ou concentriques. Notons que pour cela, il utilise davantage les thèmes de la péricope (ce qui sans être faux est incomplet) que les indices lexicographiques, les inclusions, etc. Mais il ne met pas en valeur ces structures comme dans l’école de la rhétorique biblique pour exposer comment l’auteur sacré développe sa pensée, par exemple en utilisant les lois de Lund ; son interprétation est surtout théologique.

Daniel Arnold défend la thèse suivante : Daniel est un livre prophétique : il révèle que la prise de Jérusalem en 605 av. J.-C. (Dn 1,1ss), marque le début du « temps des nations » (p. 124s). Jérusalem cesse dès lors d’être sous l’autorité d’un roi d’Israël. Dès ce moment-là, Dieu commence à enlever l’opprobre qui était sur les nations depuis le jugement de Babel en commençant à parler araméen, la langue internationale, comprise de tous, à l’époque (p. 137s à propos de Daniel 2). Dieu confirme cela en révélant ses plans pour le monde, par des visions et des miracles, non plus à un membre de son peuple, mais à des rois païens, comme Nabucadnetsar, Belchatsar ou Darius. C’est pour eux un temps de grâce. Les chapitres en hébreu (1 et 8-12) sont centrés sur Jérusalem et Israël, et destinés au peuple de Dieu. Daniel est un exemple de foi par la manière de vivre dans les temps de trouble.

Même si je ne suis pas Daniel Arnold dans tous ses développements, j’ai trouvé son commentaire stimulant et original ; il sort des sentiers battus et présente une argumentation intéressante.

Alain Décoppet

Stanley Hauerwas, William H. Willimon, Étrangers dans la cité

HauerwasStanley Hauerwas, William H. Willimon, Étrangers dans la cité , traduit et préfacé par G. Quévreux et G. Riffault, éd. du Cerf, Paris 2016, ISBN 978-2-204-10569-9, 288 p., 19€.

Plus de 25 ans après sa sortie aux États-Unis, les éditions du Cerf mettent à la disposition du public francophone ce best-seller (1 million d’exemplaires en anglais !) de deux théologiens méthodistes, consacré à la place de l’Église dans le monde. Heureuse initiative. La thèse est simple, proche des vues anabaptistes de John Yoder : Le message que l’Église professe, l’éthique qu’elle met en œuvre au nom de l’Évangile sont incompréhensibles pour un monde sécularisé tel que le nôtre. Il ne sert donc à rien d’essayer de rendre l’Évangile crédible en l’adaptant comme tentait de le faire le libéralisme depuis les Lumières jusqu’à Tillich, voire en le traduisant dans des catégories philosophiques (existentiales par exemple, cf. Bultmann) ou idéologiques (marxistes, féministes, etc.). Pour nos deux auteurs, ces approches ont dénaturé l’Évangile en le réduisant à un système philosophique, fût-il celui de Jésus. Il ne s’agit plus de penser l’Évangile et la foi pour notre temps, mais de vivre en notre temps la rupture instaurée, entre le monde ancien et celui qui vient, par la venue, la mort et la résurrection du Christ. La notion de « chrétienté » héritée du Constantinisme, trahison de l’Évangile, a vécu, affirment les auteurs, même dans un pays comme le leur – les États-Unis, où la foi est réduite à un vernis culturel, celui de la religion civile, et se trouve récupérée par l’idéologie dominante. Les chrétiens sont en fait une sorte de colonie du Royaume de Dieu en terre étrangère. Il ne s’agit pas d’œuvrer pour améliorer le monde, le transformer, mais de préparer le Royaume en bâtissant l’Église.

Renvoyant dos à dos l’Église « militante » (axée sur la transformation et le progrès social en ce monde) et l’Église conversionniste (qui se voue à la transformation des individus et des cœurs au risque de négliger la dimension « cosmique » de l’Évangile), nos auteurs optent pour une Église confessante. Face à la prétendue autonomie individuelle, au matérialisme consumériste, à la tyrannie du désir personnel, au libéralisme broyeur des faibles, l’Église, « la stratégie sociale la plus créative que nous ayons à offrir » (p. 147), prémices de l’humanité nouvelle instaurée par le Christ, vit une éthique nouvelle, qui n’a rien de naturel pour l’esprit humain, et dont le Sermon sur la Montagne constitue la charte. Pour être vraiment fidèle à son chef, devenir un peuple nouveau, sans pactiser avec aucun pouvoir, bref, faire œuvre sociale, politique au sens le plus étymologique du terme. « Ce qui fait que l’Église est radicale et toujours nouvelle, ce n’est pas qu’elle incline à gauche sur la question sociale, mais qu’elle connait Jésus, alors que le monde ne le connait pas » (p. 69).

Les derniers chapitres insistent sur la vie « aventureuse » du disciple en ce monde, en particulier de celui qui est engagé dans le ministère pastoral, combat permanent et difficile constamment exposé à la tentation de l’accommodation. La panoplie d’Éphésiens 6 donne à méditer aux auteurs qui insistent sur la nécessité vitale de l’Église comme lieu de soutien mutuel et d’entraînement au combat des disciples du Christ, exilés en ce monde. Combat qui, pour être résolument non-violent, n’en est pas moins acharné.

L’édition française comporte une préface des traducteurs. Elle souligne l’étonnante actualité tout comme la force contestatrice de l’Évangile dans la sphère hyper-libérale, consumériste, individualiste et matérialiste de notre monde globalisé. Suit un avant-propos de W. Willimon qui évoque avec reconnaissance et humour sa collaboration avec St. Hauerwas, et le succès étonnant rencontré par leur livre en 25 années de diffusion. Christophe Desplanque

Joël Reymond : Reconnectés à nos racines juives

Joël Reymond : «  Reconnectés à nos racines juives – perspectives sur la dernière réforme » – édité par l’auteur 2016 – 172 pages – CHF 14.–

Après avoir fait des études en lettres et en théologie, l’auteur a été entre autres journaliste au « Christianisme Aujourd’hui ». Depuis plusieurs années, il remplit des mandats de communications pour diverses organisations et accompagne des chrétiens ayant besoin d’un appui pour rédiger un livre.

Précisons tout de suite que ce livre ne cherche pas à atteindre des théologiens ; il a été « conçu pour encourager les chrétiens qui s’intéressent aux racines juives de leur foi » (p. 4 de couverture) et désirent s’y reconnecter. Et dès la page 12, il invite le lecteur mettre en pratique ce retour aux racines juives, à appliquer ce principe juif qui consiste à goûter et éprouver, afin de pouvoir comprendre, ensuite, au fur et à mesure.

A cet effet, il présente – par touches successives et non d’une manière systématique – un certain nombre de valeurs du Judaïsme que, comme chrétien, on est appelé à retrouver par des contacts avec des juifs messianiques qui font le pont entre Israël et l’Église. Si l’Église primitive n’avait pas perdu contact son aile judéo-chrétienne, elle aurait pu garder ces valeurs et se serait épargné bien des errements au cours de son histoire. Parmi ces notions oubliées, citons :

  • la direction collégiale de l’Église : elle a été abandonnée pour une autorité monarchique pyramidale d’inspiration païenne ;
  • le monisme anthropologique : l’Église a adopté une anthropologie grecque qui sépare la personne entre une entité spirituelle, l’âme, et une entité charnelle, le corps. Il en est résulté une dichotomie entre le savoir et le faire, la théorie et la pratique, la foi et les œuvres ;
  • la transmission d’une foi pratique de maître à disciple, remplacée par un enseignement théorique ;
  • la place centrale de la famille, comme lieu de transmission de la vie, de la culture et de la foi ;
  • le calendrier israélite, notamment le shabbat (jour véritable du repos) et les fêtes juives (Pâque, Shavouot ou Pentecôte et Soukkot ou fête des cabanes). Ces fêtes ont été remplacées par le dimanche (journée dédiée au dieu soleil) et par Pâques et la Pentecôte chrétiennes, des fêtes dont on a oublié l’origine agricole, la signification spirituelle et dont on ne perçoit plus le sens messianique. La notion de « faire mémoire » qui réactualise le passé (Dt 5,2-5) et fait de ces fêtes juives des moments conviviaux et joyeux s’est perdue : les sacrements sont devenus des rites secs.

Le message de Joël Reymond est de dire que l’Église doit retrouver ses racines juives pour rentrer dans le plan de Dieu et accomplir pleinement sa vocation. Israël devrait reconnaître Jésus comme son Messie – il n’y a pas de salut en dehors de lui (Ac 4,12) – mais l’Église de son côté doit se rapprocher d’Israël et retrouver les valeurs dont elle s’est privée en se coupant de ses racines.

Mais quand l’auteur invite à revenir aux racines juives, il a, à mon avis, une théologie ambiguë, car d’un côté, il dit à la page 11 que les chrétiens « ont reçu la totale … sans avoir à passer par l’observance de la Torah » ; mais d’un autre côté, il invite à revenir au calendrier juif avec notamment le shabbat (pp 85ss) et les fêtes de Pâque, Shavouot et Soukkot, fêtes instituées par Dieu, alors que Pâques et Pentecôte et autres fêtes chrétiennes, ont été instituées par l’Église (p. 97) – dans l’annexe III (p. 154ss), il donne même des suggestions, inspirées de la liturgie juive, pour accueillir le shabbat dans les familles chrétiennes. Il est normal que des chrétiens d’origine juive puissent le faire – ça fait partie de leur patrimoine de membres du peuple d’Israël ; je comprends même que des chrétiens d’origine païenne puissent s’associer à eux, dans la liberté du Christ (1 Co 9,20). La Torah a été donnée par Dieu à Israël, et il s’y trouve des choses excellentes. Si, par exemple, sanctifier un jour particulier comme le shabbat peut m’aider à apprendre à sanctifier tout mon temps pour Dieu ; alléluia ! Mais il faut garder à l’esprit qu’en Christ, nous sommes libres (Gal. 5,1ss), « morts à la loi » (Rm 7,4 ; Gal. 2,19-20) ; nous ne sommes donc plus asservis au calendrier de la loi et avons la liberté de le pratiquer ou pas et de refuser de nous laisser juger pour cela (Gal. 4,9-10 ; Col. 2,16-18 ; Rom 14,5-6).

Un regret encore : que l’auteur, dans un livre qui vise à nous reconnecter à nos racines juives, n’ait pas songé à recourir à l’ancienne littérature rabbinique pour nous faire aimer Israël. Aucune citation du Talmud ou des midrashim ! Pourtant la Torah orale d’Israël est le chaînon incontournable reliant le Christianisme aussi bien que le Judaïsme à la Torah écrite et à l’ensemble du Tanakh (Ancien Testament). À l’image des rabbins, il aurait pu utiliser mille et une histoires juives tirées de la haggada, voire de la littérature hassidique pour illustrer ses propos les rendre facilement accessible à tout un chacun. Par exemple, il invite ses lecteurs à tester le Judaïsme pour comprendre ensuite ! Très bien ! Mais pourquoi n’a-t-il pas dit que cela venait d’Exode 24,7 : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous ferons et nous écouterons ! » ? Les rabbins ont mainte fois disserté sur ce verset. Le Talmud de Babylone dit même que faire avant d’écouter est un « secret des anges » – à cause d’un raisonnement pas analogie (gezera shawa) avec Ps. 103,20. (voir Shabbat 88a ; cf aussi Ketouboth 112a où rabbi Zeira est si pressé de se retrouver en Israël qu’il prend des risques pour traverser un fleuve sur une corde, au lieu d’attendre un bateau ; il se voit reprocher de faire avant d’écouter. À noter que la tradition d’Israël a d’ailleurs mis un bémol à cet empressement aveugle et invite aussi à comprendre (Cf. Pinhas H. Peli, La torah aujourd’hui – DDB 1988, pp 94-98).

Malgré ces faiblesses, il faut être reconnaissant à Joël Reymond d’avoir osé écrire un tel livre en notre époque d’antisémitisme latent et d’inviter les chrétiens à retrouver une juste relation avec Israël. Il est impératif que l’Église sache que par le Christ, elle est connectée au tronc d’Israël.

Alain Décoppet

Déclaration de Larnaca

Traduction de « Larnaca Statement » par Dany Pegon. Voir la publication en anglais sur la page internet du mouvement de Lausanne : https://www.lausanne.org/content/larnaca-statement#_ftn1
Préambule

Nous nous sommes réunis en tant que groupe unique de trente Juifs messianiques et Palestiniens chrétiens à Larnaca, Chypre, pour la seconde consultation de l’Initiative de Lausanne pour la Réconciliation en Israël/Palestine, du 25 au 28 janvier 2016. Nous avons adoré, prié et étudié les Écritures ensemble. Nous avons formé et approfondi des amitiés en mangeant, en buvant et en parlant ensemble dans la fraternité de l’Évangile.

Nous avons adopté unanimement la résolution suivante avec les engagements qu’elle inclut et nous la recommandons pour l’étude, la prière et l’action.

La résolution affirme notre unité en tant que croyants en Jésus (section 1), appelle à un engagement mutuel à vivre ouvertement cette unité au milieu du conflit et de la division (section 2), reconnaît des zones de défi et de désaccord théologique et met en évidence les questions sur lesquelles un approfondissement s’impose (section 3), propose des actions pratiques qui expriment l’espoir pour l’avenir, spécialement parmi la jeune génération de croyants dans les deux communautés (section 4), et appelle à la prière et au soutien de cette initiative de la part de la famille plus large des croyants.

1. Nous affirmons notre unité dans le corps du Messie.

1.1 Notre unité a une mission intrinsèque, puisque Jésus a prié que nous soyons un afin que le monde croie la vérité à son sujet.

