Jean-Pierre Osier, L’Évangile du Ghetto

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Jean-Pierre Osier, L’Évangile du Ghetto Comment les Juifs se racontaient Jésus – Paris 2017, Éditions Berg International – INSB 9782370201164 – 174 pages – CHF 31, 10 ou € 19, 00.

Né en 1935, ancien élève de l’École normale supérieure, Jean-Pierre Osier est agrégé de l’université (philosophie) et docteur en études indiennes ; il est également membre de l’équipe du CNRS « Monde indien et monde iranien ». Outre des ouvrages propres à sa spécialisation, il a notamment traduit en français L’essence du Christianisme , de Ludwig Feuerbach. L’Évangile du Ghetto a connu plusieurs éditions, sous divers titres, depuis sa première publication, en 1984.

Qui fait des recherches sur le Jésus historique se trouvera tôt ou tard confronté aux Toledoth Yeshuh  ; il s’agit de « contre-évangiles » écrits par des Juifs, dès le haut Moyen-âge, en réaction aux mauvais traitements dont ils étaient victimes, afin de se conforter dans leur foi. Jean-Pierre Osier nous présente dans ce livre une traduction, à partir de l’hébreu ou de l’araméen, des différentes versions des ces Toledoth Yeshuh , mises par écrits au cours des siècles et en divers lieux. Dans ce livre on trouvera la traduction des manuscrits: de Vienne et de Strasbourg, les versions de Wagenseil et de Huldreich, Le manuscrit de la Geniza du Caire, le Sepher Yossipon. En plus on trouvera les textes rabbiniques, généralement du Talmud, qui donnent les anciennes traditions juives qui ont servi de base à ces histoires de Jésus. Notons que plusieurs de ces textes n’existent pas dans les éditions courantes du Talmud, car l’Église en avait interdit la publication. On trouvera en plus, dans ce volume, un dossier d’écrits ecclésiastiques réagissant au Toledoth Yeshuh , un glossaire et une bibliographie.

Que racontent les Toledoth Yeshuh  ? Les versions ont des différences notables, mais en gros, ils racontent que Marie a été violée en l’absence de Joseph par un voisin ou un soldat romain alors qu’elle était en état d’impureté rituelle. Joseph l’a appris, et comme sa femme était tombée enceinte, il l’a raconté à son rabbin qui a gardé la choses secrète. Jésus a grandi, s’est fait disciple d’un rabbin, mais s’est enflé d’orgueil et a été « repoussé des deux mains » par son maître spirituel. Le rabbin de Joseph a alors révélé que Jésus était un bâtard, ce qui entraîna sa mise au ban de la société. Jésus réussit alors à connaître le Nom divin qui est dans le temple et, grâce à ce Nom, put faire quantité de miracles, s’attirer des disciples et se proclamer Fils de Dieu. Il a alors été arrêté et condamné à mort pour sorcellerie, étranglé, pendu sur une plante fabuleuse (parfois un chou géant), puis enterré ; mais le jardinier l’a sorti de son tombeau et caché dans un autre tombeau. Quand ses disciples sont venus au tombeau où il avait été enterré, il n’était plus là. Ils ont dit alors qu’il était ressuscité.

Dans la préface l’auteur estime que les Toledoth Yeshuh sont une présentation théologique des mêmes faits que les évangiles racontent (p. 15). Il plaide pour une confrontation entre eux, notamment pour les récits de la passion : par exemple, l’accusation de sorcellerie (selon Dt 13, 1-5 et 18, 20-22), dont font état les Toledoth pourrait s’avérer être la véritable raison de la condamnation de Jésus. On pourrait ajouter que l’hypothèse de Jésus, mamzer (bâtard), présentée par Daniel Marguerat dans le livre recensé ci-dessus, trouve aussi son origine dans ces anciennes traditions juives, dont le but est de contrecarrer les récits évangéliques de la naissances virginale de Jésus.

Certes, les Teledoth mêlent le mythe à l’histoire, le mythe donnant son unité au texte. Mais certaines traditions qu’ils rapportent se trouvent dans les passages censurés du Talmud ; elles sont très anciennes et sont combattues (donc connues) par Justin, Tertullien et Origène (2 et 3 e s.) ; Il me semble donc légitime de les prendre en compte pour le dossier Jésus, après les avoir soumises à la critique historique. Remercions les Éditions Berg d’avoir mis ces documents à la portée du public francophone.

Alain Décoppet

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