Gabriel Monet, L’Église émergente

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Gabriel Monet, L’Église émergente : Être et faire Église en postchrétienté , Collection « Théologie Pratique Pédagogie Spiritualité », Volume 6, Münster : LIT, 2014, 432 pages. ISBN : 978-3-643-90498-0.

90498-0_monet.inddGabriel Monet est pasteur de l’Église Adventiste du 7 ème Jour et professeur de théologie pratique à la Faculté adventiste de théologie de Collonges-sous-Salève en Haute Savoie. Il est aussi le directeur du Centre José Figols, le centre de recherche et de documentation en théologie pratique de cette même Faculté.

Le présent ouvrage est la publication d’une thèse de doctorat soutenue par l’auteur en juin 2013 à l’université de Strasbourg dans le cadre de l’école doctorale de théologie et sciences religieuses, en partenariat avec la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Le Chapitre de Saint-Thomas, qui récompense des travaux de thèses consacrés à des questions novatrices, lui décerna en 2014 le prix universitaire « Louis Schmutz » pour la qualité de ses travaux de recherche sur le sujet des initiatives ecclésiales nouvelles, identifiées sous l’appellation « Églises émergentes », malgré l’existence d’une pléthore de termes, selon l’aveu même de l’auteur (p. 32). Si ces nouveaux schémas ecclésiaux en situation de postchrétienté représentent une réalité complexe, ils ont souvent les caractéristiques d’un courant réformateur apparaissant au sein de confessions existantes. L’émergence de dénominations nouvelles n’est cependant pas à exclure.

Dans la première partie du livre (pages 17 à 188), Monet pose avec une grande clarté les bases essentielles à la discussion : définition, typologie, caractéristiques, protagonistes, marqueurs et culture postmoderne (appelée culture émergente ) de ces communautés ecclésiales, toutes innovantes mais hétérogènes. Pour poser (et répondre à) la question de l’innovation et de l’adaptation de l’Église à la société contemporaine, l’auteur s’est tourné vers un courant de pensée, disparate à bien des égards mais qui a gagné en importance, qui a vu son apparition dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Australie et Grande-Bretagne) au tournant du millénaire (fin XX e et début XXI e s.) avant de trouver un écho favorable en Europe francophone. Comme en témoigne la liste des acteurs, promoteurs et contradicteurs, mentionnés dans le chapitre 4, l’auteur est entré en conversation pour cela avec une littérature essentiellement anglophone.

Le double défi de la fidélité à l’Évangile et de la pertinence culturelle sont continuellement au cœur du débat. Comme « une majorité d’émergents sont dans la mouvance protestante » (p. 147), on ne s’étonnera pas que la conception protestante de l’Église fasse de l’autorité de l’Ecriture, de la prédication de la Parole et de l’administration des sacrements des marques évidentes des Églises émergentes. On notera la valorisation du laïcat par la vision et les pratiques de ce nouveau mouvement ecclésial (p. 151). Son rapport à l’œcuménisme par contre connait de « réelles limites » en partie à cause du peu d’importance accordée aux structures, mais peut-être surtout parce que ses priorités sont tout autres (p. 134) et favorisent notamment l’émergence de nouveaux types d’appartenance (p. 343).

Conforme à la nature même de tout mouvement expérimental, on y trouve un foisonnement d’idées favorisant la fluidité de ses modes de fonctionnement. Monet distingue dans sa typologie les Églises centrées sur la mission, celles centrées sur le développement communautaire, et enfin celles centrées sur l’innovation liturgique.

Dans la seconde partie de l’ouvrage (pages 189 à 380), l’auteur ouvre un dialogue très prometteur avec le théologien et missiologue anglais Leslie Newbigin (1909-1998), présenté comme une des principales sources d’inspiration de ce mouvement. Pour faire face au processus de déclin de la chrétienté en Europe, Monet pose les jalons d’une ecclésiologie renouvelée et construite sur trois grands axes : (1) L’Église-en-mission (décrite par un néologisme/anglicisme, Église « missionnelle »), une conception selon laquelle l’Église n’a pas qu’une dimension missionnaire, mais a de par son être même (ou son ADN) une nature missionnaire d’origine divine qui touche tous les aspects de sa vie, en tant que promesse, vocation, communion et témoignage; (2) L’Église-en-contexte (appelée Église incarnationnelle sur le modèle du ministère de Jésus), une communauté de foi qui dans son rapport à la société réussit à s’approcher tout en marquant sa distance et sa différence, en étant à la fois transculturelle, contextuelle, contre-culturelle et interculturelle ; (3) L’Église-au-quotidien (appelée Église expérientielle ), une approche holistique intégrant intellect et émotions, expérience de vie et expérience spirituelle dans la communauté de foi et au travers d’elle.

Gabriel Monet a rendu un grand service au public francophone au travers d’une recherche multidisciplinaire (même si elle se réclame plus particulièrement de la branche de la théologie pratique). Par son travail précis, fouillé et courageux, il ouvre la voie vers de nouvelles pistes de réflexion dans les Églises des pays francophones. L’avenir du mouvement émergent dépendra certainement des réponses qui seront apportées à plusieurs questions essentielles que nous présente l’auteur dans sa conclusion. Je relèverai en particulier « la question de l’unité » qui reste une des questions majeures que soulève aujourd’hui l’existence des Églises émergentes (p. 387). Pour que l’Église soit une, sainte, catholique et apostolique, pour reprendre la formulation du symbole de Nicée, ne faudra-t-il pas encourager davantage une « évolution générale des mentalités » (Postface, p. 393) pour que son horizon théologique et pratique puisse mieux inclure la diversité et la pluralité que représentent les traditions catholique, orthodoxe, protestante, anglicane et pentecôtiste/charismatique ?

Raymond Pfister

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