20 « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole, 21 afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient [un] en nous pour que le monde croie que tu m’as envoyé. 22 Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée afin qu’ils soient un comme nous sommes un 23 – moi en eux, et toi en moi-, afin qu’ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » (Jean 17,20-23) 1

1.2 C’est Dieu qui crée notre unité par le Saint-Esprit et il nous ordonne de la maintenir dans l’humilité, la douceur, la patience et l’amour.

1 Je vous encourage donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à vous conduire d’une manière digne de l’appel que vous avez reçu . 2 En toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour. 3 Efforcez-vous de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. 4 Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation. — 5 Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, 6 un seul Dieu et Père de tous. Il est au-dessus de tous, agit à travers tous et habite en [nous] tous. (Éphésiens 4,1-6)

1.3 Notre unité englobe notre diversité en tant que Juifs messianiques et Chrétiens palestiniens en un seul corps.

12 Le corps forme un tout mais a pourtant plusieurs organes, et tous les organes du corps, malgré leur grand nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en va de même pour Christ. 13 En effet, que nous soyons juifs ou grecs, esclaves ou libres, nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps et nous avons tous bu à un seul Esprit. 14 Ainsi, le corps n’est pas formé d’un seul organe, mais de plusieurs .

(1 Corinthiens 12,12-14)

1.4 Notre unité a été accomplie par la croix de Christ, par laquelle l’hostilité entre nous a été supprimée tout en conservant nos identités distinctives.

14 En effet, il est notre paix, lui qui des deux groupes n’en a fait qu’un et qui a renversé le mur qui les séparait, la haine. 13 Par sa mort, il a rendu sans effet la loi avec ses commandements et leurs règles, afin de créer en lui-même un seul homme nouveau à partir des deux, établissant ainsi la paix. 16 Il a voulu les réconcilier l’un et l’autre avec Dieu en les réunissant dans un seul corps au moyen de la croix, en détruisant par elle la haine. (Éphésiens 2,14-16)

1.5 Notre unité est une condition pour recevoir la bénédiction de Dieu sur nos communautés.

1 Oh! Qu’il est agréable, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble!

2 C’est comme l’huile précieuse versée sur la tête, qui descend sur la barbe, sur la barbe d’Aaron et sur le col de ses vêtements.

3 C’est comme la rosée de l’Hermon qui descend sur les hauteurs de Sion.

En effet, c’est là que l’Eternel envoie la bénédiction,

La vie pour l’éternité. (Psaume 133, 1-3)

 

1.6 A la lumière de ces versets ainsi que d’autres, nous soutenons les paragraphes suivants de l’Engagement de Cape Town 2

L’amour les uns pour les autres dans la famille de Dieu n’est pas une simple option souhaitable mais un ordre auquel nous ne pouvons échapper. Un tel amour est un premier signe d’obéissance à l’Évangile, l’expression indispensable de notre soumission à l’autorité de Christ et un moteur puissant pour la mission mondiale 3 . Nous déplorons nos dissensions et les divisions de nos églises et organisations. Nous sommes très impatients de voir ceux qui suivent Jésus cultiver un esprit de grâce et être obéissants au commandement de Paul de « faire tous nos efforts pour maintenir l’unité de l’esprit dans le lien de la paix ».

1.7 Dans le contexte de nos conceptions et opinions incompatibles, nous affirmons néanmoins notre consentement sincère à ces convictions :

  • Nous sommes unis dans notre foi en Jésus de Nazareth comme Messie, Sauveur et Seigneur, et dans la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, qu’il a prêché et pour lequel il a vécu, est mort et est ressuscité ;
  • Nous sommes unis dans le corps de Christ en conséquence de son œuvre de réconciliation sur la croix, et dans notre diversité nous sommes tous, également et ensemble, membres de la maison de Dieu ;
  • Nous appartenons ensemble à une seule famille ;
  • Nous sommes déterminés à nous aimer et à nous servir les uns les autres ;
  • Nous avons besoin les uns des autres ;
  • Nous partageons les souffrances des uns les autres comme membres d’un seul corps ;

2. Nous nous engageons à vivre ouvertement cette unité au milieu du conflit et de la division, et nous invitons nos communautés à se joindre à nous dans cet engagement.

2.1 Dans des temps de tension et de conflit violent, les relations souffrent alors que la suspicion, l’accusation et le rejet mutuel prospèrent. Dans de telles circonstances, il est encore plus essentiel que nous, qui affirmons notre unité dans le Messie, maintenions des standards éthiques de vie dignes de notre appel, dans toutes nos attitudes, nos paroles et nos actes.

2.2 Nous reconnaissons que nous tenons des positions théologiques très différentes en ce qui concerne la terre, ainsi que des perspectives très différentes sur les causes des réalités sociales, politiques et économiques qui ont un impact sur la vie quotidienne de tous ceux qui habitent le pays. Ces réalités comprennent une gamme de questions litigieuses (telles que : la sécurité, l’occupation de la Cisjordanie, l’égalité de la citoyenneté en Israël, les réfugiés, les actes de violence meurtrière, la recherche de la justice et de la paix, etc.).

2.3 Néanmoins, nous insistons sur le fait que, quelle que soit notre théologie ou nos points de vue sur les réalités actuelles, nous sommes appelés à vivre selon les commandements de l’Écriture et l’exemple du Seigneur Jésus-Christ, même lorsque nous sommes en opposition légitime dans ces domaines. Inversement, nous déplorons ces manières de parler et d’agir qui sont incompatibles avec l’obéissance à notre Seigneur et pour lesquelles nous devons nous repentir.

2.4 En conséquence, nous prenons les engagements suivants :

2.4.1 Nous nous accepterons les uns les autres comme Dieu nous a acceptés en Christ, en dépit de nos différences théologiques et des sujets de contestations (Romains 15,7). Nous acceptons aussi la responsabilité que cela entraîne :

  • de se soutenir et de se respecter les uns les autres ;
  • de se traiter les uns les autres comme des frères et sœurs dans le corps du Messie, en tout temps et en toutes circonstances ;
  • de chercher à écouter et à comprendre même quand nous ne pouvons pas être d’accord ;
  • de se comporter les uns envers les autres avec amour, douceur et patience.

2.4.2 Nous refuserons de nous dénoncer, de nous déshumaniser ou de nous diaboliser les uns les autres ou nos communautés respectives. Nous ne « porterons pas de faux témoignage contre nos voisins », ne « répandrons pas de faux rapports » ou ne « suivrons pas la foule pour faire le mal » (Exode 20,16 ; 23,1-2). Nous nous abstiendrons de répandre des commérages, des rumeurs, des calomnies des allégations non fondées et des mensonges – que ce soit par les paroles de notre bouche, la publication écrite, dans les médias sociaux, les blogs, etc.

2.4.3 Nous obéirons aux instructions de Jésus dans Matthieu 18 dans les cas de dispute entre frères et sœurs dans nos communautés respectives. Nous ne rendrons pas publics nos griefs contre un frère ou une sœur, ou les ministères ou organisations qu’ils représentent, avant de leur avoir parlé personnellement et d’avoir abordé les questions dans la prière avec d’autres disciples de Christ mûrs.

2.4.4 Nous prierons les uns pour les autres, en cherchant à considérer les intérêts des autres comme étant au-dessus de nos propres intérêts, portant les fardeaux les uns des autres, en encourageant activement les ministères et le travail missionnaire les uns des autres, développant des amitiés et des réseaux et en explorant des manières de travailler ensemble dans la fraternité de l’Évangile, dans la mesure du possible.

2.4.5 Nous ferons tous les efforts nécessaires pour maintenir notre relation fraternelle comme témoignage de l’unité du corps du Messie et de l’amour infini de Dieu pour chaque peuple.

2.4.6 Quand nous engagerons une remise en question des actions, des positions et des enseignements de l’autre, nous le ferons d’une manière qui soit compatible avec les engagements ci-dessus.

3. Nous reconnaissons les domaines de contestations et de désaccords suivants :

Certes, une réflexion théologique ainsi qu’une action conjuguée dans les domaines suivants sont nécessaires ; néanmoins, nous croyons que notre unité dans la maison de Dieu nous met au défi d’élaborer des affirmations communes et de prendre des engagements mutuels en rapport avec ces domaines.

3.1 Comprendre nos récits historiques différents.

En tant que Juifs messianiques et Palestiniens chrétiens, nous reconnaissons que nos récits historiques sont souvent en conflit l’un avec l’autre et que dans beaucoup de cas, ils s’excluent mutuellement, en particulier en ce qui concerne les événements des 100 dernières années, la création de l’État d’Israël et les événements qui y ont mené.

Beaucoup de Juifs messianiques voient le retour des Juifs dans le pays et l’établissement de l’État d’Israël comme un signe de la fidélité de Dieu envers son peuple Israël. Beaucoup considèrent le contrôle des territoires comme étant nécessaire pour maintenir la sécurité et prévenir une nouvelle escalade, et d’autres le voient comme un des aspects de la promesse de Dieu pour le grand Israël et envisagent le service militaire comme un devoir envers leur pays.

Beaucoup de Palestiniens chrétiens considèrent la présence de l’Église chrétienne dans leur pays comme un témoignage de la fidélité de Dieu, et l’établissement de l’État d’Israël comme une catastrophe pour leur peuple. Ils perçoivent le problème des réfugiés, le manque d’égalité en Israël, l’occupation en cours, et l’expansion des installations sur le territoire palestinien comme une illégalité et une injustice. A leurs yeux, un engagement à la résistance face à ces injustices par des moyens paisibles, légaux et non-violents représente à la fois leur moyen de survie et leur devoir.

Malgré nos perspectives différentes, nous nous engageons à nous écouter les uns les autres, à apprendre du récit de l’autre et à le remettre en question respectueusement, à évaluer de façon critique notre propre récit et à travailler dans le sens d’un récit inclusif qui construit des ponts.

3.2 Reconnaître nos identités sociales

Dans un contexte de conflit social et politique, nous faisons face au défi d’accepter et de respecter les identités les uns des autres. Notre auto-définition comme Juifs messianiques et Palestiniens chrétiens ne devrait pas nous empêcher d’accepter la légitimité de l’autre. Nous devons reconnaître notre appartenance mutuelle au corps du Messie tout en vivant dans nos sociétés divisées.

3.3 Élargir nos théologies

3.3.1 Nous reconnaissons qu’il y a des convictions théologiques profondes des deux côtés qui sont, dans l’esprit et le cœur de ceux qui les tiennent, justifiées sur des bases d’exégèse et d’interprétation biblique. Nous tous affirmons que nous nous soumettons à l’autorité de l’Écriture des deux Testaments comme une nécessaire dimension de notre soumission à Jésus comme Messie et Seigneur. Nous cherchons tous à comprendre et à interpréter l’Écriture aussi fidèlement que possible et à l’appliquer à notre contexte et aux problèmes qu’il suscite. Cependant, nous ne sommes pas en accord sur certains points fondamentaux.

3.3.2 Nous avons l’intention de nous écouter plus attentivement pour approfondir notre compréhension les uns des autres, même lorsque nous ne sommes pas d’accord. Nous nous engageons à ne pas rejeter avec mépris des points de vue qui diffèrent des nôtres et à ne pas laisser nos désaccords faire obstacle à un dialogue qui repose sur une exégèse biblique prudente, respectueuse et mutuellement critique. Nous reconnaîtrons que ce qu’une communauté considère comme un axiome théologique peut engendrer des souffrances pour l’autre, si elle est ainsi privée de son identité ou de ses droits.

3.3.3 Bien que nous soyons convaincus de nos propres positions et que nous souhaitions continuer le dialogue et nous remettre en question les uns les autres, nous n’exigerons pas des autres qu’ils changent leur position et qu’ils acceptent les nôtres comme une condition préalable à la relation fraternelle. Nous appelons plutôt à une position théologique généreuse qui permet et respecte les convictions intimes des autres, qu’ils tirent de bonne foi de leur lecture de l’Écriture. Nous nous engageons à clarifier nos positions dans des situations où elles pourraient être interprétées d’une façon qui heurte ou exclut les autres. Nous sommes aussi en droit d’exiger la même attitude de la part des autres.

3.3.4 Par exemple:

Certains d’entre nous croient que l’alliance non abolie de Dieu avec Israël continue à inclure la promesse de la terre au peuple juif en tant que descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et que le retour des Juifs dans le pays et l’établissement de l’État d’Israël constituent l’accomplissement des prophéties bibliques. Nous rejetons, cependant, l’interprétation de cette conviction théologique qui dément l’identité, l’histoire et l’existence des Palestiniens en tant que peuple et leurs droits à rester dans le pays de leurs ancêtres. Et nous reconnaissons et nous déplorons avec eux la souffrance, la mort et l’injustice causés par ce déni.

Certains d’entre nous croient que toutes les promesses de l’alliance de Dieu, y compris le pays, sont accomplies dans le Messie Jésus comme Celui qui a incarné la qualité de Fils et l’héritage d’Israël, englobant toute la terre et toutes les nations. Tous ceux parmi les nations qui sont unis au Christ par la foi partagent l’héritage qui est le sien et sont la descendance d’Abraham et ses héritiers selon la promesse de Dieu. Nous rejetons, cependant, l’interprétation de cette conviction théologique qui nie le droit des Juifs à une patrie et rejette la réalité et la légitimité de l’État d’Israël. Et nous reconnaissons et nous déplorons avec eux la souffrance et la mort causées par la haine et la violence de ceux qui cherchent à le détruire.

D’autres questions théologiques doivent être abordées et traitées dans le même esprit.

4. En tant que croyants en Jésus, nous renouvelons notre espoir dans l’avenir, fondé sur la Bible, nous affirmons notre croyance selon laquelle l’Évangile peut changer les personnes et les situations, et nous admettons que nous avons un rôle à jouer dans ce processus.

Nous nous engageons dans les intentions et les actions suivantes :

4.1 Être les avocats les uns des autres dans nos communautés, particulièrement pendant les temps de violence accrue.

4.2 Créer une plateforme de sécurité privée pour maintenir la communication entre nous.

4.3 Faire tout notre possible pour nous rencontrer dans la communion fraternelle.

4.4 Chercher et recevoir les uns des autres des informations au sujet du conflit plutôt que de compter seulement sur nos media.

4.5 Être conscients du rôle majeur que jouent les media sociaux dans notre conflit et par conséquent être sensibles, honnêtes et ouverts dans leur utilisation tout en maintenant la communication entre nous.

4.6 Nous souvenir des limitations et des dangers potentiels de la communication non directe et la reconnaître.

4.7 Nous consulter pendant le processus de prise de décisions qui pourraient affecter directement nos frères et sœurs de l’autre camp.

4.8 Discuter de notre rôle dans la réconciliation à l’intérieur de nos propres communautés, particulièrement pour ceux d’entre nous qui sont les leaders émergeant de la nouvelle génération.

4.9 Inviter et mettre au défi nos pairs et leaders à engager un dialogue sain et à favoriser la réconciliation.

4.10 Prier pour nous-mêmes, pour nos autorités, et pour les uns et les autres la prière suivante :

« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,Là où est la haine, que je mette l’amour.Là où est l’offense, que je mette le pardon.Là où est la discorde, que je mette l’union.Là où est l’erreur, que je mette la vérité.Là où est le doute, que je mette la foi.Là où est le désespoir, que je mette l’ espérance .Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.Là où est la tristesse, que je mette la joie.

Ô Seigneur, que je ne cherche pas tant àêtre consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre,à être aimé qu’à aimer.

Car c’est en se donnant qu’on reçoit,c’est en s’oubliant qu’on se retrouve,c’est en pardonnant qu’on est pardonné,c’est en mourant qu’on ressuscite à vie éternelle. »

 

Prière pour la paix – Saint François d’Assises

Conclusion

Nous invitons nos communautés dans le pays et à l’extérieur, avec la famille de Dieu partout dans le monde, à se joindre à nous dans la prière, à la fois pour que nous puissions être fidèles aux affirmations et engagements exprimés ici et que le travail continu de cette initiative puisse porter du fruit pour le Royaume de Dieu et Sa gloire.

Nous tous qui avons participé à la consultation étions d’accord et avons approuvé cette Résolution de Larnaca. Certains d’entre nous, à cause de la sensibilité du contexte ou pour des raisons personnelles ont préféré cacher nos noms.

 

Comité de pilotage

  • Richard Harvey (co-président)
  • Munther Isaac (co-président)
  • Lisa Loden
  • Botrus Mansour
  • Salim Munayer

Autres participants

  • Najed Azzam
  • Yoel Ben David
  • Jamie Cowen
  • Bishara Dib
  • Eli Dorfman
  • Danny Kopp
  • Neeman Melamed
  • Jack Munayer
  • Mazan Nasrawi
  • Toumeh Odeh
  • Rasha Saba
  • Rawan Sabbah
  • Albert Saliba
  • Shadia Qubti
  • Sharona Weiss
  • David Zadok
  • Saleem Anfous
  1. Les citations bibliques sont tirées de la Segond 21 pour la version française (2007) et de la New International Version pour l’original anglais (2011).
  2. Note du Comité Hokhma : L’Engagement de Cap Town est la déclaration du 3 ème Congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde, qui s’est tenu à Cap Town, Afrique du Sud, en octobre 2010.
  3. Cf. 2 Thessaloniciens 2,13-14 ; 1 Jean 4,11 ; Ephésiens 5,2 ; 1 Thessaloniciens 1,3 et 4,9-10 ; Jean 13,35

Sortie de Hokhma N° 111 : les Pères apostoliques

Couv_111_Hokhma

Sortie du N° 111, sur les Pères apostoliques (actes du colloque 2015 de l’AFETE, amplifiés d’un article de Michaël de Luca).

Consultez au complet l’article de Samuel Bénétrau : Connaissance et utilisation du Nouveau Testament chez les Pères de l’Église

Ou encore commandez-le, en format papier ou électronique (disponible à l’article)!

Connaissance et utilisation des écrits du Nouveau Testament chez les Pères apostoliques.

Proximité et dépendance.

Au cours des siècles, les chrétiens ont été heureux de relever chez les Pères apostoliques, à côté de quelques textes surprenants et dérangeants, de nombreux passages où ils étaient convaincus de percevoir des échos des écrits du Nouveau Testament (encore plus des échos de l’Ancien Testament !). L’idée d’une dépendance venait naturellement à l’esprit. L’impression dominante était que les hommes d’Eglise de la première moitié du 2 e siècle savaient puiser dans les richesses de ces écrits. Aujourd’hui encore, le lecteur non prévenu est sensible à cette proximité, du moins pour la plupart des oeuvres.

La situation a changé au début du siècle dernier lorsque la recherche s’est intéressée aux œuvres des Pères apostoliques dans l’esprit d’une modernité « soupçonneuse ». En 1905 paraissait un volume exposant les conclusions des travaux d’un comité d’Oxford s’intéressant à la théologie historique, The New Testament in the Apostolic Fathers 1 . L’avis du comité était radical : aucun passage ne pouvait être considéré avec une absolue certitude comme emprunté aux évangiles canoniques, et peu d’épîtres étaient prises en compte.

Les travaux récents sont marqués par une réflexion soutenue sur les problèmes de méthode et de critères permettant de se prononcer sur l’éventualité de dettes caractérisées. On établit un tableau des degrés de probabilité : ABCD, A, un haut degré de probabilité, à l’opposé D, un très faible degré ; B, un assez fort degré, C, un assez faible. On reconnaît, toutefois, que les distinctions, particulièrement entre B et C, sont délicates. Un vif intérêt se développe également au 20 e siècle pour les sources des évangiles, puis pour les écrits découverts depuis 1905, et enfin pour les traditions orales. Les études ont porté principalement sur les rapports avec les évangiles, surtout les synoptiques. Deux positions se sont dégagées : les maximalistes et les minimalistes. On range du côté des maximalistes l’étude d’Edouard Massaux qui, en 1950, concluait à une large utilisation de l’évangile de Matthieu : là où l’on détectait une nette ressemblance avec Matthieu on pouvait déduire une dépendance 2 .La critique de cette position n’a pas tardé puisqu’en 1957 Helmut Köster reprenait les conclusions du Comité de 1905, représentant la ligne minimaliste 3 . Il privilégiait les rapports avec des sources autres que les évangiles canoniques, sources écrites ou orales. Il mettait en œuvre un critère très strict : on ne peut parler de dépendance par rapport aux évangiles écrits que là où des paroles ou des idées de Jésus viennent manifestement de la contribution personnelle du rédacteur de l’évangile, et non de ce qui pourrait représenter ses sources.

Aujourd’hui, la ligne minimaliste est dominante. Il faut aussi noter la place faite à l’oralité. L’idée d’un recours à la tradition orale se situant avant ou à côté des évangiles est ancienne, mais elle a été travaillée et valorisée à l’époque moderne. On peut mentionner l’étude de Donald A. Hagner « The Sayings of Jesus in the Apostolic Fathers and Justin Martyr » : la tradition orale aurait été la source principale des références à Jésus 4 .Plus massive est l’intervention de Stephen Young, Jesus Tradition in the Apostolic Fathers 5 . Plutôt que rechercher des liens avec des sources écrites, il faut, estime-t-il, résolument prendre en compte la tradition orale. Mais, notons-le, cette tradition orale peut être vue de différentes façons ; alors que pour Koester sa source se situe dans la vie des communautés (critique formiste), chez Hagner, elle remonte à Jésus lui-même, pour l’essentiel. Young s’intéresse aux caractéristiques de la tradition orale très populaire dans l’antiquité, domaine qui a fait l’objet de travaux récents. Il voit là un éclairage précieux sur la situation présentée par les écrits des Pères apostoliques.

Différentes situations

Les évangiles, surtout les synoptiques, ont été au cœur du débat. Le problème est d’autant plus aigu qu’il y en a quatre, dont trois avec des textes à la fois proches et différents, et nous savons par l’évangéliste Luc que diverses sources ont pu être utilisées (Lc 1,1-4). Les Pères pouvaient avoir puisé directement à ces sources et non aux œuvres canoniques. Des questions comparables se posent à propos de Jean et du livre des Actes : éventualité d’utilisation de sources écrites ou orales, mais il y a peu de renvois à ces ouvrages chez les Pères apostoliques. Pour les épîtres et l’Apocalypse, il y a beaucoup moins de problèmes : pas de longue période de tradition préalable à envisager. Les auteurs s’y expriment à titre personnel et laissent leur marque sur l’écrit. On peut y détecter quelques éléments antérieurs, tels que credo ou hymne, mais leur style les fait assez facilement repérer.

Les données et les avis

Quels sont les faits ? Les parallèles ne manquent pas, dans tous les écrits. Mais, quand peut-on parler d’utilisation ? On constate à ce propos l’absence presque totale de citations introduites dans les formes traditionnelles : « comme il est écrit », « selon l’Écriture » (on les retrouve encore assez fréquemment pour l’Ancien Testament). C’est seulement la similitude qui alerte à la possibilité d’une dépendance. Exceptionnellement, on a un renvoi à « l’Évangile » ou à des personnes, « Jésus », « Paul », mais sans précision. Donald Hagner veut être réaliste : « En vérité, toute la question de la dépendance littéraire […] est si difficile que personne ne peut s’attendre à ce que les spécialistes soient d’accord dans une large mesure. » 6 .

Voici un échantillon des conclusions auxquelles parviennent des spécialistes récents et connus. La liste des renvois « assurés » à des écrits du Nouveau Testament est fort brève, on le constate. J’emprunte ces données à des ouvrages collectifs : The Reception of the NewTestament in the Apostolic Fathers , édité par A. Gregory et Christophe. M. Tuckett (Oxford University Press, 2005) ; l’ouvrage en l’honneur de Christophe M. Tuckett, New Studies in the Synoptic Problem , édité par P. Foster, A. Gregory, J.S. Kloppenborg, J. Verheyden (Leuven-Paris-Walpol :, Peters, 2011). Un ouvrage plus ancien rassemble les interventions aux journées bibliques de Louvain du 26-28 août 1986 : The New Testament in Early Christianity : la réception des écrits néotestamentaires dans le christianisme primitif, édité par J.-M. Sevrin (Leuven : University Press, 1989).

La Didachè

On relève de nombreux parallèles – seulement avec les synoptiques – sous forme d’allusions, pas de citations. Quelques appels à « l’Evangile » peuvent indiquer que l’auteur connaissait un ou plusieurs évangiles écrits. Presque tous les échos correspondent au texte de l’évangile de Matthieu, qu’il s’agisse de matériaux relevant de la tradition unique (rédaction par l’évangéliste), de la double tradition ou de la triple. La meilleure explication, selon Christopher Tuckett, réside dans l’utilisation de l’évangile de Mathieu, et même de Luc, tels que nous les avons. Mais il reconnaît que d’autres auteurs optent plutôt pour le recours à une tradition liturgique 7 . Stephen Young, écarte toute dépendance littéraire, et privilégie le recours à la tradition orale 8 .

Clément

Clément utilise à plusieurs reprises la Première aux Corinthiens (ce qui ne surprend pas puisqu’il s’adresse à l’Eglise de Corinthe) ainsi que, vraisemblablement, les épîtres aux Romains et aux Hébreux. On relève quelques éléments proches des synoptiques, mais Gregory a cette formule plus que prudente : « Il n’est donc pas possible de démontrer que Clément ne connaissait pas ou n’utilisait pas un quelconque des synoptiques, mais les données ne permettent pas de démontrer qu’il les connaissait ou les utilisait » 9 . Pour Andreas Lindemann, Clément reprendrait plutôt des éléments antérieurs à nos évangiles, s’inspirant probablement de la source Q 10 .

Ignace

Ignace fait appel aux lettres de Paul et à des éléments de la tradition synoptique. Selon P. Foster, « on peut plaider avec conviction en faveur de la connaissance, par Ignace, de quatre épîtres de Paul et de l’évangile de Matthieu » 11 . Andreas Lindemann est plus hésitant sur ce dernier point : il estime possible qu’Ignace ait eu accès à une tradition présynoptique, peut-être la tradition de Q (probablement pas comme texte écrit). Il note que, selon Donald Hagner, Ignace dépendrait de sa mémoire pour les synoptiques 12 .

L’épître de Barnabas

Andreas Lindemann juge que Barnabas connaissait l’évangile de Matthieu et, pour le moins, un récit propre à Marc, mais pas nécessairement cet évangile 13 Pour J. Caleton Paget, pas de connaissance certaine d’aucun livre du Nouveau Testament, mais l’épître est proche de Matthieu et des traditions synoptiques sur la Passion. Des convergences avec l’épître aux Hébreux sont repérables, mais pas d’allusions certaines au livre 14 .

Polycarpe

On admet généralement que Polycarpe utilise au moins quatre lettres de Paul (1 Co, Ep, 1 et 2 Tm) et probablement trois autres (Rm, Ga, Ph). Peut-on parler d’accès à une collection, à un corpus 15 ? Il connaissait la tradition sur Jésus, probablement sous forme orale, proche de la source Q (A. Lindemann) 16 .

L’homélie dite 2 Clément

Cette homélie offre de nombreux parallèles avec les écrits qui formeront le Nouveau Testament. Elle est, en particulier, proche de Matthieu et de Luc, pas nécessairement de façon directe. Une forte probabilité de dépendance concerne Ephésiens et Hébreux 17 . Selon Lindemann, un évangile apocryphe a également été utilisé. Quelques citations sont proches de la tradition synoptique (accès peu probable à Q comme texte écrit).

Le Pasteur d’Hermas

On relève des réminiscences, quelques expressions présentes dans le Nouveau Testament ; on les remarque surtout quand elles ne rappellent pas en même temps un texte de l’Ancien Testament. Hermas semble avoir connu Matthieu, Marc et Jean, des épîtres de Paul. C’est avec l’épître de Jacques que le Pasteur présente le plus d’affinités 18 .Joseph Verheyden offre une conclusion modeste, plausible sans être indiscutée : Hermas a utilisé Matthieu et 1 Corinthiens 19 .

Conclusion

Les exégètes modernes, auxquels on demande de citer toujours avec une extrême rigueur, peuvent ressentir une déception devant l’apparente liberté avec laquelle les Pères apostoliques empruntaient. On ne peut oublier l’éloignement des époques. On reprenait jadis des écrits ou des traditions assez librement. Non seulement les ouvrages n’étaient pas aisément accessibles mais le recours à la transmission orale était pratique courante.

Ceci dit, il faut distinguer connaissance et utilisation. On ne peut conclure du petit nombre de renvois plausibles à des textes présents dans les écrits qui constitueront notre Nouveau Testament que les Pères connaissaient seulement un nombre très restreint de ces écrits. Ils ne faisaient allusion à ces derniers que dans la mesure où ils le jugeaient utile dans les brefs textes adressés à des individus ou à des communautés. Clément était bien placé à Rome pour jouir d’une connaissance étendue de documents « apostoliques », même s’il ne les mentionne pas. Avantage également pour Ignace résidant à Antioche, un centre majeur du christianisme ancien.

Nous sommes à l’époque de la formation du canon du Nouveau Testament, de la constitution de collections. La situation offerte par les Pères apostoliques est fluide et ne peut être mise à profit qu’avec une grande prudence pour l’histoire de la formation du canon.

On peut s’interroger sur la qualité de l’utilisation des sources, qu’elles soient écrites ou orales. On relève quelques applications surprenantes, voire erronées 20 , des passages étranges pour nous (la légende du Phénix) 21 , des commentaires discutables 22 , l’amorce de développements vers ce qu’on appellera la haute Eglise, en particulier chez Ignace 23 . Cependant, on est heureux de constater la présence des thèmes majeurs du Nouveau Testament, tels que la Personne et l’oeuvre du Christ, le salut lié à la foi, l’Eglise corps du Christ, l’espérance chrétienne, et, en outre, de nombreuses exhortations pratiques pertinentes. On reste donc, dans l’ensemble, proche du Nouveau Testament, qui demeure néanmoins le plus sûr témoin des origines chrétiennes. StephenYoung le remarque, souvent la signification demeure même quand la forme varie 24 . On doit ajouter que les textes complexes, difficiles, qui font beaucoup travailler les commentateurs modernes, ne sont guère utilisés.

Il reste qu’on rencontre dans ces textes anciens des exemples saisissants de foi et de consécration, même si les limites et les faiblesses humaines laissent aussi des traces.

Samuel Bénétrau

  1. The New Testament in the Apostolic Fathers, Oxford, Clarendon, 1905.
  2. Edouard Massaux, Influence de l’évangile de Saint Matthieu sur la littérature chrétienne avant saint Irénée , UCL (Université Catholique de Louvain) 2.42, Louvain, 1950.
  3. Helmut Koester (ou Köster), Synoptische Überlieferung bei den Apostolischen Vätern, TU (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur) 65, Berlin, Akademie Verlag, 1957.
  4. Donald Hagner, « The Sayings of Jesus in the Apostolic Fathers and Justin Martyr », in Jesus Tradition, Gospel Perspectives 5, éd. D. Wenham, Sheffield, JSOT Press, 1985.
  5. Stephen Young, Jesus Tradition in the Apostolic Fathers, WUNT (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament). 2.311, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011.
  6. Donald. Hagner, The Use of the Old and New Testament in Clement of Rome, Leiden, Brill, 1973, p. 15.
  7. Christopher M. Tuckett, « The Didache and the Synoptic Tradition », in Reception of the New Testament in the Apostolic Fathers, op. cit., p. 126-127.
  8. Stephen Young , Jesus Tradition in the Apostolic Fathers, op. cit. , p. 209-210.
  9. Andrew .F. Gregory, « 1 Clement and the Writings that Later Formed the New Testament », in Reception of the New Testament in the Apostolic Fathers, op.cit., p. 139.
  10. Andreas Lindemann, « The Apostolic Fathers and the Synoptic Problem », in The New Studies in the Synoptic Problem, éd. P. Foster, A. Gregory, J.S. Kloppenborg, J. Verheyden, Leuven-Paris-Walpole, Peters, 2011, p. 694.
  11. P. Foster « The Epistles of Ignatius of Antioch and the Writings that Later Formed the New Testament », in The Reception of the New Testament, op. cit., p. 186.
  12. A. Lindemann, « The Apostolic Fathers and the Synoptic Problem », op. cit., p. 708.
  13. A. Lindemann, Ibid., p. 699 et 703.
  14. James Carleton Paget, « The Epistle of Barnabas and the Writings that Later Formed the New Testament », in The Reception of the New Testament, op. cit., p. 249.
  15. Michael W. Holmes, « Polycarp, Letter to the Philippians and the Writings that Later Formed the New Testament », in The Reception of the New Testament, op. cit., p. 226-227. Dans Le martyre de Polycarpe, on note une mention de « l’évangile », mais qui ne peut être une référence à un évangile connu.
  16. A. Lindemann, « The Apostolic Fathers and the Synoptic Problem » , op. cit., p. 710.
  17. Andrew Gregory and Christopher Tuckett, « 2 Clement and the Writings that Later Formed the New Testament », in The Reception of the New Testament, op. cit. p. 292. A. Lindemann, « The Apostolic Fatherrs and the Synoptic Problem », op. cit., p. 718.
  18. Robert Joly, Le Pasteur, Sources Chrétiennes 53, Paris, Cerf, 1958, p. 46-47.
  19. Joseph Verheyden, « The Sheperd of Hermas and the Writings that Later Formed the New Testament », in The Reception of the New Testament, op. cit., p. 328-329.
  20. Les paroles de Jésus présentes en Mt 5,44-47 = Lc 6,27 deviennent « mais vous, aimez ceux qui vous haïssent, et vous n’aurez pas d’ennemi », Didachè I,3. Mt 5,42 = Lc 6,30 est compris : « si quelqu’un a pris ton bien, ne le réclame pas, car tu ne le peux pas », Didachè I,4.
  21. Cf. Clément de Rome, Épître aux Corinthiens , XXV,1.
  22. Une curieuse façon de se distinguer du judaïsme : « que vos jeûnes n’aient pas lieu en même temps que ceux des hypocrites », Didachè VIII,1. Interprétation radicale de textes tels que Mt 10,40 : « donc, il est clair que nous devons regarder l’évêque comme le Seigneur lui-même », Ignace, Aux Ephésiens, VI,1. Clément ne maîtrise pas vraiment la portée de la prêtrise du Christ développée par l’épître aux Hébreux, Aux Corinthiens, XXXVI,1.
  23. .Dans une étude déjà ancienne « La mystique de l’imitation et de l’unité chez Ignace d’Antioche » in Revue d’histoire et de philosophie Religieuses 18, 1938, p. 97-241, Théo Preiss repérait chez Ignace, avec perspicacité mais aussi en négligeant aussi quelques données, des orientations nouvelles annonçant les développements futurs de l’Eglise établie. Cf. la réaction vigoureuse de Louis Bouyer, Les écrits des Pères apostoliques, Préface, Paris, Editions du Cerf, 1963, p. 5-6, qui maintient une heureuse continuité entre les écrits du premier siècle, Ignace et l’Eglise postérieure.
  24. Stephen Young, Gospel Tradition, op. cit., p. 281.

Sortie du N° 110

Couverture_web_110

Sortie du N° 110, en hommage à Gérard Pella.

Lisez l’éditorial de Christophe Desplanque.

Consultez au complet l’article de Natalie et Anthony Perrot.

Ou encore commandez-le, en format papier ou électronique (aussi disponible à l’article)!

Edito : À l’un de nos fondateurs

À l’un des fondateurs et aux lecteurs de notre revue.

Si vous avez la possibilité d’accéder à une collection complète Hokhma, examinez, en pages intérieures de couverture, la composition du comité de rédaction de la revue. Vous constaterez qu’un seul nom s’y retrouve systématiquement, et ce depuis le premier numéro. Celui de Gérard Pella.

Premier rédacteur, mais aussi seul co-fondateur de la revue à contribuer jusqu’à ce jour à sa publication, il a également écrit pour Hokhma de nombreux articles, méditations ou éditoriaux, inspirés des travaux de l’étudiant qu’il était, passionné des questions relatives à la critique biblique, et des recherches du pasteur qu’il est devenu, attentif à la vie spirituelle personnelle du croyant comme aux débats ecclésiaux et aux enjeux éthiques.

Hokhma est née voici 40 ans de la volonté d’une poignée d’étudiants d’unir leur passion pour une réflexion théologique respectueuse de l’autorité de l’Écriture, consciente de n’avoir de sens et de légitimité que si elle est au service du Seigneur, de son peuple et de la mission qu’il lui confie. Gérard a pleinement participé à cette vision, qui a poussé les créateurs de la revue à oser la parer du nom de la « Sagesse ».

En bon bibliste, et voyant le comité s’étoffer d’une relève dynamique, Gérard a choisi astucieusement la force symbolique de ce nombre d’années au service de HOKHMA : quarante, et le tournant de sa retraite pastorale, ainsi que de nouveaux engagements au service de l’Église, pour nous annoncer qu’il souhaitait se retirer du comité. Son esprit d’analyse, sa capacité de synthèse auront sorti de l’enlisement beaucoup de nos débats. Qu’il s’agisse de conclure la discussion d’un article, ou de prendre une décision importante, Gérard va bien nous manquer.

C’est dans un esprit de reconnaissance que nous avons choisi de lui offrir en hommage ce présent numéro. Il a la particularité d’être majoritairement constitué d’articles rédigés par d’anciens membres de la revue. Ils ont quitté le comité Hokhma, en fonction de l’évolution de leurs charges et des priorités de leurs ministères, voire de leur sensibilité théologique, mais ont gardé une profonde amitié et estime pour celui que nous voulons honorer, et remercier. À ces textes s’ajoutent ceux de M. Henri Blocher, qui a très aimablement accepté, comme contributeur le plus prolifique de HOKHMA depuis ses débuts, de participer à cet hommage à G. Pella, et d’Antony Perrot, qui représente la jeune et dynamique relève au sein du comité de rédaction !

Merci à tous pour le chemin parcouru et à parcourir encore au long de cette aventure éditoriale de Hokhma, merci de l’avoir repris le temps de ce numéro d’hommage, et d’en avoir ménagé la surprise au récipiendaire.

Bonne « retraite » Gérard… n’oublie pas de nous écrire un article de temps en temps !

Pour le comité, Christophe Desplanque.

La femme selon Genèse 2,18.20 : assistante ou secours pour l’homme ?

Dieu amenant la femme vers l'homme

par Antony et Nathalie Perrot1, 2

À notre ami Gérard et son épouse Damaris

 

Dieu amenant la femme vers l'hommeDans les premières pages de la Genèse, Ève est décrite comme une « aide semblable à » Adam. Pour l’Encyclopædia Judaica, cela signifie qu’elle a été « créée pour servir l’homme en tant qu’aide convenable »3 . Présentée ainsi, la description de la femme semble maladroite. N’est-elle pas un être avec des spécificités propres avant d’être assistante de l’homme ? Les différentes interprétations de cette formule, alors, sont-elles dues aux choix des traducteurs ou à une ambiguïté dans le texte de la Genèse ?

En fonction des milieux socioculturels et ecclésiastiques, on constate que cette formule est reçue de manière très différente, pour ne pas dire opposée : ce verset est qualifié de sexiste et expliqué par la culture misogyne du Proche-Orient ancien chez les uns, alors qu’il sert de fondement pour justifier la soumission de la femme chez les autres. Quoi qu’il en soit, ce verset met mal à l’aise et demande bien des efforts aux traducteurs des bibles francophones pour tenter de le rendre de la manière la plus adéquate qui soit.

Mais, au fond, quel est le sens de cette « aide » dans le contexte de la Genèse ? La notion d’aide inclut-elle un rapport de soumission de la femme à l’homme ? De plus, comment rendre au mieux l’expression qui qualifie le rapport de cette aide avec Adam ? Est-ce une aide « qui lui soit semblable » (Pléiade), « qui lui soit assortie » (Bible de Jérusalem), « qui sera son vis-à-vis » (Nouvelle Bible Second) ou « qui lui soit accordée » (TOB) ?

C’est ce que l’on découvrira par le biais de l’exégèse de Gn 2,18.20 et d’une étude sémantique détaillée de ces deux mots en hébreu (texte massorétique) et en grec (Septante). Conscients du décalage spatiotemporel qui nous sépare de ce récit du Proche-Orient ancien, la réception de cette expression dans les premiers écrits juifs et chrétiens sera exposée et commentée. Finalement, on tentera d’esquisser quelques conclusions théologiques sur la base de l’étude exégétique déployée précédemment.

ʿēzer kneg̱dô dans l’Ancien Testament

La signification d’ʿēzer

Le mot que les Bibles francophones traduisent par « aide » provient de la racine hébraïque ʿzr (עזר), qui a donné lieu à une forme verbale ʿāzar (עָזַר) et à une forme nominale masculine ʿēzer (עֵזֶר) ou féminine ʿezrāh (עֶזְרָה), signifiant « aider », « l’aide ». Ces formes sont toutes largement attestées dans l’Ancien Testament et c’est la forme nominale masculine qui apparaît en Gn 2,18.20. Dans la Bible hébraïque, il existe une racine homographe qui signifie, quant à elle, « être abondant » ou « rassembler », selon la fonction verbale. Celle-ci est beaucoup plus rare dans l’Ancien Testament et utilisée principalement sous deux formes ʿzārāh (עֲזָרָה), la « cour », et ḏērāh (גְדֵרָה), le « refuge » ou le « rempart ». Malgré leur similarité graphique, ces deux racines sont à distinguer et seule la première fera l’objet de cette étude.

La racine ʿzr apparaît 128 fois dans l’Ancien Testament4. La plupart du temps, c’est la forme verbale qui est attestée (81/128), mais on retrouve aussi la forme nominale féminine (26/128) et la forme nominale masculine (21/128)5. Si bien des individus peuvent être auteurs de l’aide, Dieu en est l’acteur principal, avec plus de la moitié des occurrences (66/128) qui lui sont attribuées. Le fait que Dieu lui-même puisse être auteur de l’aide, indique que le champ sémantique d’ʿēzer présente une dimension à la fois vaste (tout individu peut en être à l’origine) et puissante (l’aide peut être divine). Lorsque Dieu est auteur de l’aide, alors celle-ci est systématiquement accordée à son peuple ou plus particulièrement à des membres de celui-ci comme c’est le cas en És 50,7 : « C’est que le Seigneur Dieu me vient en aide : dès lors je ne cède pas aux outrages… »6. On constate par ailleurs que le Psautier fait un usage abondant de ce qualificatif divin (« notre aide et notre bouclier », 33,20 ; « mon aide et mon libérateur », 40,18 ; 70,6 ; « Dieu est mon aide », 54,6 ; etc.).

Les raisons de l’aide accordée par Dieu sont diverses et variées. Il s’agit très souvent d’aide face à des ennemis, comme en Ex 18,4 : « […] c’est le Dieu de mon père qui est venu à mon secours et m’a délivré de l’épée du Pharaon » ou en 2 Ch 18,31 : « […] ils firent cercle autour de lui pour l’attaquer. Mais Josaphat se mit à crier. Le Seigneur le secourut, et Dieu les détourna de lui ». Dieu vient également en aide à l’individu se trouvant dans une condition misérable, à l’image de « l’orphelin » (Ps 10,14) ou de « l’homme sans force » (Jb 26,2 ; 2 Ch 14,10) ou à celui qui a besoin d’être soutenu pour une tâche spécifique, tel David dans sa fonction royale (Ps 89,20) ou les porteurs de l’arche de l’alliance (1 Ch 15,26). L’aide de Dieu intervient donc dans la situation concrète dans laquelle se trouve l’aidé7. Ajoutons encore que pour un tiers de ces occurrences, la modalité de l’aide n’est pas définie, il s’agit d’une présence protectrice et bienveillante de Dieu qui accompagne l’individu quelle que soit sa situation de vie. Ainsi, par exemple, Jacob invoque-t-il l’aide de Dieu dans sa prière de bénédiction en faveur de son fils Joseph : « par Él, ton père, qu’Il te vienne en aide, par le Dieu Puissant, qu’Il te bénisse ! […] » (Gn 49,25)8.

L’aide peut également être apportée par un ou quelques homme(s), en faveur soit d’un autre individu, soit d’un peuple (29/128). Là encore, l’aide est souvent attendue face à des situations de menace ennemie : « Mais Avishaï, fils de Cerouya, lui vint en aide et frappa le Philistin à mort […] » (2 S 21,17), « En effet, chaque jour des gens venaient vers David pour l’aider, de telle sorte que le camp devint grand comme un camp de Dieu » (1 Ch 12,23). Tout comme l’aide de Dieu, celle de l’homme peut également être destinée à celui qui traverse une condition misérable tel Israël en « humiliation très amère » (2 R 14,26) ou « le pauvre » et « l’orphelin » (Jb 29,12), à celui qui a besoin de soutien pour une tâche tel Ozias alors qu’il assied sa puissance (2 Ch 26,15), ou encore à celui qui se trouve sous la menace du jugement divin (Ps 107,12). Bien souvent, et dans ce dernier cas en particulier, lorsque l’homme est auteur de l’aide, il n’est pas exclu qu’elle fasse défaut. Enfin, le mot ʿēzer évoque parfois un soutien davantage moral que physique, en désignant le rattachement à un parti ou à un avis (1 R 1,7 ; Jb 31,21 ; 2 Ch 32,39).

Parfois encore, c’est un peuple entier qui est auteur de l’aide, en faveur d’un autre peuple ou d’individus (21/128). Lorsque la cause de l’aide est définie, il s’agit systématiquement d’une situation de danger face aux ennemis10. Ainsi, les « Araméens de Damas vinrent au secours de Hadadèzèr, roi de Çova […] » contre les troupes de David (2 S 8,5) et les Israélites espéraient « […] la venue d’une nation qui ne peut pas [les] sauver » des Babyloniens (Lm 4,17).

À l’étude de l’ensemble de ces occurrences, il est possible de dégager quelques généralités sur l’usage du mot ʿēzer. Tout d’abord, notons que plus de la moitié des occurrences d’ʿēzer (71/128) est d’ordre militaire, à savoir dans le contexte d’une bataille ou face à la menace d’un ennemi. Or, on relève avec R. Kessler que l’aide militaire implique deux dimensions : l’égalité et la solidarité11. Égalité parce qu’un soutien militaire ne peut être moins puissant que celui à qui il vient en aide, sinon son intervention est inefficace. Solidarité, car c’est à l’aidant de prendre la décision de se mettre à disposition de l’aidé, faisant ainsi preuve de compassion, du désir personnel de soutenir. Tout ceci prouve, toujours selon R. Kessler, que le mot ʿēzer ne peut être simplement traduit par « assistant », « aide »12. Il relève aussi que même lorsque le mot « aide » est employé dans d’autres contextes que le contexte militaire, les deux aspects d’égalité et de solidarité sont toujours respectés. En conclusion, pour lui, la traduction la plus adéquate serait en réalité le mot « allié », qui reflète les deux aspects précédemment cités13. À notre sens, R. Kessler ne tient pas suffisamment compte de près de la moitié des occurrences bibliques (61/128) qui n’ont pas lieu dans un contexte militaire. Si l’observation dégagée des usages militaires du mot semble correcte, on ne peut que difficilement les plaquer sur un contexte différent et tout particulièrement sur celui de Gn 2, qui décrit un contexte de création et non de bataille. De plus, puisque Dieu est très souvent le sujet de ce qualificatif, faut-il alors le considérer comme un « égal » de l’individu auquel il vient en aide ? Cela semble inapproprié.

Cependant, on relève avec R. Kessler que ce sont toujours des êtres humains qui sont bénéficiaires de l’aide, et jamais Dieu. De même, c’est la plupart du temps Dieu qui est source de l’aide. Seule une référence, issue du célèbre cantique de Débora, en Jg 5,23, fait du mot ʿēzer l’aide que Dieu attendait exceptionnellement d’un peuple dans le cadre d’une bataille, mais qui n’a pas été accordée par celui-ci : « Maudissez Méroz, dit l’ange du Seigneur. Maudissez de malédiction ses habitants, car ils ne sont pas venus au secours du Seigneur, au secours du Seigneur avec les héros. » À travers cette tournure rhétorique, le lecteur comprend bien sûr ici l’exclamation du jugement de Dieu ne faisant pas forcément référence à une aide des hommes attendue, voire nécessaire, pour Dieu. Cette observation met donc en lumière le fait que l’aidant, s’il n’est pas toujours égal à l’aidé, n’est en tout cas jamais en position d’infériorité par rapport à celui-ci14. G.J. Wenham propose une conclusion similaire, avec une précision toutefois15 : pour lui, si l’aidant ne peut effectivement pas être inférieur, il ne doit pas systématiquement non plus être plus puissant, car il pallie seulement à une force inadéquate de l’aidé. Par conséquent, l’aidant se voit attribuer un statut au moins égal, voire supérieur selon les contextes.

On relèvera encore qu’aucune femme n’est jamais auteure de l’aide, si ce n’est en Gn 2,18.20. Dans la totalité des occurrences bibliques, la source de l’aide se trouve toujours auprès d’individus masculins. Le récit de la création fait donc du mot ʿēzer un usage tout à fait unique. C’est avec beaucoup de discernement et de prudence, donc, qu’il faut comprendre les observations tirées de l’analyse sémantique de ce terme.

Pour terminer, nous souscrivons aux mêmes conclusions générales que J.-L. Ska, concernant les caractéristiques du mot ʿēzer16. Premièrement, c’est un mot qui apparaît la plupart du temps dans des contextes poétiques, dans des cantiques, des Psaumes ou des prières. Deuxièmement, lorsque l’aide est accordée, il s’agit d’aide personnelle (soutien, délivrance) et rarement d’aide matérielle. Troisièmement, c’est lorsque l’aidé se trouve dans des situations menaçantes, très dangereuses, voire mortelles, qu’il cherche de l’aide. Quatrièmement et dernièrement, l’aide attendue n’est pas accessoire ou confortable, mais nécessaire et même indispensable. Sans elle, la vie de l’aidé est grandement menacée. Toute l’existence de l’individu dépend de la réponse positive ou négative de celui qui est appelé à l’aide. Dans bien des contextes, alors, l’aide devient même un synonyme de secours17 . « En résumé, le secours décrit dans ces textes suppose toujours une intervention qui se déroule non loin de la frontière qui sépare la vie de la mort. Elle est indispensable pour ramener le fidèle dans le monde de la vie. On comprend dès lors que ce soit à peu près toujours Dieu qui entre en scène »18.

La signification de kneg̱dô

L’étude sémantique d’ʿēzer permet de dégager quelques généralités sur son usage. Cependant, il faut souligner que ce mot, en Gn 2,18, 20, est complété par un qualificatif obscur. L’expression kneg̱dô (כְּנֶגְדּוֹ), en effet, est un hapax legomenon, c’est-à-dire une expression que l’on ne retrouve qu’à cette unique occasion dans l’Ancien Testament. Elle est composée de trois éléments : la préposition k (כְּ) « comme », le nom nēgēd (נֶגֶד) et le suffixe (וֹ) désignant la troisième personne au masculin singulier « à lui ». Le HALOT19 propose de nombreux sens pour le nom nēgēd tel que « en face de » ou « correspondant à », mais suggère que l’expression de Gn 2,18.20 devrait être traduite par : « qui en est l’opposé » ou « qui lui correspond ».

Selon G.J. Wenham20, cette expression refléterait plus la complémentarité que l’identité sans quoi ce serait la préposition kāmōhû (כָּמֹהוּ), « comme lui », qui aurait été employée. Pour M. de Merode, l’expression ne doit pas être entendue dans un sens hiérarchique, mais indique au contraire la similarité, l’égalité21. C’est d’ailleurs dans ce sens-là que l’aurait compris la Septante, en traduisant par homoios (ὅμοιος) « de même nature que ». Pour l’exégète, la traduction adéquate du mot serait : « en face de lui », « vis-à-vis de lui ». L’expression tout entière ʿēzer kneg̱dô pourrait dès lors être résumée par les termes : « son partenaire », « son correspondant ».

De toute évidence, traduire cette expression relève d’un véritable défi pour le traducteur contemporain tant celle-ci est ambivalente. S’agit-il d’une aide « en vis-à-vis de » ou bien « semblable à » ? Il faut se refuser de trancher, car l’hébreu comporte ces deux notions, et tenter de les préserver dans notre traduction française. À ce stade de notre enquête, c’est une expression latine qui semble le mieux s’approcher de l’ambivalence du terme hébraïque : celle de l’alter ego22 . C’est celui qui m’est opposé, différent, autre (alter) mais aussi le même que moi (ego). Ici, ce qui est partagé c’est l’espèce, l’humanité, tandis que ce qui sépare Ève d’Adam c’est le sexe, le féminin. Cette notion d’alter ego se retrouve d’ailleurs exprimée dans la morphologie des noms employés pour désigner l’homme et la femme en hébreu : ʾîš (אִישׁ) « l’homme » et ʾîššāh (אִישָּׁה) « la femme ». Bien que ces deux noms soient quasiment identiques (ego), ils proviennent en réalité de deux racines sémitiques différentes (alter). Contrairement aux idées reçues ʾîššāh n’est pas le féminin de ʾîš, mais d’une autre racine23.

Le regard des versions anciennes

La manière dont les versions anciennes de la Bible hébraïque ont traduit l’expression ʿēzer kneg̱dô offre une lumière supplémentaire. Du côté des versions en langues sémitiques, elles essaient de trouver un équivalent à l’expression hébraïque difficile. La traduction araméenne du Targum, par exemple, a un « soutien lui correspondant », tandis que la version syriaque de la Peshitta propose « une aide comme lui ». Le guèze24 signifie, quant à lui, « une compagne (ou amie) qui l’aiderait ». Cependant, on constate que ces traductions sont relativement tardives et le texte de certaines d’entre elles s’appuie sur l’Ancienne Septante ou s’en inspire dans leur exégèse. Ceci nous amène donc à consulter la première traduction du Pentateuque réalisée dans l’Antiquité, la Septante.

Dans la très grande majorité des cas (102/128), la Septante rend le mot ʿēzer ou ʿezrāh par les noms boêthos (βοηθός) ou boêtheia (βοήθεια), à savoir « l’aide »25, ou encore par le verbe boêtheô (βοηθέω), « venir en aide »26 – désormais boêth-. D’autres termes grecs sont également employés et revêtent des nuances légèrement différentes. Tout d’abord, on peut relever un ensemble de traductions portant la signification d’assistance. Cette assistance, selon les contextes, peut s’appliquer à différents domaines tel que le soutien accordé à quelqu’un de manière générale27, dans une situation militaire ou de danger28. D’autres termes grecs, quant à eux, ont trait à l’idée de gagner en puissance. Dans ces cas-là, le soutien se vit principalement dans le domaine de la force, pas seulement physique, mais aussi morale29. Une série d’autres traductions laisse apparaître une nuance différente, plus précise, celle d’un soutien militaire30, qui reflète bien l’usage principal du terme en hébreu. Dans un tout autre registre, il convient aussi de relever qu’à cinq reprises, la Septante choisit de traduire ʿēzer par le verbe sôzô (σῴζω), qui signifie « sauver », « secourir »31, souvent dans un sens sotériologique32.

Plus spécifiquement maintenant, dans les livres bibliques de la Septante du canon protestant, on trouve 161 occurrences du mot boêth-. 100 de ces occurrences traduisent les mots ʿēzer, ʿezrāh ou ʿazar. Le reste des occurrences traduisent d’autres mots hébreux. Une étude de ces mots révèle qu’ils sont principalement utilisés pour traduire un sens de soutien33, de protection34, ou encore de salut35. D’autres occurrences font l’objet d’une traduction non littérale du texte massorétique36, du moins en ce qui concerne les leçons en notre possession aujourd’hui.

Parmi toutes les occurrences recensées de boêth-, la répartition de la source de l’aide est relativement paritaire, avec une priorité cependant à la source divine. En effet, l’aide provient à 85 reprises de Dieu et à 55 reprises d’hommes ou de femmes37. Ainsi, tout comme dans le texte massorétique, E. Bons a raison de relever que « les humains βοηθοί [boêthoi] sont de loin en minorité par rapport à Dieu »38. Au fil du temps, le nom boêthos est même devenu un attribut divin, plaçant donc l’aidant à un statut de supériorité, voire de divinité39, bien que ce ne soit pas son usage exclusif.

Concernant keneg̱dô, la Septante présente un choix de traduction qu’il convient de relever. En Gn 2,18, elle traduit le terme kneg̱dô en qualifiant l’aide de l’homme de kat auton (κατ᾽ αὐτόν) « selon lui », « conformément à lui » ou encore « contre lui ». Ensuite, en Gn 2,20, cette aide devient omoios autô (ὅμοιος αὐτῷ) « de même nature que lui ». En fait, la Septante fait une distinction entre Gn 2,18, qui précède la recherche d’une aide parmi les animaux, et Gn 2,20 qui lui succède. Dans le premier verset, l’aide revêt un sens global et qui rend volontairement compte de l’ambiguïté de l’expression hébraïque. Dans le second, en revanche, le changement de formulation semble préciser la nature de l’aide attendue40. Pourquoi cette évolution ? Le passage de la rencontre d’Adam avec les animaux permet au lecteur de comprendre que, bien que les animaux aient pu être d’une certaine aide à l’homme (travail au champ, source de nourriture, monture, etc.), ils ne peuvent cependant pas devenir des vis-à-vis satisfaisants pour l’homme. S’ils sont alter et pourraient convenir comme aide « selon lui » (kat auton), ils ne sont pas ego et la recherche d’une aide « de même nature que lui » (omoios autô) se poursuit et se voit précisée au fil de ses expériences.

L’apport du Nouveau Testament

L’attitude de Jésus

Le passage de Gn 2,18-20 n’est pas repris tel quel dans le Nouveau Testament41. L’attitude de Jésus toutefois révèle une attention toute particulière accordée aux femmes et ce, de façon plutôt révolutionnaire pour l’époque. Elles prennent une place non négligeable dans son ministère42 et sont les premiers témoins de sa mort, de son ensevelissement et de sa résurrection43. Par ailleurs, « Jésus ne juge pas seulement les femmes d’après leur rôle d’épouse, de mère ou de maîtresse de maison comme la plupart des énoncés favorables ou dépréciatifs du judaïsme et même de l’Ancien Testament sur les femmes »44. Bien au contraire, c’est par leur foi et leurs actes que les femmes entrent en relation avec Jésus. La femme ʿēzer de l’homme, dans l’expérience de Jésus, n’est donc pas une assistante, mais prend un rôle tout aussi important que celui de l’homme. On pourrait penser en particulier à l’attitude respective de Marthe et Marie, lorsque Jésus demeure chez elles. Parmi ces deux femmes, l’une s’affairant aux tâches domestiques, l’autre prenant le temps d’écouter Jésus, c’est la seconde qui est décrite comme ayant choisi « la bonne part » (Lc 10,38-42). Le comportement et le discours de Jésus ne résument donc pas la femme à une aide domestique sous les ordres d’un mari dont elle est la subordonnée et qui entrerait dans la même catégorie que l’aide apportée par les animaux, mais donne à la femme un rang semblable, égal, à celui de l’homme, quelles que soient ses tâches (Lc 13,15s).

Les lettres de Paul

On trouve également dans les lettres de Paul des références à la création de l’homme et de la femme (1 Co 11,8-12 ; 1 Tm 2,11-15), ainsi qu’à leur rapport (Ép 5,23 ; Col 3,18). Dans ces textes, la relation de la femme vis-à-vis de l’homme est marquée par un rapport de domination et de soumission très fort. L’homme se trouve en position d’autorité par rapport à la femme, ce qui n’est pas sans rappeler les conséquences énoncées par Dieu après la chute d’Adam et Ève : « […] Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera » (Gn 3,16). Avant cet événement, en effet, le rapport entre l’homme et la femme ne présente aucun caractère de domination et de soumission. Dans les lettres pauliniennes, cependant, l’homme et la femme sont placés sous le signe de l’égalité, puisqu’il « […] n’y a plus l’homme et la femme […]  » (Ga 3,28). En Christ, les rapports originels sont donc restaurés.

Le mot boêthos dans le Nouveau Testament

La traduction grecque la plus commune du mot ʿēzer, comme vu précédemment, se fait par l’usage des mots boêth-. Il est donc intéressant de prolonger notre étude de ce vocable dans le Nouveau Testament, pour percevoir quel sens il revêt alors. Cette racine, notons-le, n’apparaît que peu fréquemment dans le Nouveau Testament (11 occurrences). Dans une majorité des cas (7/11), les auteurs de l’aide sont Jésus ou Dieu, qui interviennent en faveur d’hommes et de femmes dans des circonstances de possession démoniaque (Mt 15,25 ; Mc 9,22), d’incrédulité (Mc 9,24), de tentation (He 2,18 ; 4,16), de danger face aux ennemis (He 13,6) et même de besoin de salut (2 Co 6,2). Là encore, la dimension d’une aide qui délivre, voire qui sauve, se confirme.

ʿēzer kneg̱dô dans la littérature juive

Manuscrits de la mer Morte

En étudiant les textes des manuscrits de la mer Morte, on peut facilement arriver à la conclusion que l’ensemble des occurrences d’ʿēzer au sein des manuscrits bibliques est en adéquation avec le témoignage du texte massorétique. De plus, tout comme pour ce dernier, l’ensemble des données de Qumrân atteste un usage d’ʿēzer pour une action dont Dieu est la plupart du temps l’auteur.

Du côté des textes communautaires45, H.-J. Fabry signale une allusion à notre expression en 4QInstruction46. Dans ce texte, il est dit que lorsqu’un homme pauvre épouse une femme, il doit tenir compte de son origine car il la prend pour lui comme « aide de [sa] chair » (ʿzr bśrkh ; עזר בשרכה) et il se doit de faire sa vie avec elle en vivant avec sa progéniture47. Dans l’exégèse qumrânienne, on substitue bśrkh à kneg̱dô en harmonisation avec le verset 23 du même chapitre (« Voici cette fois […] la chair de ma chair »)48 . Ce faisant, le texte insiste volontairement sur le fait qu’Ève est avant tout issue d’Adam, elle est issue de sa chair, elle fait partie de la même humanité. En somme, on insiste davantage sur l’ego que sur l’alter. Pour autant, Ève ne demeure pas moins un « compagnon de marche » avec qui on doit faire sa vie dans les bons comme dans les mauvais jours.

Deutérocanoniques et pseudépigraphes

Dans le livre de Tobit 8,6-7, le personnage principal Tobit s’adresse à Dieu lors de son mariage avec sa proche parente Sara et cite explicitement le passage de Gn 2,18 :

C’est toi qui as fait Adam, c’est toi qui as fait pour lui une aide et un soutien, sa femme Ève, et de tous deux est née la race des hommes. C’est toi qui as dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul, faisons-lui une aide semblable à lui. À présent donc, ce n’est pas un désir illégitime qui me fait épouser ma sœur que voici, mais le souci de la vérité.

Pour Tobit, la femme n’est pas un être qui viendrait seulement assouvir ses besoins sexuels ou lui assurer une descendance. Si c’était le cas, alors le mariage d’un frère et d’une sœur serait immoral. Mais parce que la femme est un partenaire de vie qui le seconde dans de nombreux domaines, le mariage devient envisageable.

Dans la recension grecque du texte de Siracide 36,29s49, on peut lire un texte très positif concernant Ève, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette œuvre que certains taxent – certainement à tort – d’antiféministe :

Celui qui acquiert une femme a le commencement de la fortune, une aide semblable à lui et une colonne d’appui. Là où il n’y a pas de clôture, le domaine est au pillage, là où il n’y a pas de femme, l’homme erre en se lamentant.

Ce deutérocanonique présente la femme comme un « appui » sûr, solide comme une « colonne ». Ainsi, la femme est une aide indispensable à l’homme puisque sans elle l’homme « erre en se lamentant » comme si la vie n’avait pas de sens. De plus, comme un domaine qui n’aurait pas de clôture, l’homme aurait bien des difficultés à résister aux dangers de ce monde. Ève est bien plus qu’une aide ici, c’est une alliée, ce qui est exceptionnel en comparaison du reste de la littérature de cette époque.

Le livre des Jubilés 3,3-4 propose à son tour une citation puis une relecture de Gn 2,18.20. Bien que le début du texte soit très proche de celui de la Genèse, la citation du texte biblique sert par la suite de tremplin pour démontrer la supériorité d’Adam par rapport à Ève. Le v. 8 du même chapitre insiste sur le fait qu’Adam a été créé la première semaine, « ainsi que la côte, sa femme » mais « c’est la deuxième semaine qu’Il la lui montra »50. M. de Merode a raison de souligner que « c’est ici pour la première fois qu’on peut deviner l’impact de l’interprétation de Gn 3 sur celle de Gn 2 et la confusion des plans de la création et du péché qui s’instaure »51.

Dans le reste de la littérature pseudépigraphique, le principe herméneutique selon lequel Gn 2 est lu à la lumière de Gn 3 va prendre le pas sur toute autre interprétation « positive » de cette section. Par exemple, en 3 Enoch 30-31, on insiste sur le fait qu’Adam connaîtra la mort par sa femme car c’est par elle qu’est entré le démon52.

Littérature rabbinique

Dans le Talmud, commentaire de la Mishna53, on peut lire dans le traité Yebamoth 63a un commentaire de Gn 2.18.20 :

R. Éléazar dit : Pourquoi est-il écrit : ‘Je lui ferai un ʿēzer kneg̱dô (עזר כנגדו)’ ? S’il est méritant, elle sera son aide, s’il n’est pas méritant, elle sera son adversaire (kngdw ; כנגדו). D’autres disent : ‘R. Éléazar soulève une contradiction : il est écrit kenagdo (כנגדו) [dans le sens ‘d’opposé à lui’] mais on lit kenigdo (כניגדו) [dans le sens de ‘correspondant à lui’]. S’il est méritant, elle est son vis-à-vis (kngdw ; כנגדו), mais si il n’est pas méritant, elle le punit (mngdtw ; מנגדתו)54.

Sur la base d’un texte hébreu non vocalisé, l’auteur se plaît à jouer avec la polysémie des racines hébraïques. Comme souvent, deux lectures différentes du même passage sont proposées : la première fait de ʿēzer un terme positif et de kneg̱dô un terme négatif alors que la seconde ne s’attarde que sur le mot kneg̱dô pour lequel elle propose un sens positif et négatif. Comme L. Teugels le remarque à juste titre, ces deux interprétations sont au final sensiblement les mêmes sur leurs conclusions respectives55. Notons par ailleurs que l’on retrouve une exégèse identique dans le commentaire de Bereshit Rabba 17,356 et une interprétation similaire à ce midrash dans les Pirqé de Rabbi Éliézer 12 où Rabbi Juda suggère de ne pas lire « face à lui » (kngdw ; כנגדו) mais « contre lui » (lngdw ; לנגדו). Le texte se termine également par une maxime analogue au texte du Talmud : « Si l’homme est méritant, elle sera pour lui une aide, sinon elle sera contre lui (lngdw ; לנגדו) pour lui faire la guerre (lhlḥm ; להלחם) »57.

La suite du traité Yebamoth s’interroge sur le sens exact de l’aide en question et poursuit ainsi :

R. Yosé rencontre Élisée et lui demande : ‘Il est écrit : Je ferai pour lui une aide kneg̱dô (כנגדו). En quoi la femme est-elle une aide pour Adam ? Il lui répondit : ‘Un homme apporte du blé, mange-t-il le blé ? et du lin, se vêtit-il du lin ? [Ève] ne doit-elle pas amener de la lumière à ses yeux et la mettre à ses pieds ?’ R. Éléazar a en outre déclaré : ‘Quel est le sens de l’Écriture : ‘Cette fois, voici l’os de mes os et la chair de ma chair’? Cela enseigne qu’Adam s’approcha du gros bétail et des animaux mais qu’il ne trouva pas de satisfaction jusqu’à ce qu’il ait des rapports avec Ève58.

Dans la première partie de ce midrash, Ève est présentée comme une aide au sens domestique du terme puisqu’elle est censée épauler Adam dans tout ce qu’il entreprend. Mais R. Éléazar propose une autre interprétation de cette aide à la lumière de la suite du texte de la Genèse. Ève a été créée pour qu’elle puisse avoir des rapports sexuels avec Adam, chose impossible avec les animaux. Ce qui permet à Adam de s’exclamer : « cette fois, voici celle qui est os de mes os et chair de ma chair ».

ʿēzer kneg̱dô dans la littérature hellénistique ancienne

Philon d’Alexandrie, largement suivi par Origène, livre une interprétation particulière et pour le moins allégorique du mot ʿēzer et de la création de l’homme et de la femme en général. Pour lui, l’homme symbolise avant tout l’être « intérieur, invisible, incorporel, incorruptible et immortel »59. La femme, quant à elle, symbolise les plaisirs des cinq sens, qui sont également un danger puisqu’ils sont les premiers sujets à la tentation, jusqu’à faire également chuter l’homme60. La réflexion, donc, est première dans l’ordre de la création, suivie par les sensations et les passions. Ainsi, la femme, symbole de la perception sensitive, vient en aide à l’homme réflexif en permettant à son intelligence de voir et de définir les couleurs, les sons, les formes, les textures et en lui offrant des émotions comme défenses contre le monde extérieur61. Cette aide peut donc être qualifiée de « conforme », « semblable » (kneg̱dô) à l’homme, parce qu’elle est adaptée à ses besoins, elle vient compléter ses compétences et, ensemble, ils forment un être tant réflexif que sensitif, indissociable et source du désir de procréation62.

Clément d’Alexandrie offre quant à lui une lecture beaucoup plus littérale de l’aide fournie par la femme63. Pour lui, il faut principalement comprendre ce terme dans le cadre du mariage. La femme permet d’une part à l’homme d’envisager la procréation et donc la continuité de sa lignée. D’autre part, elle offre un soutien et un réconfort à l’homme, qu’il ne trouverait pas auprès de sa famille ou d’amis. Ainsi, la femme vient en aide à l’homme sur deux plans : la procréation et la tenue paisible de la maison64. Sa compréhension du texte de la création relègue donc la femme à une position inférieure, d’assistante dépendante de l’homme. Saint Augustin rejoindra également cette lecture, de manière plus radicale encore, puisque dans certains de ses textes il affirme ne voir dans l’aide apportée par la femme qu’une seule et unique dimension possible : la procréation65. La femme, en effet, fait son apparition au moment où Dieu mandate l’humanité pour qu’elle se reproduise et assujettisse la terre (Gn 1,27s), c’est donc dans le cadre de ce mandat qu’elle se doit d’être une aide. Pour saint Augustin, cependant, seule la première partie de ce mandat se partage avec la femme. Si l’homme avait eu besoin d’aide pour travailler la terre, alors un autre homme aurait été plus utile. De même, si l’homme avait eu besoin de compagnie, celle d’un ami eut été préférable à celle d’une femme66. Seule la gestation d’un enfant ne pouvait être accomplie par un homme. La femme, de fait, est une aide gestatrice, qui se doit d’obéir à son mari, tandis que celui-ci accomplit le reste de son mandat créationnel et dirige sa femme. À un second niveau de lecture, saint Augustin propose une interprétation plus allégorique, où la femme ici encore représenterait la partie charnelle de l’être que l’individu doit tenir assujettie par sa raison, symbolisée par l’homme67.

Pour Basile de Césarée, Grégoire de Nysse et Jean Chrysostome, par contre, l’homme et la femme sont égaux en dignité grâce à leur ressemblance à l’image de Dieu, qui les différencie tous deux des animaux68. Jean Chrysostome en tire la conclusion que dans un état primitif, la femme portait le rôle d’aide égale, une aide bien différente que celle que pourrait offrir le cheval qui combat aux côtés de l’homme, le bœuf qui participe aux tâches agricoles, ou encore l’âne qui contribue aux transports69. Les animaux, s’ils sont de toute évidence des « aides », n’ont cependant pas été reconnus comme « aide semblable à lui » par Adam. Ève, quant à elle, est capable de parler, d’apporter du réconfort et de la consolation70. Nul lien n’est fait à la procréation ici, l’aide d’Ève se situant bien plus sur une dimension relationnelle et de partage émotionnel.

De manière générale, on le comprend, certains Pères ont choisi en leur temps de limiter le sens du mot « aide » aux activités domestiques ou de procréation de la femme71. On peut y voir, comme M. de Merode, une influence du contexte de l’époque, où les femmes n’ont effectivement d’autres responsabilités que les deux précédemment mentionnées72. L’aide de la femme est-elle donc d’ordre reproductif comme ces derniers le suggèrent ?

Conclusion

Au terme de cette étude, deux options de lecture de notre passage de Gn 2,18.20 semblent se dessiner. D’une part celle qui, sans hésiter, relègue Ève (et donc toute femme) à une position d’aide domestique subordonnée. D’autre part celle qui, s’appuyant sur les mentions d’un Dieu-ʿēzer, place la femme sur un piédestal. Ni l’une ni l’autre de ces options ne sont convaincantes. En effet, bien que l’étude des champs sémantiques d’ʿēzer et de boêthos permette de tirer plusieurs conclusions pertinentes, il convient de souligner que le sens d’un mot dépend toujours de son contexte. Ainsi, le fait que le mot ʿēzer apparaisse en Gn 2,18.20 dans un contexte de création pourrait lui attribuer un tout autre sens que lorsqu’il apparaît dans un contexte militaire par exemple. De plus, nulle femme de l’Ancien ou du Nouveau Testaments n’est jamais qualifiée d’ʿēzer ou de boêthos. Il convient donc de rester prudent quant au sens qu’on lui attribue pour Ève. Une esquisse peut toutefois être tentée.

Comme cela a été démontré en première partie, la personne qui vient en aide à un individu n’est jamais inférieure (sauf à deux exceptions), sans pour autant être systématiquement supérieure. Finalement, le statut de l’aidé et de l’aidant est souvent proche, ou du moins le devient, affirme D.J.A. Clines, lorsque l’aidant choisit de se mettre à la hauteur de l’aidé pour lui apporter son soutien73. Le mot « aide » prend donc une coloration différente de celle dont on veut habituellement le revêtir : l’aide ne concerne pas les tâches domestiques, c’est-à-dire inférieures, voire ingrates, que l’homme ne veut pas faire. D.J.A. Clines a également raison de souligner que le texte de la Genèse ne laisse aucun indice décrivant l’aide d’Ève comme une assistance générale de l’homme pour toutes ses diverses tâches74. L’aide est une aide dont l’homme a nécessairement besoin, une aide sans laquelle il ne peut arriver à bout de ses responsabilités, une aide essentielle.

Dès lors, la question que nous empruntons aux propos de J.-L. Ska se pose : « Quel danger menace l’homme en Gn 2,18, s’il est vrai que ezer désigne toujours une aide qui permet d’échapper à de grands dangers menaçant l’existence au point que Dieu seul, en général, soit capable d’en délivrer ? »75 Dans le second récit de la création de Gn 2, Adam reçoit plusieurs tâches à accomplir, lui seul. Il est placé « dans le jardin d’Éden pour cultiver le sol et le garder » (2,15) et il doit « [désigner] par leur nom » tous les animaux (2,19s). Ces deux tâches sont les seules qui lui soient attribuées en l’absence d’Ève. Et il semble parfaitement s’en acquitter avant sa venue. Le premier récit de la création, quant à lui, nous révèle les tâches accordées au couple : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » (1.28). Ce double mandat, la reproduction de l’espèce humaine et la domination de la terre, est donné tant à l’homme qu’à la femme. Le premier, nous précise à juste titre D.J.A. Clines, ne peut évidemment pas être rempli par l’homme seul, car le concours d’Ève est nécessaire tant sexuellement que pour la gestation de l’enfant76. Cependant, pour une raison inconnue, l’exégète arrête son analyse ici, comme le faisaient les Pères de l’Église et en particulier saint Augustin en reléguant Ève au seul rôle de gestatrice, considérant implicitement que l’homme peut s’acquitter du second mandat de domination de la terre. Pour D.J.A. Clines, cela s’expliquerait par le fait que la femme reçoit une malédiction portant sur la procréation, tandis que l’homme reçoit une malédiction en lien avec le travail de la terre77. Chacun se verrait ainsi puni dans son rôle de prédilection. Cette conclusion se doit cependant d’être nuancée, car la malédiction de la femme touche également son rapport de domination des animaux, par les blessures du serpent, et même son rapport à l’homme, qui devient son dominateur. Ève semble donc aider Adam tant dans le mandat de procréation que dans celui de domination de la terre. De fait, puisque les deux mandats sont donnés conjointement au couple sans distinction de tâches, alors la domination de la terre doit être tout autant impossible pour l’homme en l’absence de la femme, que la procréation.

Dans le contexte de la Genèse, comme dans le reste de l’Ancien Testament, les conclusions précédemment citées de J.-L. Ska peuvent être appliquées : 1) l’aide apparaît dans un contexte poétique, 2) elle est personnelle et non matérielle, 3) elle intervient dans une situation menaçante, voire mortelle, 4) la vie de l’aidé est grandement menacée. En effet, en l’absence de la femme-aide, et de la contribution de sa personne, il s’avère impossible pour l’homme de remplir son mandat de perpétuité de la race humaine. En l’absence de la femme-aide, l’existence même de l’humanité se voit menacée, vouée à l’extermination.

L’aide d’Ève dépasse donc le simple souci d’avoir un vis-à-vis avec qui tenir une conversation et échanger des notes d’humour. La différenciation d’Ève par rapport aux animaux ne dépend pas seulement de sa capacité à combler « l’aspiration humaine à la relation »78 d’Adam, comme le suppose M. de Merode. Bien sûr, la création d’Ève permet naturellement à l’homme de satisfaire son besoin de combattre la solitude qui, selon H. Blocher, va à l’encontre de la vocation de la « vie humaine [qui] n’atteint sa plénitude que communautaire »79. Mais l’aide d’Ève va bien au-delà de cette dimension et représente un secours pour le bon accomplissement du mandat créationnel tout entier.

Les plus féministes d’entre nous crieront peut-être au scandale, lisant à travers ces lignes un retour à la pensée des Pères de l’Église, et en particulier de saint Augustin, où le seul rôle de la femme est limité à ses tâches maternelles. Cependant, faire de l’aide de la femme une aide de reproduction et de domination de la terre lui donne un statut bien préférable à celui d’une assistance générale de l’homme. Si tel avait été le cas, alors oui, la femme aurait eu un rang inférieur, accomplissant toutes les tâches que les diverses responsabilités de l’homme ne lui laisseraient pas le temps de finir. Mais l’aide de la femme en Gn 2 est une aide-secours, vitale pour l’homme. Et ainsi, la femme trouve un statut à pied d’égalité avec l’homme. Il ne peut rien faire d’important sans elle, tout comme elle ne le peut pas non plus.

Last but not least, on se doit de rappeler que le contexte littéraire de Gn 1–2 entre en ligne de compte pour l’interprétation de Gn 2,18.20. Si cette péricope revêt de toute évidence des aspects poétiques, elle n’en demeure pas moins un récit de création à portée universelle. Ainsi, présenter Ève comme la mère et la maîtresse du monde dans ce poème sur la création du monde et de l’humanité place celle-ci à un rang de choix. La création d’Ève intervient comme accomplissant la volonté de Dieu pour le monde et l’humanité. Celui qui espérerait lire derrière ce récit un guide de la réussite du couple verrait vite ses espoirs déçus, car là n’est pas son rôle. Le récit de la création en Gn 1–2 n’est pas comparable à la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » et encore moins à un cahier des charges sur la répartition des tâches domestiques entre l’homme et la femme.

Ainsi la description de la femme comme ʿēzer kneg̱dô, une aide semblable à lui, ne vient pas limiter l’être de la femme dans ses spécificités propres, comme nous le proposions en introduction. L’expression décrit le rôle indispensable de toute femme, sans qui le plan de Dieu pour l’humanité se verrait voué à l’échec. Au même titre que l’homme, la femme est nécessaire pour permettre la reproduction de l’espèce humaine et la domination de la terre. Elle est cet ʿēzer-secours, une aide indispensable à l’homme, qui trouve en elle une alter ego : différente de lui pour permettre la complémentarité notamment sexuelle, mais semblable à lui contrairement aux animaux.

n


1  Nous aimerions exprimer toute notre gratitude à nos collègues et amis qui ont contribué à l’écriture de cet article. Nous remercions H.-J. Fabry de nous avoir envoyé sa notice sur ʿēzer (עזר) à paraître dans le Theologisches Wörterbuch zu den Qumrantexten. Band iii (ThWQ), D. Labadie pour son regard d’expert sur les textes syriaque et guèze, M. Richelle et C. Rico pour leur relecture attentive, U. Schattner-Rieser pour ses remarques sur la phonologie et enfin D. Stökl Ben Ezra pour son avis sur notre traduction française des textes rabbiniques. Les idées exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement partagées par tous et toute erreur n’est imputable qu’à nous-mêmes. Par ailleurs, cet article a volontairement été écrit par un homme et une femme pour éviter tant bien que mal les écueils sexistes et/ou féministes.

2  Antony est doctorant à l’EPHE-Sorbonne. Nathalie est titulaire d’un master de la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine, pasteure jeunesse à l’Eglise « La Fraternelle » à Nyon et animatrice jeunesse à la Ligue pour la lecture de la Bible.

3  Encyclopædia Judaica, vol. XVI, Jérusalem, New York, Encyclopædia Judaica, Macmillan, 1971, p. 623.

4  La racine ʿzr a également permis la formation de noms propres, tels que le prénom Ezer lui-même (par ex. 1 Ch 25,4), Abiezer « mon père est une aide » (par ex. Jos 17,2) ou Achiezer « mon frère est une aide » (par ex. Nb 1,12), ainsi qu’un certain nombre de noms théophores comme Eliezer « mon Dieu est une aide » (par ex. Gn 15,2) ou Yoezer « Yhwh est une aide » (par ex. 1 Ch 12,7).

5  L’usage de ces deux formes nominales est indifférencié, puisqu’il ne tient pas compte, par exemple, du genre ou du rang de l’auteur de l’aide. Les formes masculine et féminine qualifient donc à la fois Dieu, des peuples, des hommes et des femmes.

6  Sauf indication contraire, les références et les citations bibliques proviennent de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB).

7  On ne recense en effet qu’une seule occurrence pour laquelle l’aide de Dieu porte explicitement une dimension future, car sotériologique. Celle-ci apparaît dans le chapitre très eschatologique d’És 49, au verset 8 : « Ainsi parle le Seigneur : Au temps de la faveur, je t’ai répondu, au jour du salut, je te suis venu en aide ; je t’ai mis en réserve et destiné à être l’alliance du peuple, en relevant le pays, en redonnant en partage les patrimoines désolés… ».

8  Notons que trois autres occurrences indiquent également une source divine de l’aide, mais provenant de dieux étrangers cette fois. Il s’agit de Dt 32,38 où le mot apparaît deux fois et 2 Ch 28,23. Le premier verset met ironiquement en scène les Israélites recherchant auprès d’idoles un secours contre le jugement de Dieu, en vain bien sûr. Le second évoque l’idolâtrie du roi de Syrie, sans pour autant préciser la raison de l’aide désirée.

9 En Esd 10,15, le mot ʿzer revêt un sens unique, puisqu’il désigne alors le fait de s’opposer à un avis.

10  Seule une occurrence joue le rôle d’exception qui confirme la règle : il s’agit d’És 41,6, où la menace provient du jugement divin et non d’un peuple ennemi. Plus rarement, dans sept occurrences, la source de l’aide se comprend d’une manière indéfinie sans faire référence à un individu ou un peuple particulier (par ex. : És 31,2 ; 2 Ch 19,2).

11  R. Kessler, « Die Frau als Gehilfin des Mannes? Genesis 2,18.20 und das biblische Verständnis von ‘Hilfe’ », Gotteserdung, Beiträge zur Hermeneutik und Exegese der Hebräischen Bibel, Beiträge zur Wissenschaft vom Alten und Neuen Testament (BWANT 170), Stuttgart, Verlag W. Kohlhammer, 2006, p. 37.

12  R. Kessler, ibid., p. 38, comme choisit par exemple de le faire Martin Luther en proposant la traduction Gehilfe (aide-assistance) plutôt que Hilfe (l’aide-secours).

13  R. Kessler ibid., p. 37.

14  En dehors de Jg 5,23, on trouve une autre exception dans laquelle les aidants sont sans aucun doute de rang inférieur à l’aidé, en 2 Ch 32,3. M. de Merode propose également une autre occurrence, bien qu’énigmatique, en Jb 9,13. M. de Merode, « Une aide qui lui corresponde ». L’exégèse de Gen. 2, 18-24 dans les écrits de l’Ancien Testament, du judaïsme et du Nouveau Testament, Revue théologique de Louvain, 8 année, fasc. 3, 1977, p. 332.

15  G.J. Wenham, Genesis 1-15, Coll. Word Biblical Commentary, vol. 1, Waco, Word Books, 1987, p. 68, s’appuyant sur les exemples de Jos 1,14 ; 10,4.6 ; 1 Ch 12,17.19.21.22.

16  J.-L. Ska, « ‘Je vais lui faire un allié qui soit son homologue’ (Gn 2,18) : à propos du terme ʿezer – ‘aide’ », Biblica, 65, 2, 1984, p. 235-236.

17 Bien souvent, les Bibles n’hésitent d’ailleurs pas à traduire ʿ17 zer par secours. De plus, on retrouve à 26 reprises dans l’Ancien Testament la racine ʿzr à côté de celle de yšʿ (« sauver »), preuve de leur proximité sémantique.

18  J.-L. Ska, ibid., p. 236.

19  L. Koehler et W. Baumgartner, Hebrew and Aramaic Lexicon of the Old Testament, trad. par M.E.J. Richardson, Leiden, Brill, 2002, p. 667.

20  G.J. Wenham, op. cit., p. 68.

21  M. de Merode, op. cit., p. 332.

22  À ne pas comprendre dans son acception philosophique.

23 ʾîš provient de la racine ʾyš (אישׁ) ou ʾwš (אושׁ) alors que ʾîššāh serait issue de ʾnš (אנשׁ23 ). Voir § 99c dans P. Joüon et T. Muraoka, Grammar of Biblical Hebrew, Rome, Editrice Pontifico Istituto Biblico, 1991.

24  Langue éthiopienne classique, dont l’usage s’est maintenu dans la liturgie des Églises éthiopiennes.

25  T. Muraoka, A Greek-English Lexicon of the Septuagint, Louvain, Peeters, 2009, p. 119.

26  T. Muraoka, ibid., p. 119.

27  Par exemple antilambanomai (ἀντιλαμβάνομαι), « venir assister quelqu’un », en 1 Ch 22,17.

28 Par exemple l’adjectif sumboêthos (συμβοηθός) « qui assiste », en 1 R 20,16.

29 Par exemple le verbe katischuô (κατισχύω), « fortifier », en 1 Ch 15,26 ou encore 2 Ch 14,10.

30 En effet, à plusieurs reprises, le mot ʿēzer est traduit par les termes summacheô (συμμαχεω), « agir en tant qu’allié militaire » (Jos 1,14 ; 1 Ch 12,22), sunepischuô (συνεπισχύω), « fournir des forces militaires » (2 Ch 32,3) ou encore sunepitithêmi (συνεπιτίθημι) « se joindre à une attaque » (Za 1,15).

31  T. Muraoka, op. cit., p. 667.

32  2 Ch 14,10 ; 18,31 ; 32,8 ; Esd 8,22 ; Ps 119,173.

33 En voici quelques exemples : « être fort » (tāʿōz, תָּעֹז) en Qo 7,19, la « force » (ʿāzzı̂, עָזִּי) en Ex 15,2 et Ps 28,7, « soutenir » (yisʿāḏennû, יִסְעָדֶנּוּ) en Ps 41,4 et Esd 5,2.

34 En voici quelques exemples : le « bouclier » (māg̱innı̂, מָגִנִּי) en Ps 7,10, le « refuge » (maḥaseh, מַחֲסֶה) en Ps 62,9 et 71,7, la « forteresse » (lameṣād, לַמְצָד) en 1 Ch 12,17.

35 En voici quelques exemples : « sauver » (mōšiaʿ, מֹשִׁיעַ) en 2 S 22,42 et Pr 21,31, « sauver » (lehaṣṣālûṯêh, לְהַצָּלוּתֵהּ) en Dn 6,15.

36  Par exemple És 60,15 ; Ps 70,6 ; Pr 28,12.

37  Pour le reste des occurrences, la source n’est pas définie ou bien très minoritaire (les dieux étrangers, la loi, etc.).

38 E. Bons, « The Noun βοηθός as a Divine Title. Prolegomena to a future HTLS Article », The Reception of Septuagint Words in Jewish-Hellenistic and Christian Litterature, E. Bons, W. Brucker et J. Joosten (éds), Tübingen, Mohr Siebeck, 2014, p. 61. Notre traduction.

39  Pour plus de précisions, se référer à E. Bons, ibid., p. 57-61.

40  M. de Merode, op. cit., p. 336.

41  La référence au récit de la création de l’homme et de la femme en Mt 19,4-6 pourrait être prise en compte, bien qu’elle ne mentionne malheureusement pas la notion « d’aide semblable à lui ».

42  On peut citer la prophétesse Anne (Lc 2,36-38), la femme de mauvaise vie (Lc 7,36-50), la Samaritaine (Jn 4,7-39) et les femmes qui suivaient Jésus (Mt 27,55s).

43  Jn 19,25 ; Mt 27,59-61 ; Mc 16,1-7.

44  M. de Merode, op. cit., p. 349.

45  On retrouve aussi notre expression dans un texte très fragmentaire de Qumrân, 4Q303 (4QMéditation sur la Création A), qu’E.J.-C. Tigchelaar estime appartenir au genre de la sagesse. Pour un commentaire plus poussé sur ce texte voir E.J.-C. Tigchelaar, « Eden and Paradise: The Garden Motif in Some Early Jewish Texts (1 Enoch and other Texts Found at Qumran) », in Paradise Interpreted. Representations of Biblical Paradise in Judaism and Christianity, éds Gerard P. Luttikhuizen, coll. Themes in Biblical Narrative: Jewish and Christian traditions, Leiden, Brill, 1999, p. 51. Pour une image à l’infrarouge de ce texte : http ://www.deadseascrolls.org.il/explore-the-archive/image/B-295764 (site consulté le 11/04/2016).

46  Frag. 2, col. 3, l. 20-21 : http ://www.deadseascrolls.org.il/explore-the-archive/image/B-499640 .

47  « Tu as pris une femme dans ta pauvreté, prends sa progéniture […] du mystère qui adviendra tu te joindras à elle, ensemble marche avec l’aide de ta chair. » Notre traduction de :אשה לקחתה בריׄשכה קח מולדי֯[ — . ] מרז נהיה בהתחברכה יחד התהלך עם עזר בשרכה[ — ]

48 E. J.-C. Tigchelaar, «  בָּשָׂר », ThWQ, Band i, p. 537.

49  Les manuscrits hébraïques de ce passage contiennent des variantes.

50  La Bible. Écrits intertestamentaires, La Pléiade, Paris, Gallimard, 1978, p. 648.

51  Marie de Merode, op. cit., p. 338.

52  Marie de Merode, ibid., p. 338.

53 Le mot ʿēzer au sens « d’aide » apparaît une seule fois dans la Mishna en Taanit 3,8 où il est question de sonner le shofar pour « aider ». La Mishna est le premier commentaire rabbinique de la Bible hébraïque, rédigée autour du iiie siècle de notre ère.

54  Notre traduction de :ואמר רבי אלעזר מאי דכתיב אעשה לו עזר כנגדו זכה עוזרתו לא זכה כנגדו ואיכא דאמרי ר’ אלעזר רמי כתיב כנגדו וקרינן כניגדו זכה כנגדו לא זכה מנגדתו

55  L. Teugels, « The Creation of the Human in Rabbinic Interpretation », Paradise Interpreted. Representations of Biblical Paradise in Judaism and Christianity, op. cit., p. 121.

56 https ://archive.org/stream/RabbaGenesis/midrashrabbahgen027557mbp#page/n179/mode/2up (site consulté le 11/04/2016).

57  Notre traduction de : אמ זכה תהיה לו אזר ואם לאו לנגדו להלחם.

58  Notre traduction de :אשכחיה רבי יוסי לאליהו א »ל כתיב אעשה לו עזר במה אשה עוזרתו לאדם א »ל אדם מביא חיטין חיטין כוסס פשתן פשתן לובש לא נמצאת מאירה עיניו ומעמידתו על רגליו וא »ר אלעזר מאי דכתיב זאת הפעם עצם מעצמי ובשר מבשרי מלמד שבא אדם על כל בהמה וחיה ולא נתקררה דעתו עד שבא על חוה

59  Origène, Homélies sur la Genèse, coll. Sources Chrétiennes n° 7 bis, Paris, Cerf, 2003, p. 57.

60  Philon d’Alexandrie, De Opificio Mundi, Paris, Cerf, 1961, §69, p. 187 et §165, p. 253 ; Philon d’Alexandrie, Quaestiones et Solutiones in Genesim, Paris, Cerf, 1979, livre I, §25, p. 91.

61  Philon d’Alexandrie, Legum Allegoriae I-III, Paris, Cerf, 1962, II §5-8, p. 107.

62  Philon d’Alexandrie, De Opificio Mundi, §152, p. 243.

63  Clément d’Alexandrie, Stromateis. Books 1-3, Washington, The Catholic University of America Press, 1991, livre II, ch. 23, §140, p. 251.

64  Clément d’Alexandrie, ibid., livre III, ch. 12, §82, p. 307.

65  Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, IX.3.5, p. 97.

66  Saint Augustin, ibid., IX.5.9, p. 101.

67  Saint Augustin, Sur la Genèse contre les Manichéens, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2004, livre II, XI.15, p. 307-309.

68  Basile de Césarée, Sur l’Origine de l’homme, Paris, Cerf, 1970, I.18, p. 213 ; Grégoire de Nysse, La création de l’homme, Paris, Cerf, XVI, p. 154-161 ; Jean Chrysostome, Sermons sur la Genèse, Paris, Cerf, 1998, II, p. 193-194.

69  Jean Chrysostome, ibid., IV, p. 223.

70  H.S. Benjamins, « Keeping Marriage out of Paradise: the Creation of Man and Woman in Patristic Litterature », in Gerard P. Luttikhuizen (éds), The Creation of Man et Woman. Interpretation of the Biblical Narratives in Jewish and Christian traditions, Leiden, Brill, 2000, p. 102.

71  M. de Merode, op. cit., p. 352.

72  M. de Merode, op. cit., p. 343.

73  D.J.A. Clines, What Does Eve Do to Help? and Other Readerly Questions to the Old Testament, JSOTSup., 94, Sheffield, JSOT Press, 1990, p. 31.

74  D.J.A. Clines, ibid., p. 33.

75  J.-L. Ska, op. cit., p. 227.

76  D.J.A. Clines, op. cit., p. 35.

77  D.J.A. Clines, ibid., p. 35.

78  M. de Merode, op. cit., p. 330.

79  H. Blocher, Révélation des origines, Plan-les-Ouates, Presses Bibliques Universitaires, 2001, p. 90.

Sortie de Hokhma N°109

Couv_109

Notre N° 109 vient de sortir de presse!

Profitez gratuitement de la prédication d’Olivier Keshavjee : Vous étiez morts… mais Dieu…

Découvrez les recensions d’ouvrages de ce numéro :

Ou encore commandez-le, en format papier ou électronique (aussi disponible à l’article)!